À Bruxelles Propreté, le temps des réformes est arrivé
Pour la première fois depuis 2004, l’agence ne dépendra plus d’une tutelle socialiste mais écologiste. Il y a du changement dans l’air : faire pire devenait difficile. Sur ce constat, tous les négociateurs étaient d’accord. Y compris les socialistes.
Quinze ans que le Parti socialiste exerçait la tutelle sur la propreté publique à Bruxelles, donc sur l’agence Bruxelles Propreté (ABP) ! C’en est fini. C’est désormais l’écologiste Alain Maron qui s’y colle. Qui s’y colle, car ni Ecolo ni aucun des autres partis présents à la table de négociations bruxelloises n’était demandeur. » Nous sommes tous partis de l’idée qu’il fallait des changements dans la gestion des compétences. C’est plus sain, justifie diplomatiquement Laurette Onkelinx, négociatrice socialiste en chef à Bruxelles. Or, le PS gérait le département de la propreté publique durant ces dernières législatures. » Depuis 2004, Emir Kir, Rachid Madrane et Fadila Laanan se sont succédé au pilotage politique de cet organisme public en charge du ramassage des déchets ménagers et du balayage des voiriesWrégionales de la capitale.
Pourtant, au sein du gouvernement bruxellois, on ne peut pas dire qu’on se batte pour emporter la floche de la propreté publique. » C’est une compétence casse-gueule, résume, poète, un des négociateurs, et cette fois, le PS n’en voulait plus du tout. » Lorsque, l’un après l’autre, les partis de la nouvelle majorité choisissent les paquets de compétences qu’ils souhaitent exercer pour la législature à venir, il en reste toujours trois, héritages de l’ancienne Agglomération bruxelloise, pour lesquelles on ne se bat pas : les taxis, la propreté publique et le Siamu (aide d’urgence). Les élus qui décrochent ces deux derniers postes savent qu’ils n’auront pas la vie facile. Que les éboueurs ou les pompiers, mécontents, partent en grève et voilà la ville paralysée. Et son ministre de tutelle vilipendé. » A la moindre tentative de réforme chez Bruxelles Propreté, on assiste à une levée de boucliers syndicale, observe un membre du gouvernement sortant. Franchement, ce n’est pas un cadeau. La capacité de nuisance des syndicats est très forte. »
En 2014, Fadila Laanan (PS), la dernière secrétaire d’Etat en charge de l’ABP, n’était pas demandeuse. Au contraire. » La propreté touche beaucoup les gens et recouvre des enjeux d’égalité, arguait pourtant Yonnec Polet, secrétaire fédéral de la Fédération bruxelloise du PS, interrogé il y a quelques mois par Le Vif/L’Express. Il y a moyen d’avoir une vraie politique de gauche par ce biais : c’est un outil d’emplois infraqualifiés et bruxellois. Les autres partis ne s’y intéressent peut-être pas ou en ont peur. » Aucun ne veut en tout cas courir le risque que le pétard de la saleté publique lui explose au visage. » En 2004, éclaire Evelyne Huytebroeck, ancienne ministre bruxelloise Ecolo, j’ai choisi l’Energie et l’Urbanisme parce que ces deux compétences se tenaient. » En 2009, un autre écologiste, Christos Doulkeridis, avait préféré le Logement à la Propreté publique. C’est dès lors chaque fois le PS qui a pris ce département en charge.
» En 2014, le PS voulait nous donner cette compétence, se souvient un chef de cabinet. Nous n’avons pas voulu. La maison Bruxelles Propreté, gérée par un directeur – Vincent Jumeau – étiqueté PS depuis son passage dans les cabinets d’Eric Tomas et d’Emir Kir, est impossible à réformer. Or, il y a évidemment des cadavres dans ses placards. »
C’est, semble-t-il, ce que tous les négociateurs bruxellois pensaient, ou, du moins, craignaient lors de la confection de leur déclaration de politique générale, cet été. Avant même que la compétence de la Propreté publique soit attribuée, tous se sont mis d’accord, sur la proposition de la coprésidente Ecolo, Zakia Khattabi, pour que la responsabilité politique des décisions à prendre à propos de Bruxelles Propreté soit assumée collectivement au sein du gouvernement et non par son seul ministre de tutelle. » Il y avait une conscience collective que c’était le bordel à l’ABP et le PS ne le niait pas. Pendant la négociation, des blagues récurrentes sur le sujet ont d’ailleurs fusé entre nous « , raconte l’un des participants à la discussion. On comprend que l’heureux élu, un écologiste finalement, refuse par avance de (sup)porter seul les conséquences des mauvaises surprises, budgétaires ou judiciaires par exemple, qui pourraient encore tomber dans ce dossier alors que le PS était à la manoeuvre depuis quinze ans. » Disposer des compétences de l’Energie, de l’Environnement et de la Propreté est, en fait, une bonne nouvelle pour nous, assure le nouveau ministre, Alain Maron. Ça nous offre beaucoup de perspectives pour agir dans un esprit d’économie circulaire. » Mais pour y parvenir, l’ABP devra muter, forcément.
Un bureau de recrutement public ?
