Outre 134 millions d'euros qu'il veut confisquer, le substitut Laurent De Smedt requerra mercredi des peines d'emprisonnement et des amendes. © Belga

Affaire Intradel: le parquet veut confisquer 134 millions d’euros

David Leloup Journaliste

Le ministère public réclame la confiscation de 134,6 millions d’euros à 18 personnes poursuivies dans l’affaire Intradel, dont le procès reprend ce mardi devant le tribunal de première instance de Liège. À cet impressionnant montant s’ajouteront des peines d’emprisonnement et/ou des amendes individuelles qui doivent être requises oralement mercredi par le parquet.

C’est onze fois le montant des commissions occultes détournées, estimées à 12 millions d’euros! Dans son réquisitoire de confiscation daté du 26 février dernier, que Le Vif/L’Express s’est procuré, le premier substitut du procureur du roi du tribunal de première instance de Liège, Laurent De Smedt, réclame la confiscation de 134.627.691,61 euros à 18 personnes – 14 personnes physiques et quatre personnes morales – dont le procès reprend ce mardi, à Liège, dans le cadre du méga-dossier Intradel ouvert en 2007 pour corruption.

À cet impressionnant montant s’ajouteront des peines d’emprisonnement et/ou des amendes que le substitut De Smedt doit requérir oralement mercredi. Contrairement au réquisitoire oral qui réclamera les peines pénales dites principales (emprisonnement et/ou amendes), le réquisitoire de confiscation est un document écrit qui doit être préalablement déposé au greffe et qui reprend les peines pénales dites accessoires. Mais les sommes dont le ministère public demande la confiscation aux personnes poursuivies devant le tribunal sont loin d’être accessoires… Et elles devraient donner un avant-goût des peines principales qui seront requises mercredi.

La foire aux millions

Ainsi, un montant de 12,9 millions d’euros est réclamé à Philippe Leroy, l’ex-patron de la société française Inova SA qui a remporté en 2006 le marché de 200 millions d’euros pour construire l’incinérateur Uvelia d’Intradel à Herstal. Le parquet veut confisquer la même somme à ses deux principaux supérieurs hiérarchiques de l’époque, les Autrichiens Klaus Zink et Mirko Kovats, et à la société Inova SA, qui s’est constituée partie civile dans ce dossier et dont les conseils plaideront la cause ce mardi.

Les deux lobbyistes de la filière « liégeoise » des commissions occultes présumées, Adelio Tarquini et Dominique Cerutti, se voient réclamer respectivement 10,4 et 9,8 millions d’euros, à titre individuel et via leur SPRL ATC et Euclide Engineering. En outre, Adelio Tarquini s’est vu confisquer durant l’enquête ses actions des sociétés Pirard Industries et Ardco.

Le parquet demande également la confiscation de 8,2 millions d’euros à chacun des trois acteurs belges d’une filière de fausses factures ayant transité entre Paris, Spa et Vaduz: Léon-François Deferm, un proche d’Alain Mathot qui a touché un million d’euros d’Inova « pour des prestations invérifiables »; son juriste Michel Vander Elst, qui a selon le parquet rédigé de faux contrats mais n’aurait rien empoché; et la société spadoise TPS Techno Projets SA (en liquidation). Cette dernière, pilotée par des avocats zurichois, a confectionné les fausses factures envoyées à Inova pour « sortir » notamment le million destiné à Deferm.

Cash-cash offshore

Six autres acteurs de cette filière « zurichoise » empruntée par des commissions occultes se voient pour leur part chacun réclamer 6,1 millions d’euros. Il s’agit de quatre ressortissants suisses (Heinz Egli, Hans Peter Kneubühler, Peter Stucki, Jürgen Luder), d’un Liechtensteinois (Eugen Frick) et d’un Français (Dragan Stankovic). Outre le million perçu par Léon-François Deferm, ils sont accusés d’avoir exfiltré cinq autres millions d’euros d’Inova, toujours via TPS Techno Projets. Cet argent est allé enrichir deux sociétés offshore (FML Fine Tool Marketing Ltd. aux Bahamas et Aetherius Trust Inc. au Liechtenstein) et une société serbe (Ledex), disposant chacune de comptes ouverts dans des banques autrichiennes. Ces comptes ont ensuite été vidés par des retraits cash sans que les enquêteurs aient pu identifier les bénéficiaires économiques finaux de ces détournements.

Enfin, le ministère public réclame la confiscation de 1,1 million d’euros à Alain Basilien, l’ancien échevin PS des Finances de Honnelles (Hainaut) au centre de la filière « hennuyère » de fausses factures destinée à sortir du cash d’Inova pour Philippe Leroy. Inculpé pour corruption active dès 2011, Leroy a déclaré aux enquêteurs avoir remis 720.000 euros cash provenant de cette filière au député-bourgmestre PS de Seraing, Alain Mathot, lors d’une douzaine de rencontres discrètes dans des hôtels parisiens, entre 2006 et 2008. Malgré les nombreux indices concordants rassemblés par les enquêteurs, Alain Mathot a toujours hurlé son innocence. Inculpé fin 2011 pour corruption passive et blanchiment, il est le grand absent de ce procès qui s’est ouvert en décembre dernier: son immunité parlementaire n’a pas été levée par le parlement fédéral en avril 2016.

Croughs absent du document

Outre les montants requis, la principale surprise de ce réquisitoire de confiscation est l’absence de l’ancien directeur général d’Intradel, Roger Croughs, inculpé par le juge d’instruction Philippe Richard à l’automne 2013. Les charges à son encontre se seraient-elles dégonflées? Trois ans plus tôt, le même substitut du procureur du roi avait requis – et obtenu – son renvoi en correctionnelle pour faux en écritures, organisation criminelle, corruption passive et infractions relatives aux enchères publiques, tout cela dans l’exercice de ses fonctions en qualité de fonctionnaire ou officier public. À suivre mercredi, donc.

Le réquisitoire de confiscation reprend deux types de montants: des choses ou valeurs saisies en cours de procédure au motif qu’elles constituent « des avantages patrimoniaux tirés directement des infractions mentionnées », et des sommes non saisies en cours de procédure mais correspondant à « l’évaluation monétaire équivalente » à ces avantages patrimoniaux tirés des infractions. Ce document, que nous publions, révèle ainsi que 775.888,39 euros ont été saisis en cours de procédure et que l’essentiel a été versé sur le compte de l’Organe central pour la saisie et la confiscation (OCSC). Les sommes non saisies lors de l’enquête, mais dont la confiscation est aujourd’hui réclamée par le parquet aux personnes poursuivies, sont sans commune mesure : 133.851.803,22 euros.

Outre la SA Inova, les autres parties civiles sont la SCIRL Intradel, la SA Entreprises générales Louis Duchêne et la SA Bam Technics (ex-Galère). Ces quatre parties civiles doivent plaider leur cause ce mardi. Le réquisitoire du substitut est quant à lui prévu mercredi. S’ensuivront les plaidoiries les 15 (Tarquini, Cerruti), 16 (Leroy), 22 (Croughs, Basilien), 23 (Zink), 29 (Euclide, TPS Techno Projets) et 30 mai (Inova). Des répliques sont prévues le 5 juin puis le tribunal délibérera. Son jugement n’est pas attendu avant septembre.

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