Carte blanche
Aide médicale urgente : au nom de la rigueur et du respect des droits fondamentaux
La Belgique a été marquée la semaine passée par un évènement important pour nous, futurs médecins qui devront un jour prêter le serment d’Hippocrate : celui de l’adoption par la Chambre de la réforme de l’Aide Médicale Urgente.
Même s’il n’est nul besoin de le rappeler, en prêtant ce serment, le médecin s’attache à toujours oeuvrer pour l’exercice d’une médecine accessible à tous, à veiller à ce qu’aucune considération de classe sociale, d’ethnie, de nation, ou encore des convictions politiques et philosophiques n’influencent son attitude envers les patients.
Qu’est-ce que cette Aide Médicale Urgente ?
Il s’agit d’un outil législatif s’appliquant aux personnes en situation irrégulière sur le territoire belge et qui ne sont dans aucune procédure de recours suspensive ou encore aux étrangers dont l’ordre de quitter le territoire est arrivé à échéance. Consolidé par l’Arrêté royal du 12/12/1996, il couvre à la fois les soins de santé curatives et préventives, et nécessite l’obtention d’un certificat médical attestant de l’urgence de la prestation effectuée en vue de l’obtention d’un remboursement par un CPAS. Ces soins peuvent par ailleurs être prestés tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins de santé.
Les personnes en situation irrégulière, non affiliées à une mutuelle, peuvent par ce moyen bénéficier de soins de santé.
Pourquoi cette réforme ?
La majorité fédérale estime, sur la base d’un rapport réalisé par un médecin-conseil analysant 200 dossiers d’Aide Médicale Urgente parmi lesquels il mettait en évidence 6% d’irrégularités, que des abus sont commis dans l’utilisation de cet outil législatif. Aujourd’hui, ledit rapport ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté médicale comme l’ont pu l’exprimer dans la presse bon nombre de médecins.
Cette réforme s’inscrit dans un souhait, de prime abord louable, de réalisation d’économie et de simplification du travail administratif des CPAS. Seulement, elle instaure un système de sanction à l’égard de praticiens ne respectant l’emploi adéquat de cette Aide. Aucun critère permettant de juger du non-respect de l’usage correct de l’Aide Médicale Urgente n’est défini. Seule la subjectivité du médecin-contrôle permettra de trancher. Les médecins et hôpitaux devront rembourser de leur poche si le médecin-contrôle estime que les soins octroyés ne relèvent pas d’une urgence.
D’après la KCE, parmi les 85.000 à 160.000 personnes en situation irrégulière sur le territoire belge, seul 10% à 20% d’entre elles bénéficiaient de cette aide et qu’elle correspondait à moins de 0.2% du coût de soins de santé de notre pays. Aussi, en fonction du CPAS auquel le patient se réfère, les refus d’accords pouvaient aller de 2% à 26%. Là où notre centre fédéral d’expertise de soins de santé souhaitait une simple harmonisation et simplification, le gouvernement tente, sous couvert d’une volonté risible d’économies, de restreindre le droit à la santé. « Diminuer ou refuser l’accès aux soins de santé ne peut être un instrument légitime pour implémenter une politique d’asile restrictive » mettait déjà en garde la KCE.
Par ailleurs, l’Agence européenne des droits fondamentaux a démontré l’impact positif sur l’économie d’une politique de soins de santé accessible aux personnes en situation irrégulière, sans attendre les situations urgentes.
A l’évidence, notre gouvernement prend le chemin inverse de celui préconisé par des experts nationaux et européens, tant en termes idéologiques qu’en termes de respects des droits fondamentaux.
Nous nous opposons.
Dans quelques temps, nous serons amenés à pratiquer l’exercice de la médecine. Nous prêterons alors le serment d’Hippocrate et aurons le privilège d’accorder des soins de santés à des patients. Nous serons tenus de respecter une partie des droits humains fondamentaux de chacun. C’est pourquoi nous ne pouvons accepter que de telles mesures discriminatoires, voire dangereuses, puissent être imposées à quiconque se destinant à l’amélioration de la condition humaine.
Comme certains de nos professeurs et maitres, nous nous opposons à une réforme rendant encore plus difficile le travail des praticiens de la santé souhaitant aider les personnes dans des situations plus précaires. Nous nous opposons d’autant plus fermement à l’idée que l’on puisse restreindre cette aide médicale par le biais d’un chantage sur les praticiens de la santé. Comme certains de nos professeurs et maitres, nous nous opposons à une expertise plus que douteuse à l’origine dudit abus. Comme certains de nos professeurs et maitres, nous souhaitons une analyse juste et objective de l’accès aux soins de santé pour les personnes en situation irrégulière.
L’exercice du pouvoir politique et sa législation dans le domaine médical impliquent une intelligence dépassant les économies inhumaines et tenant compte de la réalité humanitaire et sanitaire de son territoire. Aucune faiblesse ne peut être tolérée lorsqu’il s’agit du respect de ces droits fondamentaux, quel que soit le statut social ou la situation administrative d’un individu.
Vicron Mickelet, pour le comité ULB de la Belgium Medical Students’ Association.
Martin Dubois, pour le Bureau Etudiant de la faculté de Médecine de l’ULB.
Hanae Channa, pour le comité VUB de la Belgium Medical Students’ Association.
Sarah Cumps, pour le comité UCL de la Belgium Medical Students’ Association.
Alexis Berger, pour le Bureau Etudiant de la faculté de Médecine de l’Umons.
Timoté Fallais, pour l’Assemblée Général des étudiants de l’Unamur.
Giovanni Briganti, pour le Comité inter-universitaire des étudiants en médecine.
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