A Liège, «certains quartiers restent oubliés»
L’architecte-urbaniste Eve-Marie Kairis reconnaît le processus de transformation de Liège, défend plusieurs projets et appelle à ne pas en laisser d’autres sur le carreau.
Eve-Marie Kairis connaît bien les projets censés remodeler la ville de Liège. En tant qu’architecte-urbaniste au bureau d’études Pluris, elle a travaillé sur l’un ou l’autre aspect de ceux-ci. Comme citoyenne, elle les a tous jaugés à l’aune de la vision contemporaine du territoire qu’elle défend.
La nouvelle ligne de tram devrait être inaugurée dans quelques mois. En parallèle, plusieurs projets existent sur le territoire. La Cité ardente est-elle à l’aube d’un profond changement?
Liège est entrée dans un processus de métropolisation et va enfin voir le résultat de ses ambitions. Il existe une série de projets en cours d’élaboration ou de réalisation. Mais il existe aussi, et c’est beaucoup plus récent, ce que les décideurs communaux ont appelé le «projet de ville», avec, en son cœur, des ambitions et des visions à l’horizon des vingt prochaines années, au moins. Régénérations immobilière et foncière, instauration de liaisons entre la vallée et les coteaux, protection des zones alimentaires, intensification des hubs de mobilité: il y a là tout un programme d’aménagement mais aussi de protection du territoire qui pourrait effectivement modifier la cité.
Liège va enfin voir le résultat de ses ambitions.
L’extension du stade de Sclessin, l’agrandissement du shopping Belle-Ile, la rénovation du Val Benoit… Ces projets sont déjà un peu datés, non?
Certains sont effectivement plus vieux que d’autres. C’est principalement dû à la lenteur des procédures administratives inhérentes à de tels chantiers. Les discussions sur l’extension de Belle-Ile, par exemple, sont très anciennes. En tant que tel, le centre commercial est situé dans un quartier plus excentré et ne répond plus entièrement aux ambitions de développement territorial. L’enjeu, aujourd’hui, est de parvenir à le connecter au centre urbain, par une seconde ligne de tram, une passerelle pour les modes actifs, etc., et aux futurs espaces à haut potentiel de régénération foncière qui l’entourent (le boulevard dit «de l’automobile», la friche «Grosses Battes»…).
Si Paradis Express ou la rénovation du Val Benoit sont parfois critiqués, on leur reconnaît néanmoins une qualité: ils participent à «réparer» la ville de certaines plaies ou vides. Vous êtes d’accord avec cette idée?
Tout à fait. Si on prend Paradis Express, il manquait un quartier digne de ce nom autour de la nouvelle gare TGV monumentale de Calatrava. Le projet vient combler ce besoin avec une certaine ambition. Quant au Val Benoit, il faut s’en souvenir: on avait là une véritable friche voici encore quelques années alors que le site a aujourd’hui complètement changé de visage. J’ajouterais à ces deux projets celui du Pôle des Savoirs, à Bavière. Là aussi, le projet a permis de gommer une partie de la friche et de créer aux alentours des espaces de vie de qualité susceptibles de redonner l’envie à certains d’habiter le centre-ville. Mes doutes sur ce Pôle sont ailleurs. Notamment dans le fait qu’en décidant d’y implanter la bibliothèque des Chiroux, on risque de faire de l’îlot du centre-ville, où elle se trouve actuellement, un nouveau chancre urbain, puisque le siège d’Ethias, qui y est également localisé, doit bientôt déménager vers l’écoquartier de Coronmeuse. Des réflexions émergent au sujet de cet îlot, il serait notamment question d’y implanter des facultés de l’ULiège, ce qui aurait tout son sens vu les difficultés d’accessibilité au campus du Sart-Tilman.
Tous ces projets vous semblent-ils indispensables? Construire un nouveau Liège Expo était-il vraiment nécessaire?
La construction de l’écoquartier de Coronmeuse impliquait de déplacer les anciennes halles et donc d’imaginer le projet Liège Expo. De mon point de vue, ce dernier a le mérite de s’inscrire dans le redéploiement du quartier de Bressoux-Droixhe, dont l’image est encore négative aujourd’hui. C’est une stratégie assez commune en aménagement du territoire: se focaliser sur un élément fort et espérer le déclenchement d’une dynamique positive. Liège Expo est, en outre, un des seuls projets situés sur la rive droite de la Meuse. Cela me permet de souligner que certains quartiers, et souvent pas les plus simples, n’ont pas encore reçu l’attention qu’ils méritaient en vue de nouveaux projets. C’est parce qu’il faut la leur accorder que je défends, avec d’autres, la construction d’une seconde ligne de tram.
Ces nouveaux espaces de vie de qualité pourraient redonner l’envie d’habiter le centre-ville.
La région liégeoise a été fortement frappée par les inondations de l’été 2021. Les projets en train de sortir de terre prennent-ils en compte l’urgence climatique?
Excepté celui de la basilique de Cointe, tous, me semble-t-il, ont été pensés avant l’été 2021. Ce qui explique que le risque d’inondations n’y soit pas pleinement pris en compte. Néanmoins, on peut se réjouir de la place accordée à la végétation dans certains d’entre eux et des aménagements limitant l’usage de la voiture individuelle. Pour ma part, j’en suis convaincue: en aménagement du territoire, on doit aujourd’hui tenir davantage compte du risque d’inondations et de tous les effets liés au changement climatique. En amont de Liège, cela signifie pouvoir créer des zones de rétention et désinscrire des terres aujourd’hui urbanisables au plan de secteur. A Liège, il est par ailleurs indispensable de «désimperméabiliser» certains sols, même si on ne peut pas développer partout de grandes pelouses.
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