Acheter son TFE, une pratique courante dans le monde estudiantin
À l’heure où les étudiants de dernière année se mobilisent corps et âme pour rendre un travail de fin d’études de qualité, d’autres sont prêts à payer des centaines d’euros pour éviter cette contrainte. Un business lucratif pour des « ghostwriters » très discrets.
C’est la dernière ligne droite pour certains étudiants en fin de cycle supérieur et la course au TFE ou au mémoire a déjà commencé. Stress, syndrome de la page blanche, peur de ne pas avoir le temps… Très vite, le travail devient parfois insurmontable. À l’ère d’internet, le plagiat est roi. Mais même le novice évite de s’y embourber: les enseignants y veillent dur comme fer, notamment par l’intermédiaire de logiciels informatiques spécifiques. Si certains tentent encore le coup, d’autres ont recours à des méthodes de triche de plus en plus difficiles à déceler: les rédacteurs fantômes.
Le principe est simple: l’étudiant achète sur Internet son travail universitaire au lieu de l’écrire par lui-même. Un véritable jeu d’enfant. Le coût s’avère néanmoins conséquent pour un budget restreint: 20 euros par page, c’est ce qui est demandé aux intéressés chez aidetfe.be, un service en ligne d’accompagnement à la réalisation de TFE. Dans le milieu, les tarifs peuvent très vite monter, jusqu’à 1500 euros pour un mémoire complet de 60 pages chez Expertmemoire.com par exemple. Un montant qui en freine étonnamment peu, comme l’explique Esteban Vasquez, fondateur de Aidetfe.be: « par session, je refuse aux environs de 75 clients, nous explique-t-il. Je pourrais tous les prendre mais je dois me limiter à douze personnes« . Un business « comme un autre » qui fonctionne très bien aujourd’hui et encore plus depuis début mars, période où les échéances approchent.
Ultime recours
Qui sont ces personnes ayant reçu une aide venant du spécialiste en TFE maison? Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas les plus demandeurs. Le ghostwriter, Esteban Vasquez, confirme: « j’ai un public dont la moitié sont des adultes, recommençant pour la majorité leurs études, et l’autre moitié sont des jeunes. J’ai donc ainsi beaucoup de personnes venant me voir, car c’est leur « ultime dernière chance » de repasser cette partie. Pour les ratés des TFE, c’est toute une vie de gâchée.«
Le travail de fin d’étude constitue une étape mêlant souvent anxiété et stress, inquiétant même quelques parents, prenant alors contact avec la petite entreprise: « ils se renseignent chez moi pour leur enfant car ils voient qu’il est super mal. C’est un profil assez typique en tout cas.«
Une popularité explicable
« Les TFE et les mémoires sont ridicules« , défend Esteban Vasquez, « c’est un travail qui ne ressemble à aucun autre, et on n’explique pas du tout à l’étudiant comment il faut l’aborder. Des branches ne sont pas du tout littéraires, et le travail demande une écriture très spécifique mais simpliste si on connait la méthode« . Le rédacteur se voit avant tout comme une aide très noble pour l’étudiant, au même titre que papa/maman. Enfin, il estime que l’obtention du précieux sésame ne doit pas constituer un obstacle à la réussite de l’élève.
Sous-traiter son mémoire ne devrait pas, selon lui, être poursuivi. « La demande est forte, j’offre donc mon aide pour l’obtention d’un diplôme souvent mérité. On ne va rien dire si un élève fait la même chose avec un papa ou une tante par exemple. » Une fois achetée, la production est alors sous la responsabilité de l’étudiant.
« Le plagiat est démodé »
Forte de son succès, cette nouvelle méthode utilisée dans le milieu estudiantin révolutionne la triche. Pour le fondateur de Aidetfe.be, le plagiat est même révolu: « c’est l’erreur la plus grossière qu’un nègre littéraire pourrait faire! Aujourd’hui ça n’a aucun sens, c’est du pipeau« , se moque-t-il, « ici, on ne peut pas me reconnaître à travers mon travail, le texte est écrit tellement simplement que n’importe quel étudiant aurait pu le faire. Le TFE est un document totalement impersonnel et facilement réalisable. »
Dans le milieu universitaire, le phénomène est connu, mais difficilement détectable. Marc Demeuse, Vice-recteur à l’Enseignement d’UMons, convient que la piste la plus sérieuse quant à la découverte du plagiat reste humaine: « quand on travaille avec un étudiant, on le suit, et on voit se développer le travail. C’est essentiellement l’encadrement qui fait la différence« , assure-t-il. Le suivi semble essentiel pour le corps professionnel afin de garantir l’honnêteté du travail et la motivation de l’étudiant.
Des pratiques lourdement condamnées
« Je pense sincèrement qu’un jour ou l’autre, on découvrira que le travail est un plagiat« , souligne le professeur. Si l’étudiant parvient à se faire découvrir, des sanctions sont prévues par l’équipe éducative: la direction remet la note à zéro pour la partie condamnée, voire pour l’ensemble de la session. Le règlement des études prévoit notamment quatre peines disciplinaires: un rappel à la règle de manière orale, une suspension du droit de fréquenter les cours pour une partie n’excédant pas un mois, une interruption du droit de fréquenter l’université pour le temps d’une année, ou l’exclusion des universités du pays pendant une période de cinq ans. « Moralement, c’est très grave de s’attribuer les mérites de quelque chose que nous n’avons pas fait« , prévient Marc Demeuse. Par cette définition, la méthode est donc qualifiée, elle aussi, de plagiat par le monde universitaire: « la personne tente de s’approprier, tant par le fond que la forme, l’extrait reproduit, tout en cherchant à s’attribuer les mérites« , indique-t-il.
Manque de compétences adéquates, achat par facilité, manque de compréhension du travail… Nombreuses sont les raisons qui poussent les étudiants à se tourner vers des entreprises spécialisées en production de mémoires. L’exercice n’est pas simple et nécessite un encadrement professionnel de qualité autour de l’étudiant pour palier ses interrogations. Néanmoins, le TFE ou le mémoire constitue une opportunité non négligeable donnée en fin de cursus. « À eux d’en comprendre le sens« , conseille le Vice-recteur.
Qu’avons-nous à gagner à faire notre TFE nous-mêmes?
- Le but est de produire un bon travail personnalisé: « c’est une oeuvre qui couronne un cursus de plusieurs années, où l’étudiant fait le point sur un sujet. Il est entièrement capable de le faire, et il faut le rassurer en lui disant que c’est lui seul qui connaîtra le mieux son sujet dans la pièce, face au jury« , convainc Marc Demeuse
- « C’est un travail de longue haleine et d’investigation, mais qui doit titiller votre intérêt. Il est recommandé de traiter d’un sujet qui vous intéresse. » Le travail peut ainsi représenter une carte de visite intéressante dans le cadre de la recherche d’un emploi.
- « La période de réalisation doit être enrichissante, et enthousiasmer l’élève. » En effet, l’étudiant validera personnellement tout un panel de nouvelles compétences, et acquerra de l’expérience en dehors du monde universitaire.
Noémie Joly
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