Jan Jambon © Belga

À quel point l’attaque contre la VRT est-elle dangereuse ?

Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

La VRT doit virer à droite. Après des années de guérilla de certains membres de la N-VA contre la radiotélévision publique flamande, le ministre-président flamand Jan Jambon ne mâche plus ses mots à l’encontre de la VRT. Quelles sont les conséquences?

Peu de parties de l’accord de coalition flamand sont aussi claires que le chapitre sur les médias. En 22 points, le gouvernement Jambon explique comment il entend redessiner le paysage médiatique flamand au cours des cinq prochaines années, et donc aussi la VRT. « La VRT propose un large éventail d’opinions sur son site d’information et dans ses programmes », indique l’accord de coalition sur la VRT. « À la N-VA, nous pensons que la gauche dispose d’un forum trop large par rapport à sa pertinence sociale. Cela demande une correction », a déclaré le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA) à Humo.

Depuis l’entrée en fonction du gouvernement de Jambon, la N-VA a indiqué clairement qu’elle visait la VRT. « Les émissions Het journaal de Terzake ne nous posent pas de problème. Mais De Afspraak, c’est un problème », déclarait un membre anonyme de la N-VA à De Morgen, il y a quinze jours. Ce n’est pas très surprenant. Pendant des années, des personnalités de la N-VA comme Theo Francken et l’ancien président de la Chambre (et ancien journaliste de la VRT) Siegfried Bracke ont vivement critiqué le service d’informations de la radiotélévision publique sur Twitter. En 2016, Bart De Wever avait déjà reproché à la VRT une blague sur Pol Van Den Driessche qu’il trouvait « à vomir ». Il faut dire que le président de la N-VA a toute une liste de médias avec lesquels il est en conflit. Il ne veut plus parler au Standaard, au Vif/L’Express ou encore au Soir. La différence avec la VRT c’est que pour son financement, elle dépend largement des politiciens qui le critiquent aujourd’hui.

Un chronomètre

De telles attaques contre la VRT sont-elles inédites? « Je suis désolé de devoir vous dire que cela n’a rien de nouveau », répond l’ancien journaliste Walter Zinzen. « J’ai une impression de déjà-vu ». Zinzen a travaillé pour la radiotélévision publique de 1967 à 2002. « Dans les années 80, le bureau du CVP commençait par quinze minutes d’insultes destinées à la VRT. C’était une habitude fixe », dit-il. « Les libéraux étaient tout aussi insatisfaits du radiodiffuseur public et les socialistes étaient également contre nous. C’est pourquoi VTM a été fondée- en 1989. Ce n’était pas l’initiative d’acteurs privés, mais de partis politiques qui ont demandé aux éditeurs de journaux s’ils ne voulaient pas créer leur propre chaîne ».

« Ce que fait la N-VA n’est effectivement pas nouveau », déclare l’analyste politique Rik Van Cauwelaert. « Tous les partis politiques qui arrivent au pouvoir et qui connaissent des difficultés tentent d’en blâmer la VRT. C’est la même chose que par le passé, et cela se passe dans toute l’Europe. La radiotélévision publique l’a toujours fait. Les sondages ne semblent tout simplement pas bons pour la N-VA, ce qui contribuera certainement à la nervosité. Aujourd’hui, je n’entends pas Tom Van Grieken (président du Vlaams Belang, ndlr) se plaindre de la VRT. »

La seule différence avec les autres politiciens, c’est que les N-VA critiquent la VRT ou d’autres médias mainstream. Les journalistes de la VRT n’ont pas besoin de dîner avec les N-VA pour savoir ce qu’ils pensent de leur travail, ils le lisent sur Twitter et Facebook ou dans d’autres médias. De cette façon, la réputation de la VRT est minée tweet après tweet.

Reste à savoir si Jan Jambon a raison de critiquer ? La VRT est-elle trop à gauche ou la gauche reçoit-elle un forum plus grand que ce qu’elle ne mérite réellement ? L’accord de coalition flamand promet de « développer un contrôle de qualité et des rapports internes et externes approfondis ». Knack a fait le test et, depuis le début de l’année, il a analysé les invités présents dans les studios de Terzake et De afspraak. Une surreprésentation de la gauche n’en ressort pas, bien que l’importance de ces chiffres soit relative. Le contenu des programmes d’information est dicté par l’ordre du jour de la journée et, bien entendu, on ne tient pas compte des invités qui ont refusé une invitation.

