Carte blanche

Agression homophobe: « il faut une détermination folle pour tenir dans une société qui t’insulte et se moque de toi »

12 mai 2020 – Gare des Guillemins à Liège. La semaine prochaine devait avoir lieu The Belgian Pride. Cet évènement militant et festif met en lumière nos vécus et nos combats et célèbre les héros et les héroïnes de l’histoire qui se sont battu-e-s pour nos droits. C’est un jour de fête où nombreux-ses d’entre nous peuvent être, un jour par an, exactement comme ils/elles sont.

Vu les conditions sanitaires et l’impossibilité d’organiser cette année la Pride telle qu’on l’a connue auparavant, le photographe Bob Reijnders a décidé de faire des portraits de membres de nos communautés « comme si nous allions à la Pride » pour mettre en lumière nos identités et nos revendications.

Megan et moi participions à cette campagne. Nous avions rendez-vous aujourd’hui à la gare des Guillemins de Liège avec Bob et son mari pour réaliser les clichés. Nous étions belles, elle en robe rouge d’été et moi en legging rose. Nous avions des drapeaux arc-en-ciel et étions déterminées à faire les divas pour quelques minutes.

Megan arrive tremblante, elle vient de se faire insulter sur le chemin entre le ‘kiss and ride’ et l’avant de la gare par plusieurs hommes. On décide d’aller de l’autre côté pour être plus au calme. A peine le drapeau sorti et les premiers réglages, un groupe commence à nous insulter « cassez-vous », « vous êtes dégueulasses de faire ça devant des enfants », « on a vu que vous étiez pédés, c’est bon », « si vous ne vous bougez pas, c’est nous qui allons vous bouger » (et j’en ai sûrement raté d’autres). Un homme s’approche pour me demander de ne pas afficher le drapeau.

Les jambes tremblent, les coeurs battent à 1000 à l’heure, les sourires sont figés sur les photos. Ils lancent une cannette de bière remplie dans notre direction. Pas très doué-e-s les lascars, ils nous ratent. Avec la boule au ventre, on ne réagit pas, on se tait, mais on décide de bouger, de s’éloigner, de changer d’endroit.

Quand je croise deux employés de Securail, je leur explique la situation. L’un d’eux me regarde avec dégoût et mépris. L’autre m’explique gentiment qu’ils ne sont pas compétents pour ce genre d’affaires et que le commissariat n’est pas loin. On continue de faire des photos, tant bien que mal. Une autre équipe de Securail arrive quelques minutes plus tard et va discuter avec ces personnes. On ne sait pas si c’était en lien avec nous, mais cela nous permet de respirer à nouveau.

Pourquoi ai-je décidé, à nouveau, de dénoncer ce genre de faits qui arrivent malheureusement quotidiennement à de nombreuses personnes LGBTQI+ de par le monde ?

Parce que nous sommes fatigué-e-s, énervé-e-s, tristes, et angoissé-e-s.

Parce que nous refusons de devoir nous cacher, partir, rentrer dans le rang, baisser la tête et ravaler notre colère de peur de nous faire agresser.

Parce que Megan me raconte plus tard, quand je la raccompagne à sa voiture, que « si [elle] devait faire des posts chaque fois que ça lui arrive, [elle] en ferait 20 par jour ».

Parce que ça me rappelle que certain-e-s d’entre nous oublient parfois la misère et l’horreur dans lesquelles vivent certaines personnes de nos communautés. Parce qu’on a un entourage, des ami-e-s, collègues, frères, soeurs, parents, qui nous aiment et nous soutiennent. Parce qu’on va dans des lieux ‘safe’ où on sait qu’on peut être qui on est sans jugement ou violence. Parce qu’on « n’a pas l’air lesbienne/gay/trans ». Mais on oublie toutes les personnes pour qui sortir de chez elles est une épreuve en soi.

Cela me conforte dans mon idée que ce qui dérange le plus et amène aux situations les plus violentes, c’est l’expression de notre genre. Après le photoshoot, j’ai remis mes lunettes et mon training. Je passe. On ne voit pas que je suis une pédale en legging rose et du mascara. On voit un mec avec des lunettes et un training. On me remet dans le placard. « Avoir l’air hétéro », « ne pas sortir de la norme ». Et je le fais, lâchement. Être invisible.

Il faut une force de caractère incroyable et une détermination folle pour tenir dans une société qui te crache à la gueule, t’insulte, se moque de toi, te viole et t’assassine.

Nous sommes tou-te-s des héro-ïne-s.

Ce post n’a pas pour but de dénoncer l’ensemble des personnes non-LGBTQI+ (celles et ceux qui me connaissent savent à quel point je crois en l’éducation, ce travail infini, dur, long et laborieux), mais plutôt de faire réaliser à un maximum de personnes que nos combats sont plus que jamais d’actualité et que NON, en Belgique, on n’est pas au paradis. Que les violences et les agressions sont quotidiennes. Que la charge mentale qui pèse sur nous peut être énorme. Que lorsque l’on parle de nos traumatismes ou de nos expériences négatives de la part de personnes qui haïssent, méprisent ou ne comprennent pas qui nous sommes, il ne s’agit pas de nous victimiser. Nous ne sommes pas là pour être plaint-e-s, nous sommes là pour être respecté-e-s.

Nous sommes tou-te-s des héro-ïne-s.

Megan continuera son combat quotidien avec la tête haute, Bob se lancera dans de nouveaux projets qui nous valorisent et je reprendrai demain matin le travail chez Arc-en-Ciel Wallonie, renforcé dans ma volonté de faire avancer les choses en Wallonie et partout ailleurs. Mais nous ne pouvons pas le faire seul-e-s. Nous avons besoin de vous tou-te-s pour y arriver. Alors, respectez-nous, aimez-nous, protégez-nous. Dénoncez ce type d’actes violents, levez-vous et agissez. Ecoutez-nous, comprenez-nous et surtout soutenez-nous.

Force et courage à tou-te-s mes ami-e-s, proches, frères, soeurs, connaissances et toutes les personnes LGBTQI+ à qui cela arrive beaucoup trop souvent. Nous n’abandonnerons jamais. Vous n’êtes pas seul-e-s. Vous êtes des survivant-e-s. Vous êtes des héro-ïne-s.

Nous sommes tou-te-s des héro-ïne-s.

Tom Devroye

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