Acheter de la brique n’a jamais été aussi contraignant en matière de budget qu’aujourd’hui
Les caractéristiques du marché immobilier belge, mais aussi la conjoncture ambiante, plutôt morose, devraient inciter les candidats à l’acquisition à réfléchir à deux fois avant de franchir le pas de la propriété. Décryptage.
Le Belge a une brique dans le ventre, dit l’adage. Mais est-ce moins un trait de caractère, voire une tradition, que le seul résultat d’une politique d’incitants fiscaux réussie ? Et, par là, le signe que l’acquisition immobilière n’est pas plus un automatisme qu’un objectif final vers lequel les jeunes ménages doivent absolument tendre ? » En Belgique, la politique de la majorité des gouvernements a toujours été de favoriser l’accès à la propriété plutôt que le seul accès à un logement décent – en ce compris la location, donc « , note d’emblée Roland Gillet, professeur de finance à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB (Solvay). Avec le résultat que l’on connaît : le pays compte aujourd’hui un peu moins de 80 % de propriétaires pour quelque 20 % de locataires. Ailleurs, reprend l’expert, citant entre autres les cas de l’Allemagne et du Canada, faute d’une volonté politique en ce sens, la proportion varie entre 40 et 60 % de propriétaires. » La situation est plus équilibrée que chez nous « , précise-t-il.
Ce qui n’est pas sans effet sur le marché. Car, qui dit plus de locataires, dit plus de… propriétaires-bailleurs. Lesquels ont d’autres intérêts que les propriétaires-occupants, le bien acquis étant vu comme un investissement pur et dur, dénué de toute valeur affective et soumis à la loi de l’offre et de la demande. » Celui qui achète sa maison pour y habiter personnellement est d’abord dans une logique de consommation, détaille Roland Gillet. Il n’hésitera pas à mettre la main à la poche pour s’offrir quelque chose de plus grand ou de mieux situé, pour y faire des travaux, l’entretenir et l’embellir. » C’est le prix du bonheur, qu’aucun calcul d’économiste ne peut mesurer. » Sans parler du signe extérieur de richesse que le bien en question représente… »
Le prix de la brique en décrochage
Ce faisant, la valeur de la brique belge est moins le fait des fluctuations du marché que du bon-vouloir de la majorité de propriétaires-occupants qui la détiennent. » Si une part significative d’entre eux décide de vendre, pour quelque raison que ce soit, le marché s’en ressent immédiatement… jusqu’à parfois déboucher sur une crise immobilière « , souligne le professeur. Dans les pays où l’équilibre entre propriétaires-occupants et bailleurs est de mise, la vente du bien est conditionnée à une éventuelle hausse des prix, et donc une perte de rentabilité, le loyer perçu n’étant plus en lien avec la valeur vénale du bien. » La logique d’investissement agit comme un régulateur sur les prix « , relève Roland Gillet.
Que faut-il en conclure ? Qu’il existe, chez nous, un décrochage entre valeur de marché et valeur vénale du bien qui fausse les règles du jeu. Décrochage qui s’observe plus encore maintenant qu’avant, la baisse des taux d’intérêts hypothécaires faisant artificiellement gonfler les prix étant donné qu’elle augmente la capacité d’emprunt des candidats acquéreurs.
Etre propriétaire n’a jamais été aussi cher
A cela s’ajoute, poursuit l’expert, le fait que les droits de mutation sont extrêmement élevés : quelque 15 % (12,5 % de droits d’enregistrement à Bruxelles et en Wallonie, plus les frais de notaire et d’hypothèque) pour l’immobilier ancien ; 21 % de TVA pour le neuf. » Soit des sommes d’argent importantes qui sont tout bonnement jetées à la poubelle « , glisse Roland Gillet. Tant et si bien, qu’acheter de la brique n’a jamais été aussi contraignant en matière de budget qu’aujourd’hui, ce que corroborent des études d’organismes tels que l’OCDE, la Banque mondiale, le FMI, même la Banque nationale de Belgique, assure-t-il. » D’après elles, la part de richesse totale – revenu ou épargne – que consacre un ménage pour devenir propriétaire est de l’ordre de 60 à 69 % plus importante qu’avant. »
Autre statistique interpellante : la durée de vie d’un couple en Europe, de l’ordre de sept ans. » Or, lorsqu’il franchit le cap de la propriété, un jeune ménage a tendance à s’endetter pour au moins vingt ans et à choisir un bien plus grand – et plus cher – que nécessaire parce qu’il espère avoir des enfants « , avertit le professeur. Si on ajoute à cela un ralentissement économique qui rend l’emploi incertain, » il y a lieu de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans l’achat d’un bien « .
» Loin de moi l’envie d’être alarmiste, enchaîne Roland Gillet. Si les candidats acquéreurs sont certains de leur couple dans la durée ou des moyens de leurs ambitions immobilières, grand bien leur fasse. Si cela leur fait plaisir, encore mieux. » Mais quid des plus fragiles, interroge-t-il. » Ne faut-il pas que ceux-ci se posent la question de savoir s’il n’est pas plus opportun, surtout étant jeunes, de considérer l’éventualité de louer quelques années pour voir si leur couple tient, mais aussi si enfant(s) il y a ou pas, pour louer quelque chose de petit, puis de plus grand avant de sauter le pas de la propriété ? » Le tout en sachant que le locataire est toujours protégé par rapport au propriétaire, et qu’en cas de problème, il lui est plus facile de renoncer à son bail que de se défaire d’un bien acquis.
La solution de la brique papier
Est-ce à dire que l’investissement dans la brique résidentielle est réservé aux riches, à tout le moins aux plus âgés ? Pas du tout, répond l’expert, avançant l’option de la brique papier. » En plaçant son argent dans une société immobilière réglementée (SIR), dont le portefeuille est diversifié et contient tant de l’immobilier résidentiel que commercial ou de bureau, on augmente ses perspectives de rendement, multiples. » Le tout en s’acquittant de droits de mutation » dérisoires « , puisque les frais de Bourse sont extrêmement bon marché. Surtout comparativement aux 15 % et autres 21 % concomitants à l’achat d’une maison ou d’un appartement.
Autre avantage, la transmission du patrimoine ainsi constitué à ses héritiers, autrement moins taxée que celle du patrimoine immobilier. » Il suffit de faire une donation et de survivre trois ans à celle-ci pour échapper à l’impôt de succession « , conclut Roland Gillet.
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