Ettore Rizza
Albert II vs N-VA ? Qui se sent morveux se mouche
Le message royal de Noël et de Nouvel An suscite la polémique en Flandre. Certains nationalistes flamands y voient une attaque en règle contre leur parti. D’autres, une intrusion « inédite » dans le débat politique. D’autres encore estiment que le roi est allé trop loin en évoquant les années 30. Ce discours s’inscrit pourtant dans une tradition bien établie.
Comme il fallait s’y attendre, une partie de l’opinion publique flamande s’est émue du traditionnel discours du roi. Principal passage incriminé :
« En ces temps perturbés que nous vivons, soyons vigilants, et montrons-nous lucides face aux discours populistes. Ils s’efforcent toujours de trouver des boucs émissaires à la crise, qu’il s’agisse de l’étranger ou des habitants d’une autre partie de leur pays. Ces discours existent aujourd’hui dans de nombreux pays européens et aussi chez nous. La crise des années 30 et les réactions populistes de cette époque ne doivent pas être oubliées. On a vu le mal que cela fit à nos démocraties. »
Ainsi donc il existerait chez nous des populistes… Qui peuvent-ils bien être ? Le roi ne nomme personne, toutes les suppositions sont donc permises. Il fut un temps où le Vlaams Blok/Belang se serait senti immédiatement visé. Désormais, c’est la N-VA qui se mouche à chaque utilisation du mot « populiste ».
Si son président, Bart De Wever, s’est bien gardé de jouer les outragés, d’autres figures de sa formation politique sont aussitôt montées au créneau. « En se prenant à nous, se rend-il compte qu’il s’attaque à la majorité des Belges ? », tonne ainsi Eric Defoort, cofondateur du parti nationaliste flamand, interrogé par SudPresse.
Plus étonnant : certains universitaires appuient cette analyse. Aux yeux de l’historien flamand Mark Van den Wijngaert, par exemple, « une telle façon de s’immiscer dans le débat politique est inédite ». « Relier ce populisme aux années 30, c’est aller un pas trop loin. Un grand pas trop loin », ajoute ce professeur de l’université catholique de Bruxelles (KUB).
Pour un spécialiste de la monarchie, voilà qui témoigne à tout le moins d’une mémoire sélective.
Intrusion inédite dans le débat politique ? Pas plus tard qu’il y a six mois, dans son discours du 21 juillet, le roi s’attaquait déjà aux populistes en ces termes :
« Cela nous encouragera aussi à éviter le repli sur soi et le populisme. Deux tendances dont on trouve trop de manifestations aujourd’hui en Europe comme chez nous, et qui ne mènent à rien. »
Là aussi, un député N-VA (Théo Francken) avait cru déceler dans cette phrase une pique contre son parti.
On se souvient aussi de la fameuse allusion aux « sous-nationalismes » et au « séparatisme explicite ou feutré » dans le discours royal de janvier 2006, qui avait irrité Yves Leterme, alors ministre-président flamand. Dont la mémoire était tout aussi sélective : dix ans plus tôt, en 1996, une référence quasi identique au « séparatisme, explicite ou larvé » n’avait soulevé guère de remous. Pas plus que lorsque le roi Baudouin avait utilisé une formule similaire, à quatre reprises, entre 1988 et 1992…
Les années 30 ? À peu de choses près, on retrouve une les mêmes accents dans le message de Noël 1998, alors que la N-VA n’était pas encore née :
« Quant à notre propre pays, le souci de conserver et de promouvoir des relations pacifiques entre nos communautés et régions doit nous habiter en permanence, de même que la défense de nos valeurs démocratiques qu’il ne faut jamais considérer comme acquises une fois pour toutes. À chacun d’entre nous de garder en mémoire ce qui s’est passé dans les années 30. »
Même chose dans le discours de Fête nationale 2002 :
« Depuis quelque temps, nous voyons resurgir en Europe certaines formes d’extrémisme. Et pourtant, après avoir subi les conséquences désastreuses de l’intolérance croissante des années 30, nous avions pensé être définitivement libérés de ce fléau. »
On le voit, les références au populisme, à l’extrémisme, au séparatisme ou encore aux années sombres de notre histoire n’ont rien d’inédit sous la plume du roi, comme l’a d’ailleurs relevé le Vif/L’Express dans son édition du 21 décembre.
Pour le reste, une petite phrase lue sur les réseaux sociaux résume à merveille le fond du problème : « Moi qui croyais qu’il en allait des populistes comme des cons et que quand on les critiquait, personne ne se sentait visé. Grossière erreur ! »
Ettore Rizza
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