Accros à la coke: « La plupart des gens avec qui j’ai pris prétendent gérer, mais c’est faux »
Plus accessible, la coke n’est plus réservée aux élites des milieux fermés. On pourrait la retrouver dans presque toutes les poches. Une banalisation de cette drogue festive qui n’enlève rien à sa toxicité et aux risques élevés d’addiction. Témoignages.
Une seule fois, juste pour le fun. Après tout, à l’aube de la quarantaine, qu’est-ce qu’on risque quand on a une famille, un poste à responsabilités, et qu’on n’a jamais eu l’esprit très aventureux.
Ce qu’on risque, Alicia (1) peut aujourd’hui le dire. Comme tant d’autres consommateurs, elle ne s’est pas méfiée de cette drogue réputée «cool» popularisée par le milieu du show-biz. Sa première ligne insouciante, elle l’a prise il y a dix ans. Elle, qui se dit du genre trouillarde, n’avait jamais testé d’autres substances auparavant. Mais ce soir-là, une connaissance s’est pointée avec un sachet de cocaïne. Elle a pris le rail et elle s’est éclatée. «Au début, ça se limitait vraiment au cadre festif. Une ligne ou deux, de temps en temps», retrace la Belge installée à Paris. «Je me suis vite rendu compte que de la coke, il y a en avait partout. Que c’est très commun d’en prendre, ce dont je n’avais pas conscience auparavant. Quand on devient consommatrice, on reconnaît tout de suite ceux qui partagent la même dépendance. C’est comme si on développait un sixième sens.»
Je me suis vite rendu compte que de la coke, il y a en avait partout.
Très rapidement, elle se passe d’intermédiaire et commande ses doses directement auprès d’un dealer. Septante euros le gramme, c’est 20 de plus qu’à Bruxelles mais comme elle a des revenus confortables, ça n’a pas trop d’impact. Un WhatsApp et la voilà servie dans les deux heures. «Au boulot, ça n’allait plus très bien. J’ai commencé à picoler puis à prendre plus régulièrement de la cocaïne. Je n’imaginais plus aller à une soirée sans ce petit coup de boost. J’aimais aussi le fait que ça me permette de boire sans me sentir saoule et que ça me fasse maigrir.» La descente aux enfers ne commence que quand elle se met à en consommer seule. La drogue l’empêche de trouver le sommeil et les descentes sont de plus en plus ingérables. La seule manière de les éviter, c’est de se refaire une ligne.
Addiction psychique
Après deux semaines à sniffer non-stop, qui aggravent son état dépressif, Alicia fait une tentative de suicide. «Mes enfants m’ont vue partir sur une civière. Je suis restée quelques jours en hôpital psychiatrique mais, deux semaines après ma sortie, je repassais commande. Le problème avec la coke, c’est que si elle ne génère pas de dépendance physique, l’addiction psychique, elle, est très forte.» Pour s’en affranchir, Alicia a dû réapprendre à s’amuser en étant clean. Elle a fait un tri dans ses fréquentations, a changé de numéro de GSM pour ne plus être tentée par les propositions des dealers et veille à ne pas avoir de cash sur elle. Il lui arrive encore de craquer mais, peu à peu, elle reprend le dessus. Surtout, elle porte un tout autre regard sur cette drogue «festive». «La plupart des gens avec qui j’ai pris de la cocaïne prétendent qu’ils gèrent mais c’est faux. Surtout quand, comme moi, on a déjà un terrain favorable à la dépression et aux addictions.»
Dans l’Union européenne, environ 83 millions d’adultes, soit 28,9% des personnes âgées de 15 à 64 ans, auraient déjà consommé des drogues illicites au cours de leur vie. Le nombre de patients admis en soins pour la première fois pour dépendance à la cocaïne a augmenté dans 17 pays entre 2014 et 2019, indique l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT). La hausse du nombre de consommateurs qu’observent les experts s’explique à la fois par le fait que la cocaïne disponible a gagné en pureté sans que son prix ait augmenté, et par l’augmentation du niveau de vie ces dernières années en Europe, ce qui a permis à davantage de personnes de s’en acheter.
Le sixième volet de l’enquête Drug Vibes, menée sur les réseaux sociaux par Sciensano en mars 2022 auprès d’usagers belges de drogues, livre un autre éclairage: environ un sur cinq affirme ne consommer que de la cocaïne. Dans 70% des cas, cette consommation reste limitée à une prise par mois. Les principales raisons invoquées sont sociales – 64% prennent de la cocaïne pour «mieux profiter de la compagnie de leurs amis» – ou pour se détendre, dans 58% des cas ; 37% y trouvent une aide à la concentration, au travail ou durant leurs études. Enfin, 30% des consommateurs ont reçu leur dose de la main d’un inconnu et 16% d’un ami ou d’une connaissance.
Aide à la création
Pour Virginie, c’est venu d’un petit ami. «La première fois, c’était un soir de Nouvel An quand j’étais encore aux études. Comme je n’étais pas d’humeur festive, mon copain de l’époque m’a emmenée aux toilettes, assurant qu’un rail me mettrait dans l’ambiance. Effectivement, j’ai adoré l’effet.» Vingt ans plus tard, cette travailleuse indépendante, mère de deux enfants, ne dit pas non à une petite ligne si on la lui propose, mais contrairement à Alicia, les occasions sont rares. La drogue est donc moins accessible, moins disponible. Bien qu’elle n’ait jamais vécu de mauvaises expériences avec la cocaïne, Virginie s’est toujours limitée à une consommation très exceptionnelle, à peu près une fois par an. Elle est restée méfiante envers les drogues en général, redoutant de perdre le contrôle, et n’a jamais été tentée par d’autres produits illicites.
Une consommation raisonnée, est-ce possible? «On ne gère jamais vraiment. Quelqu’un qui gère, c’est quelqu’un qui n’en prend pas. Cela reste du poison. Il suffit de regarder les produits de coupe utilisés…», évalue Guillaume, la petite trentaine. La cocaïne fait partie de sa vie depuis qu’il s’est installé à Bruxelles et qu’il a commencé à travailler dans l’informatique, il y a sept ans. Il avait le budget (jusqu’à 400 euros par mois) et les occasions ne manquaient pas. Comme pour Alicia, la prise de cocaïne a vite dépassé le cadre festif. Stimulante, elle lui procurait l’énergie et la concentration nécessaires pour réaliser des projets artistiques durant le week-end. «Pendant ces périodes de création, j’en consommais beaucoup plus. Ça débordait souvent sur la semaine.» Aujourd’hui, sa consommation est nettement plus espacée dans le temps et limitée en quantité. «Je fais pas mal de sport et je mange relativement sainement. Mais on ne va pas se mentir… cela n’a pas beaucoup de sens de manger bio la semaine si c’est pour prendre de la cocaïne, même occasionnellement.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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