Mais alors pourquoi diable le PS a-t-il tant tenu, par le passé, à piloter l’ABP ? Pour camoufler ces encombrants cadavres lovés dans des placards, comme le suggèrent certains ? Parce qu’il pense être le seul à pouvoir y garantir la paix sociale ? » Pour des raisons électoralistes « , accusent d’aucuns. Rien ne le prouve. Seule certitude : Bruxelles Propreté est une machine à créer de l’emploi, singulièrement auprès du personnel jeune, infraqualifié et sans travail dont Bruxelles regorge. Entre 2014 et 2018, le nombre d’agents chez ABP est passé de 2 399 à 2 891, soit une augmentation de plus de 20 %.
» On y recrute des gens dont on ne sait pas quoi faire, martèle un observateur. Après dix ans comme éboueurs, ils sont cassés et il faut leur trouver une autre fonction. Du coup, tout est bon pour créer de l’emploi, au point de friser l’occupationnel. L’ABP est un bureau de recrutement public plus qu’un récolteur public de déchets. Si les engagements correspondaient à une augmentation de la qualité du service public rendu, j’applaudirais. Mais je ne vois rien venir. »
Epinglée pour avoir couvert, voire provoqué le » bordel » déjà évoqué, la secrétaire d’Etat Fadila Laanan avait annoncé au parlement bruxellois, en novembre 2018, que l’agence ferait l’objet de quatre audits : l’un sur la comptabilité analytique, pour distinguer les activités commerciales des activités de service public, un autre sur ses structures, le troisième sur la gestion, et le dernier sur son fonctionnement interne. » Les résultats des audits sont attendus au plus tard pour la fin du premier trimestre 2019, avait assuré Fadila Laanan, afin de fournir une base de réflexion pour la déclaration de politique générale du prochain gouvernement. »
Raté : en juillet de cette année, les audits n’ont toujours pas été tous lancés et aucun n’a encore livré de résultats. Dommage. Le ministre Alain Maron dit attendre sereinement ces conclusions, répétant qu’il ne veut le scalp de personne. » Les importants problèmes de management à l’agence, on les dénonce depuis des années, peste Michel Pirsoul, délégué permanent du syndicat SLFP. Ce qu’on attend du nouveau gouvernement, c’est d’abord qu’il remette de l’ordre dans la maison à ce niveau. » » Nous ferons d’ailleurs nous-mêmes des propositions de réformes des structures au ministre « , embraie Stéphane Vercauteren, délégué permanent de la CSC services publics.
La direction… aux barricades
Le vent tourne. La direction de Bruxelles Propreté, qui n’est sans doute pas exempte de reproches, se plaint désormais elle-même de la situation. Dans une note adressée aux formateurs du nouveau gouvernement bruxellois, son comité de direction déplore que plusieurs décisions prises par la Région aient conduit à un sérieux déficit budgétaire. Si, jusqu’en 2016, la dotation et les recettes propres suffisaient à couvrir le coût des politiques décidées, ce n’est plus le cas depuis 2017. Cette année, le budget devrait afficher un déficit de 8,45 millions d’euros. » Aucune mesure structurelle n’a été mise en oeuvre pour tenter de résorber la situation « , regrette le comité de direction, laissant entendre que seules les autorités politiques pouvaient agir. Si l’on ajoute à ce premier déficit la retenue sur dotation imposée à l’ABP par le tribunal dans le cadre de sa condamnation pour des activités commerciales en concurrence illégale et une provision de neuf millions d’euros pour les frais de personnel, le montant global à financer pour cette année pourrait atteindre 51,6 millions d’euros.
» Ce déficit trouve son origine dans l’inadéquation entre les moyens humains nécessaires pour mener les réformes décidées et les moyens financiers octroyés « , accuse l’ABP, pointant directement la responsabilité de la Région et plus précisément celle de Fadila Laanan. Sur les 435 employés engagés ces cinq dernières années, seul un tiers est couvert par une augmentation de la dotation.
La direction déplore également que peu de mesures incitatives aient été mises en place ces dernières années en matière de politique des déchets. » L’absence de cadre de discussion clair et établi entre l’administration et le ministre de tutelle a mené à des crispations inutiles et provoqué un climat de travail non propice à l’atteinte d’objectifs généraux « , relève-t-on encore dans cette note. C’est peu dire : les relations entre le directeur de l’agence et sa ministre de tutelle étaient à couteaux tirés. La direction appelle dès lors au retour d’un dialogue serein. » L’exécution opérationnelle doit rester la prérogative de l’agence, estiment encore, en choeur, les directeurs. Les interférences dans les processus de recrutement, de promotion ou de procédure disciplinaire doivent être bannies. » » Ce qui donne à penser que l’ex-secrétaire d’Etat n’était pas avare de ce type d’interventions. Enfin, les marchés publics devraient faire l’objet d’un suivi rigoureux : il est aujourd’hui qualifié de » déficient « . Et vlan.
De deux choses l’une. Soit Bruxelles Propreté se sent enfin libre d’exprimer tout haut ce qu’elle pensait auparavant tout bas, dès lors que Fadila Laanan n’est plus en poste et que le PS a passé le relais. Soit elle se présente opportunément comme demandeuse de changements de fond alors qu’elle ne l’a pas fait publiquement ces cinq dernières années, voire même qu’elle s’y est opposée. Dans ce cas, la démarche de la direction ressemble davantage à un sauve-qui-peut.
Le nouveau gouvernement bruxellois affirme en tout cas qu’un certain nombre de réformes s’imposeront à l’Agence. Dans sa déclaration de politique générale, elles occupent quatre pages pleines.
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