La VRT elle-même ne tient pas systématiquement à jour les invités qui apparaissent dans ses programmes. « Cela n’est surveillé de très près que pendant la période qui précède les élections », souligne Steven Samyn, le rédacteur en chef des émissions d’analyse. « Depuis de nombreuses années, le critère pour cela a été le résultat des élections précédentes au même niveau. »

« Pendant les périodes non électorales, nous essayons en général de garder l’équilibre », semble-t-il. « Mais il n’est pas illogique que des membres du gouvernement figurent plus souvent dans des émissions tels que Terzake », dit Samyn. « S’il y a une explosion ou si un condamné s’évade de prison, vous voulez en priorité le ministre de l’Intérieur ou le ministre de la Justice. »

Choqué

Personne n’est invité aussi souvent que l’ancien rédacteur en chef de Knack et commentateur pour De Tijd, Rik Van Cauwelaert. « Cependant, je serais un peu choqué s’ils me qualifiaient de gauche », dit Van Cauwelaert. « Dans De afspraak, je vois régulièrement des invités tels que Rik Torfs ou Mia Doornaert. Vous aussi vous les offenserez si vous dites qu’ils sont de gauche. Donc Jan Jambon a vraiment tort. Les N-VA sont très bien représentés dans toutes les émissions de nouvelles et de talkshows. Que veut-il d’autre ? J’ai parfois l’impression que la N-VA essaie de se venger de la VRT. Je ne sais juste pas pourquoi. »

Siegfried Bracke ne partage pas son avis. Il est un homme libre depuis qu’il n’a pas été élu aux élections du 26 mai, mais il partage toujours les critiques de la N-VA. « Ce n’est pas seulement une question de chiffres », dit Bracke. « Tout peut être prouvé avec cela. J’ai déjà entendu dire que dans de tels cas, les politiciens qui sont invités et ceux qui ne viennent pas devraient aussi être comptés. Pouvez-vous imaginer ça? Chaque jour, ils demandent à Bart De Wever et mettent une ligne derrière son nom, de sorte que les N-VA représentent 80% du nombre total de politiciens demandés. »

Alors quel est le problème ? Pour Bracke :  » il s’agit d’une pensée unique qui règne à la VRT, et qui est gauche et verte. Quand j’étais journaliste et que je parlais à quelqu’un de gauche, j’adoptais une approche de droite. Pour un politicien de droite, je faisais l’inverse. C’est fini : toutes les questions sont posées avec une approche vaguement à gauche, et surtout très verte. Sauf quand quelqu’un veut toucher aux nombreuses voitures de société des journalistes de la VRT. »

Tout le monde n’est pas d’accord. « Dire que la VRT est à gauche ou que la N-VA et le Vlaams Belang n’entrent pas suffisamment en ligne de compte, c’est vraiment exagéré », déclare Eric Van Rompuy, (CD&V). Il n’était pas seulement ministre des médias dans les années 90, il a également été membre de la commission des médias du Parlement flamand jusqu’en 2014. « La VRT n’est évidemment pas une chaîne nationale flamande, qui doit servir de propagandiste du nationalisme flamand. Jan Jambon veut que la VRT soit le héraut de ses opinions, ce qui est typique des politiciens nationalistes. Ce sont des étatistes qui veulent toujours exercer une emprise sur les médias. »

Négationnistes climatiques

Dans Humo, Jan Jambon a déjà suggéré une nouvelle voix à la VRT. Lorsqu’on lui a demandé si c’était une bonne idée de donner la parole à un négationniste climatique, le ministre-président a dit oui. « Un certain segment de la population est méfiant et pense : ils ne laisseront jamais ces sceptiques du climat avoir leur mot à dire, alors ils doivent avoir raison », a-t-il dit. « Invitez une telle personne, au besoin en la montrant sous son vrai jour. (…) Dans une démocratie, on ne peut pas avoir peur d’une opinion dissidente, n’est-ce pas ? »

Pas de radio- et télédiffusion d’État

Comment cela finira-t-il ? Selon De Morgen, les rédacteurs en chef du service d’information sont en train d’essayer d’entamer un dialogue avec les partenaires de la coalition du gouvernement Jambon, pour voir s’ils peuvent résoudre certains problèmes en les « atténuant ». Les rédacteurs en chef ne doivent pas aller voir les partis pour demander ce qu’ils peuvent faire pour eux « , dit Walter Zinzen à propos de cette approche. « C’est une réaction dictée par la peur. J’espère aussi qu’elle ne fera pas d’hypercorrection. Het Journaal avait un rédacteur en chef libéral et socialiste, qui voulait éviter à tout prix d’être soupçonné de partialité. En conséquence, chaque jour, il voulait des nouvelles du Pape dans le JT, afin que les catholiques ne puissent pas se plaindre. Cela ne doit pas se produire. Le service d’information doit continuer à faire son travail discrètement, selon les règles de la déontologie journalistique. J’espère également qu’un certain nombre d’hommes politiques du Parlement flamand prendront enfin la défense de la VRT. »

Dès l’année prochaine, la N-VA, avec le Vlaams Belang – qui passe de zéro à deux sièges – pourra nommer la moitié des membres du conseil d’administration. Bart De Wever a déjà son chef de cabinet anversois Philippe Beinaerts, au conseil d’administration, et il y a de bonnes chances pour que la N-VA puisse bientôt également en assurer la présidence. Pour l’instant, il s’agit de l’ancien ministre-président flamand Luc Van den Brande (CD&V). C’est aux journalistes et aux rédacteurs en chef du service d’information de garantir l’objectivité de leur travail », dit-il dans une courte réaction. Je pense aussi qu’ils y parviendront. C’est ce qui ressort des évaluations du régulateur flamand des médias et de l’Union européenne de radiotélévision. Comme les membres du conseil d’administration, les hommes politiques ne peuvent pas non plus intervenir dans le contenu des programmes. La VRT est un service public et non d’État, c’est une grande différence. »

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