Un choix difficile
Afrophobie, romaphobie…: de nouveaux critères de discrimination entrent en vigueur
Belgique
Dans chaque plainte mentionnant des faits de discrimination, le motif de la haine devra être précisé: antisémitisme, afrophobie, romaphobie, etc. Cette nouvelle typologie des infractions permettra de mieux objectiver les violences à l’égard des communautés et des minorités. Et de mieux y faire face.
Ludivine Ponciau
Une circulaire à l’attention des policiers, des magistrats, de l’auditorat du travail et des services d’inspection entrera en vigueur en avril 2024. Le texte, fruit d’une collaboration entre le ministère public, la police, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances (Unia) et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, établit une nouvelle typologique dans la classification des plaintes lorsque celles-ci concernent des faits de discrimination.
Actuellement, les zones de police et les parquets travaillent avec des outils informatiques distincts, ayant chacun leur propre logique d’enregistrement. La complexité, la disparité et le manque de précision des critères d’encodage rendent donc difficile le recueil de données fiables sur les discriminations commises contre des individus en raison de leur appartenance à une communauté ou à une minorité. Personne ne peut par exemple affirmer avec précision combien de victimes d’islamophobie ont signalé les faits au cours de l’année écoulée. Pour le savoir, il faut ouvrir chaque dossier et examiner les circonstances.
Unia, de son côté, publie bien des statistiques annuelles mais celles-ci n’offrent qu’une vue partielle de la situation. « Comme les parquets ne peuvent nous fournir des données précises, les cas qui nous reviennent sont ceux que signalent les policiers de référence, les victimes elles-mêmes, ou dont la presse fait écho », explique Martin Fortez, juriste et membre du groupe de travail qui a planché sur la nouvelle circulaire.
La nouvelle typologie s’articule autour de deux catégories d’infractions : les crimes et les délits de haine caractérisés par un mobile discriminatoire – dans ce cas, la discrimination constituera une circonstance aggravante ou un facteur aggravant, selon les critères prévus par la loi – et les infractions spécifiques réprimées par des dispositions particulières, telles que les lois antiracisme, antidiscrimination, antinégationnisme ou la loi-genre. On est davantage dans le registre de la propagation d’idées haineuses, racistes, sexistes, à travers des paroles, des gestes ou des écrits.
Le nouveau système d’encodage identifie également plusieurs phénomènes sociaux auxquels peuvent être reliées ces infractions. Dorénavant, lorsqu’un policier ou une policière enregistrera un procès-verbal dans la banque de données, il devra préciser le motif précis du mépris ou de la haine exprimée par l’auteur. Le racisme, par exemple, ne sera plus uniquement du racisme mais de l’afrophobie, de l’antisémitisme ou de la romaphobie (haine envers les Roms). Les catégories « antichristianisme », « islamophobie » et « antisémitisme » sont créées pour ce qui concerne les discriminations liées à la religion ou aux convictions philosophiques. Quant à la transphobie, elle constitue à présent une sous-catégorie à part entière, au même titre que le sexisme, l’homophobie et les infractions à l’encontre des personnes porteuses d’un handicap. La circulaire insiste également sur le fait que tous ces nouveaux critères ne se limitent pas à la sphère publique. Tout ce qui est produit sur le web est soumis à la même réglementation. Elle livre aussi des directives précises pour obtenir un retrait immédiat des contenus discriminatoires.
Le mobile discriminatoire s’applique à toute infraction, à partir du moment où il est décelé et ce, quelle que soit l’infraction, insistent les auteurs. Certains indicateurs, comme le lieu où se sont déroulés les faits (mosquée, église, quartier LGBTQIA+…) ou les circonstances (manifestation, date symbolique…) doivent aiguiller le policier dans son choix.
Dans la pratique, ça donnerait ceci, dire qu’il faut « se débarrasser des Roms », comme se l’est permis l’ex-président des socialistes flamands, Conner Rousseau, relèverait selon la nouvelle typologie de romaphobie, et serait enregistré comme suit dans la banque de données de la police : Motif haine/discrimi.racisme: romaphobie.
Pourquoi les Roms et les chrétiens, mais pas les Yézidis, par exemple ? L’élaboration de cette nouvelle typologie imposait de faire des choix, expose Nadia Laouar, substitut du procureur général de Liège et coordinatrice principale du réseau d’expertise « infractions contre les personnes » du collège des procureurs généraux. » Il y a eu beaucoup de discussions autour de la sélection des différents phénomènes. Il fallait trouver le juste équilibre entre les phénomènes que nous rencontrons dans la pratique, ou pour lesquels notre pays s’est engagé à fournir des données au niveau international, et la nécessité de concevoir un système qui reste praticable pour les professionnels concernés ».
Les cas qui nous reviennent sont ceux que signalent les policiers de référence, les victimes elles-mêmes, ou dont la presse fait écho
Martin Fortez
Par ailleurs, il existe à chaque fois une catégorie résiduaire « autre » qui permet que chaque infraction haineuse en lien avec un des critères protégés par la loi puisse être dûment enregistrée, même si elle ne correspond pas à un des phénomènes retenus, précise Nadia Laouar.
Jusqu’ici, il n’était pas possible de rendre de compte, à travers des données précises, de phénomène tels que l’antisémitisme ou la transphobie. En ce qui concerne les Roms, il est vrai qu’assez peu de faits sont dénoncés en Belgique. Mais c’est une communauté dont on sait qu’elle est particulièrement exposée à la discrimination et ce phénomène fait l’objet d’un suivi particulier au niveau européen « . A l’avenir, d’autres sous-catégories pourraient être ajoutées en raison de l’émergence de nouveaux comportements discriminants.
Fatalement, ce nouveau mode de classement, bien que plus précis et plus en adéquation avec la réalité de terrain, posera quelques dilemmes. Certains comportements peuvent en effet être interprétés de plusieurs manières. Comment évaluer si une personne a été discriminée en raison de sa couleur de peau, de sa religion ou de son orientation sexuelle si elle est concernée par plusieurs de ces critères ? Les motifs de la haine ne sont pas toujours clairs, y compris pour les auteurs eux-mêmes. Dans ce cas, répond le texte, tous les phénomènes pouvant être envisagés doivent être sélectionnés.
Enfin, il ne revient pas au policier d’évaluer s’il y a bien eu discrimination ou non et de décider s’il est pertinent ou non de l’inscrire sur son PV, établit la circulaire. A partir du moment où il est mentionné, où la victime a le sentiment qu’on s’en est pris à elle pour une raison bien précise, cet élément doit figurer dans le dossier. Le magistrat appréciera par la suite si les faits sont délictueux ou non. Et le motif exact de la discrimination.
Les cas qui nous reviennent sont ceux que signalent les policiers de référence, les victimes elles-mêmes, ou dont la presse fait écho
Martin Fortez
juriste
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