Abaisser les critères pour l’exportation d’armes ? « Ils ne sont déjà pas respectés »
En janvier, plusieurs ONG ont déposé une plainte au pénal contre la FN Herstal pour l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite. Pour François Graas, coordinateur campagnes et plaidoyer chez Amnesty International Belgique, il serait illogique d’assouplir les règles pour l’octroi des licences.
Que vous inspire la récente sortie de Willy Borsus concernant la révision des critères pour les licences d’exportation d’armes?
C’est non seulement surprenant mais aussi dérangeant. Il existe un décret wallon de 2012 dédié aux exportations d’armes dont les normes, certes intéressantes, ne viennent pas de nulle part: les Etats membres de l’Union européenne ont adopté une position commune sur les ventes d’armes. Ce n’est donc pas comme si la Wallonie avait elle-même inventé des règles particulièrement exigeantes. Quand on voit qu’on a exporté des armes en grande quantité vers l’Arabie saoudite, le plus grand client sur les dix ou douze dernières années, alors qu’il y a une guerre sanglante au Yémen, on ne peut que constater que les critères ne sont pas respectés. Les baisser n’est donc même pas compréhensible.
Est-il exact d’affirmer que les règles sont moins restrictives dans les autres pays de l’Union européenne?
Chaque Etat peut interpréter les règles européennes comme il le souhaite. Il est vrai que la France, par exemple, n’a jamais respecté les critères. Elle exporte massivement vers l’Egypte, l’Arabie saoudite et d’autres Etats critiquables sur le plan des droits humains. D’autres pays ont adopté une posture plus exigeante, avant de faire marche arrière. Je pense à l’Allemagne, qui a récemment annoncé avoir conclu des ventes à l’Arabie saoudite. A l’inverse, la Suède les refuse. On ne peut donc pas dire que tout le monde vend des armes à l’Arabie saoudite. Il faudrait mener une analyse Etat par Etat et actualisée en 2023, mais la réalité est certainement plus nuancée que ce qu’affirme Willy Borsus.
Les entreprises wallonnes de l’armement sont-elles à ce point lésées économiquement par rapport à leurs concurrentes étrangères, au point de justifier un abaissement des critères?
Non, car des choix politiques ont été posés par le passé, avec le décret wallon de 2012. Quand on prend la déclaration de politique régionale de 2019, il est question de diversifier les clients, hormis ceux qui sont irresponsables, et la production, c’est-à-dire ne pas fabriquer que des armes. On parle aussi de démarches que la Wallonie s’engage à prendre, au niveau intrabelge, pour que l’Europe cesse la vente d’armes à des pays violant massivement les droits humains. Cela figure noir sur blanc dans la Déclaration de politique régionale. Ces choix politiques, il faut les assumer. On ne peut pas tout justifier au nom de l’économie. Anvers devrait-elle favoriser le commerce de la drogue parce que celle-ci y rapporte beaucoup d’argent? Bien sûr que non.
Certains considèrent qu’il faut se doter d’une industrie de l’armement plus forte, du fait d’un contexte international marqué par la guerre en Ukraine. Un mauvais alibi?
Oui, et c’est une fois encore dérangeant. Certes, l’Ukraine est agressée et a le droit de se défendre. Qu’elle reçoive de l’aide d’autres Etats ne pose pas problème. Mais elle ne doit pas servir d’alibi pour commercer avec l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis ou l’Egypte. Il serait même lamentable qu’un conflit aussi grave serve à vendre des armes ailleurs, dans des contextes qui n’ont rien à voir.
Vous dénoncez aussi l’opacité des critères actuels…
Le manque de transparence est un problème récurrent. Il existe une liste de pays auxquels la Wallonie accepte de vendre des armes. Le rapport annuel du ministre-président (NDLR: Elio Di Rupo) paraît souvent avec un retard incroyable. Le rapport 2020 a été publié en février 2022 et celui de 2021 en décembre dernier. La Flandre, elle, publie régulièrement un rapport mensuel: tout le monde peut déjà y consulter des informations en ligne pour ce début d’année. En Wallonie, l’information arrive trop tard et elle n’est pas suffisante. On note souvent une volonté de ne pas montrer ce qui est fait. Pendant des années, on a exporté des tourelles de blindés de John Cockerill vers le Canada, soit le plus gros contrat pour l’armement en Belgique, qui sont ensuite parties pour l’Arabie saoudite. Or, dans le rapport wallon, le pays cité est le Canada. Souvent, on en vient à suspecter des ventes qui ne sont peut-être pas responsables, mais on manque d’informations pour le vérifier. Quant aux réponses du ministre-président attribuant les licences, elles arrivent souvent très tard et sont extrêmement brèves.
Manque-t-il un acteur dans la chaîne de contrôle pour l’octroi des licences d’exportation d’armes, entre le politique et l’administration?
Cet acteur existe déjà. Il s’agit de la commission d’avis, que le ministre-président consulte pour les pays dits très sensibles. Elle rend un avis confidentiel et non contraignant. Mais ce qui pose question, c’est surtout la composition de cette commission. Parmi les six membres dotés d’une voix délibérative, trois sont directement payés par la Région wallonne: deux viennent de WBI, Wallonie-Bruxelles International, et un de l’Awex (NDLR: l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers). Il n’est pas question ici de dire que ces gens sont incompétents ou malhonnêtes mais de fait, ils ont un intérêt par rapport à la Région. Par ailleurs, le ministre-président a régulièrement dit qu’il suivait toujours les avis négatifs de la commission. Mais l’année dernière, des révélations de Médor ont prouvé qu’il avait outrepassé, en 2019, un avis unanimement négatif.
En quoi consiste la plainte introduite par Amnesty International et d’autres associations à l’encontre de la FN Herstal?
Elle se base sur le constat que la FN Herstal a exporté des armes vers l’Arabie saoudite pendant plusieurs années, avec des licences annulées ou suspendues par la suite par le conseil d’Etat. Le décret wallon dit qu’exporter sans licence valable constitue une infraction. Nous estimons que la FN Herstal aurait dû savoir que les licences qu’elle avait obtenues dans un premier temps n’étaient pas valables, compte tenu de la nature du conflit au Yémen dont elle avait connaissance. La plainte vise donc aussi à rappeler leurs responsabilités à ces entreprises.
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