Carte blanche
Adil n.m qui vient de « Adl » en arabe qui signifie « justice »
Il y a un an, Adil était percuté par une voiture de police qui avait en tête de l’arrêter, à n’importe quel prix. Au risque de le tuer.
Adil fuyait le contrôle de la police, trop conscient du danger qu’il représentait pour lui. Il est mort parce qu’il a eu peur. C’est encore l’histoire d’une poursuite qui n’aurait jamais dû avoir lieu et encore moins être considérée comme « prioritaire ». Le nombre excessif d’amendes et de descentes policières dans les quartiers populaires dès le début de la pandémie, le harcèlement quotidien de la police et certains comportements racistes, comme ceux de ces deux policières de la zone Bruxelles-Midi, ne sont que quelques raisons qui expliquent la fuite d’Adil qui ne faisait rien d’autre qu’être dans l’espace public.
Depuis la perte de notre Adil, nous avons dû faire face à bien d’autres épreuves durant l’année. Dès sa mort, et alors que nous n’avions même pas encore enterré notre bien aimé Adil, il a été demandé à notre famille de faire un appel au calme. Beaucoup d’habitants exprimaient une colère légitime que les autorités locales et fédérales ont préféré ne pas prendre en considération. Nous sommes restés discrets et avons refusé des interviews en espérant ainsi permettre le bon déroulement de l’enquête. Malgré tout, nous faisions un constat : Adil et toutes les autres victimes de violences policières ont droit à une déshumanisation et une criminalisation. De toute évidence, chaque victime est tenue responsable de sa mort, comme si elle l’avait cherchée.
Le 26 novembre dernier, nous avons connu une injustice supplémentaire. Le parquet du Procureur du Roi annonce sa décision de demander un non-lieu en faveur des policiers. Ce qui consiste à dire que, selon son analyse, les policiers n’ont pas à être poursuivis car ils n’ont pas commis d’erreur. Aucune raison valable ne justifiait cette communication. De plus, aucune audience devant la chambre du conseil, compétente pour décider d’éventuelles poursuites, n’était prévue à ce stade. Plusieurs articles de presse relaieront, à tort, la fin de l’enquête et la relaxe des policiers.
Au lendemain de cette annonce, une manifestation a été organisée par des citoyens. Il y avait un décalage entre la volonté pacifiste des manifestants et l’important dispositif policier. S’en sont suivies des arrestations injustifiées de quasiment tous les manifestants. On notera le traitement différencié de la police selon l’origine des personnes rassemblées. Tous ces événements pourraient laisser croire que les autorités veulent à tout prix étouffer cette affaire, pourtant nous, la famille, refusons de croire cela.
Depuis cette annonce surprise du Procureur du Roi, nous avons eu à nouveau accès au dossier de l’enquête et, surtout, pu visionner les images vidéo. Cela nous a confortés dans l’idée que de nombreuses questions demeurent et que des éléments importants semblent ne pas avoir été pris en compte par le Procureur du Roi lors de la rédaction de son réquisitoire de non-lieu. Nous solliciterons donc des devoirs d’enquête complémentaires. L’audience de la Chambre du Conseil prévue le 20 avril prochain, qui devait statuer entre la clôture du dossier et le renvoi des policiers impliqués devant le tribunal correctionnel, sera donc reportée afin que la vérité puisse être établie.
Aujourd’hui, un an après la mort d’Adil, nous aurions aimé lui rendre un hommage public avec nos proches et nos soutiens dans les rues de notre commune. Dans la dignité et le respect. Depuis plus d’un mois, nous réfléchissions avec la commune d’Anderlecht aux meilleures conditions à mettre en place pour cet hommage dans le respect des gestes barrières. Malheureusement le cadre proposé par les autorités rend l’organisation de cet hommage impossible dans les délais et dans la dignité. Si nous reconnaissons l’importance des règles sanitaires, il faudrait que les autorités arrêtent de nier à la fois l’importance d’un deuil dans lequel toute vérité est empêchée et la colère de tout un quartier. Aujourd’hui, nous sommes contraints d’abandonner l’idée de ce rassemblement et nous décidons d’écrire ces quelques lignes pour Adil.
Adil avait 19 ans. Il était un fils, un frère, un petit-fils, un neveu, un oncle, un cousin, un ami, un voisin. Il était de ces personnes qui sourient tout le temps et avec qui les temps difficiles devenaient si faciles. Il faisait preuve d’autodérision pour valoriser ceux qui étaient face à lui.
Pour lui, la vie avait un sens, celui qui mène vers le bonheur… Adil était aimable, serviable, il avait un grand coeur. Certes, il avait ses petits défauts comme tout le monde, mais nous ne pouvions lui en tenir rigueur à côté de tout ce qu’il apportait.
Depuis tout petit il avait cette passion qui l’animait, celle de la mécanique et des véhicules en tout genre. Cette passion le prenait au plus profond de ces tripes.
Il n’aura jamais 20 ans. Nous avons tant de questions qui persistent et restent sans réponses. Qu’est-ce qui justifiait sa mort ? Qu’est-ce qui justifiait le déploiement d’autant de policiers ? Pourquoi une telle mise en danger d’autrui ? Le procès que nous demandons sera la seule façon de faire la lumière sur les circonstances de sa mort et d’établir les responsabilités claires de la police. Adil n’est pas la seule victime et nous ne sommes pas les seuls dans ce combat que nous n’avons pas choisi.
La vérité et la justice que nous exigeons pour Adil, nous l’exigeons tout autant pour les autres familles. La liste de victimes s’allonge, des familles sont détruites alors que les policiers ne sont jamais mis face à leurs responsabilités. Quand est-ce que cela va s’arrêter ? Ibrahima, 2021. Ilyes, 2021. Akram, 2020. Adil, 2020. Mehdi, 2019. Mawda, 2018. Lamine, 2018. Jozef, 2018. Wassim et Sabrina, 2017. Dieumerci, 2015, Souleimane 2014, Jonathan 2010, Faycal 2006, Karim 2002, Semira 1998, Said 1997, Mimoun 1991. Et toutes les autres victimes dont nous ignorons l’histoire.
Nous exigeons cette justice pour que l’impunité cesse et qu’aucune autre famille ne perde un être cher lors d’interventions policières.
Signé : la famille d’Adil
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