Survivantes viol
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Accusé de viol, l’ex-serveur du Waff a été acquitté: la justice est «incapable de protéger les survivantes»

L’ancien serveur du Waff, accusé de viol, a été acquitté. Selon le tribunal correctionnel de Bruxelles, aucun élément ne permet d’établir que la victime était droguée et qu’elle n’a pas pu consentir à la relation sexuelle. La fondatrice de Balance ton bar dénonce une justice rétrograde «incapable de protéger les survivantes».

Le tribunal correctionnel de Bruxelles a acquitté, mercredi, l’ancien serveur d’un bar du quartier du Cimetière d’Ixelles d’un viol commis sur une jeune femme en 2021. Aucun élément, selon le tribunal, ne permet d’établir que la victime était droguée et qu’elle n’a pas pu consentir à la relation sexuelle.

Le prévenu, âgé de 32 ans, avait admis avoir entretenu une relation sexuelle avec la jeune femme constituée partie civile contre lui, mais il avait contesté l’avoir droguée à son insu. Les faits s’étaient déroulés le soir du 7 août 2021, lorsque celle-ci était attablée dans le bar où il était serveur. La victime avait déposé plainte contre le prévenu après s’être réveillée nue dans un lit, le lendemain, sans le moindre souvenir de la veille.

Le conseil de la jeune femme n’avait pas accusé le prévenu d’être celui qui avait placé la drogue dans le verre de celle-ci, mais il avait soutenu qu’il avait en tout cas dû constater son état de vulnérabilité. Le ministère public, lui, avait requis la culpabilité du prévenu pour le viol de la victime et pour le viol d’une autre jeune femme, tout en considérant que le trentenaire avait été victime d’un lynchage médiatique. Son nom et son adresse avaient en effet filtré sur les réseaux sociaux, le poussant à vivre reclus.

En août 2021, plusieurs étudiantes ont raconté sur les réseaux sociaux avoir été droguées puis violées par ce même serveur. Ces dénonciations ont fait naître le mouvement «Balance ton bar». Au fur et à mesure de l’enquête, la plupart des plaintes ont néanmoins été classées sans suite. Seules deux ont finalement abouti à un procès.

Une justice rétrograde

Maïté Meeûs, créatrice de la page Instagram Balance ton bar, ne décolère pas. La nouvelle de l’acquittement du trentenaire est pour elle et pour toutes les survivantes un nouveau coup de massue et une preuve de plus que les victimes ne sont pas assez écoutées, que leur voix n’a presque pas d’importance dans les tribunaux, où «le taux de condamnation effective pour les auteurs de viol avoisine 1%». «Les victimes de violences sexuelles subissent une double peine. La première lorsqu’elles sont agressées. La seconde lorsqu’elles font face à un système judiciaire qui ne les reconnaît pas, ne les protège pas, et ne leur rend pas justice», accuse-t-elle.

Si les victimes d’agressions sexuelles et de viols prennent la parole sur les réseaux sociaux, c’est justement pour briser le «silence judiciaire» et «l’impunité structurelle». Une démarche que la jeune femme qualifie de «nécessité née face au vide laissé par les institutions». Une parole qui se libère, mais une parole qui vaut à ces femmes et ces hommes d’être accusés de «participer au « tribunal médiatique« », dénonce Maïté Meeûs. Un concept qui sert d’argument à la défense, mais qui «n’a aucune existence légale».

Cet acquittement est un rappel brutal que la justice, aujourd’hui encore, est incapable de protéger les survivantes.

Maïté Meeûs

En 2022, une réforme du Code pénal concernant le droit pénal sexuel entre en vigueur. Jusqu’alors, n’étaient considérés comme viols que les actes sexuels non consentis commis par la contrainte physique, la menace, la ruse ou par un élément de surprise. Depuis le 21 mars 2022, cette loi prend en compte le contexte de l’acte et de la vulnérabilité des victimes, et dit ceci: «Le consentement peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. Il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre.»

Or, c’est la loi d’avant 2022 qui a été appliquée dans ce procès contre l’ancien serveur bruxellois. Et il en sera de même en cas d’appel. «Cette situation met en lumière une justice rétrograde, où des avancées législatives restent inefficaces tant que des dossiers comme celui-ci continuent d’être jugés sur la base d’une loi désormais obsolète», fustige la fondatrice de Balance ton bar.

Le victim-blaming des survivantes

Maïté Meeûs pointe enfin du doigt la remise en question, par le verdict, du comportement de la victime d’agression sexuelle. C’est une «tentative de détourner l’attention des actes du prévenu pour la recentrer sur l’état ou les choix de la victime au moment des faits», souligne-t-elle. «Que la victime ait été en état d’ébriété, qu’elle ait continué à faire la fête, ou qu’elle ne se soit pas immédiatement manifestée avec des preuves indiscutables, tout cela ne devrait jamais servir à légitimer l’impunité des auteurs», estime la jeune femme.

Cette inversion des responsabilités, c’est ce que l’on appelle du «victim-blaming»: le fait de blâmer les victimes plutôt que les bourreaux, de les rendre responsable de ce qui leur est arrivé. C’est aussi ça, la double peine des victimes d’agressions sexuelles et de viols.

«L’acquittement dans cette affaire n’est pas un simple fait judiciaire. C’est un rappel brutal que la justice, aujourd’hui encore, est incapable de protéger les survivantes», conclut Maïté Meeûs.

(Avec Belga)

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