À Bruxelles, il faut 10 ans de salaire pour être propriétaire
L’immobilier de la capitale se monnaie à prix d’or et les revenus moyens de ses habitants figurent parmi les plus bas du pays. Un paradoxe.
Chaque année, le SPF Economie publie la liste des communes belges triées en fonction du revenu moyen de leurs habitants. Un classement à retardement puisqu’il est fondé sur la dernière année fiscale dépouillée. En décembre 2017, c’était au tour de l’année 2015 d’être passée en revue. Et, sans surprise, c’est un chapelet de communes flamandes qui occupe le top 10 des entités les plus riches du pays (Sint-Martens-Latem, Keerbergen, De Pinte, Oud-Heverlee, Hove…), le revenu moyen de leurs habitants dépassant de 36 à près de 56 % la moyenne nationale. Seule Lasne déroge au monopole flamand, faisant une incursion à la 9e place du classement.
Il est en revanche surprenant de constater qu’à l’autre bout du tableau, sur les dix communes belges dont les habitants se contentent du revenu moyen le plus bas, sept sont bruxelloises. Il eut été plausible d’y voir une répartition plus égalitaire, à tout le moins plus nuancée, entre entités de la capitale et entités wallonnes – dont certaines, hennuyères et liégeoises notamment, sont bien connues pour figurer parmi les moins favorisées du pays. Trois exceptions seulement figurent à ce classement : Farciennes, Dison et Colfontaine. Pour le reste, c’est Saint-Josse-ten-Noode qui détient le titre de la commune la plus pauvre de Belgique, le revenu moyen de ses habitants n’atteignant même pas la moitié de la moyenne nationale (- 50,9 %). Suivent Molenbeek-Saint-Jean (- 42,3 %), Anderlecht (- 35,1 %), Schaerbeek (-34,8 %), Bruxelles-Ville (- 31 %), Saint-Gilles (- 29,7 %) et Koekelberg (- 29,3 %).
De quoi bien évidemment poser la question de l’accessibilité à la propriété de ces populations fragilisées compte tenu du coût élevé de l’immobilier en Région bruxelloise. En calculant le ratio entre le revenu brut moyen des ménages (tel qu’il figure sur leur déclaration fiscale) et le prix moyen des maisons et appartements des 19 communes de la capitale, on détermine le nombre d’années de travail nécessaires aux Bruxellois pour y acquérir un bien. Le Vif/L’Express s’est plié à l’exercice sur une période de cinq ans courant de 2011 à 2015.
1.Bruxelles est mal lotie par rapport aux deux autres Régions. Selon les dernières statistiques en date, s’il consacre l’ensemble de ses revenus à l’acquisition d’un bien immobilier, le ménage wallon moyen doit travailler pendant six ans d’affilée. En Flandre, ce ratio est de 7,5 ans. En Région bruxelloise, par contre, les candidats acquéreurs doivent capitaliser l’équivalent de… dix années de labeur (10,2 très exactement) pour passer le cap de la propriété.
2. Une maison est deux fois plus accessible à Berchem-Sainte-Agathe qu’à Ixelles. Ce qui ne veut pas dire que les maisons sont moins chères à Berchem-Sainte-Agathe – c’est la commune de Molenbeek-Saint-Jean qui remporte la palme – mais qu’en 2015, le rapport entre le revenu moyen des ménages y résidant et le prix moyen des maisons qui y sont implantées est le moins élevé : 10,1. A l’inverse, le ratio grimpe jusqu’à 21 années de salaire à Ixelles, talonnée par Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Gilles et Etterbeek. Outre Berchem-Sainte-Agathe, les communes bruxelloises où l’immobilier est (un peu) plus à portée de la bourse de leurs habitants sont Ganshoren et Jette.
3. C’est à Bruxelles-Ville que les appartements sont comparativement les moins accessibles. Le ratio prix/revenus y est en effet de 10,3 en 2015. D’autres communes affichent des résultats similaires : Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Gilles et Etterbeek. Il est par contre relativement plus aisé pour un ménage domicilié à Berchem-Sainte-Agathe, Ganshoren ou Jette de financer l’achat d’un appartement.
4. Les communes bruxelloises connaissent des destins différents en cinq ans. Sur le plan des maisons tout d’abord, le nombre d’années de revenus nécessaires à l’acquisition immobilière a fortement crû entre 2011 et 2015 à Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Gilles, Ixelles et Etterbeek. La raison ? Les deux premières ont vu les prix de leurs maisons enregistrer des hausses vertigineuses (+ 28 % à Saint-Gilles et + 26 % à Saint-Josse-ten-Noode) tandis que les revenus moyens de leurs habitants n’ont respectivement gagné que 9 et 6 %. A Ixelles et Etterbeek, le boom du prix des maisons (+ 29 et + 26 %) est toutefois compensé par une augmentation du niveau de vie de leurs habitants. A contrario, le ratio prix/ revenus décroît perceptiblement en l’espace de cinq ans à Woluwe-Saint-Pierre, Uccle, Koekelberg et, surtout, Watermael-Boitsfort grâce à une progression des prix plus modérée.
En ce qui concerne les appartements, les évolutions les plus remarquables sont à épingler à Ixelles et Woluwe-Saint-Pierre, stagnation du prix des biens (+ 1 à + 3 %) et hausse des revenus des habitants à la clé. Tout l’inverse de Saint-Josse-ten-Noode, dont le prix des appartements a grimpé en flèche (+ 21 %) sans que le niveau de vie de sa population ait suivi.
5. Revenus moyens et prix de l’immobilier sont intrinsèquement liés. Julien Manceaux, Senior Economist chez ING Belgium, réserve ses commentaires aux statistiques portant sur les appartements – les ventes de maisons, peu nombreuses en Région bruxelloise, tendent à fausser les interprétations. En la matière, l’expert pointe tout de suite Saint-Josse-ten-Noode, dont » le ratio prix/ revenus a explosé en cinq ans de temps « , signe que le parc d’appartements de la commune est de moins en moins accessible à ses habitants. » Des communes comme Uccle et Forest sont aussi en proie à une évolution plus rapide des prix des appartements que des revenus disponibles parce que certains de leurs quartiers sont encore en transition par rapport aux autres. Ils ne sont pas nécessairement très cotés et sont donc populaires à l’achat. » Idem pour Bruxelles-Ville. Ixelles, Jette ou Schaerbeek voient le ratio prix/revenus baisser sur leur territoire, les prix y évoluant assez peu. Parce qu’ils avaient déjà pas mal grimpé par le passé mais aussi parce que les revenus de leurs habitants subissent un effet de » rattrapage « . » Woluwe-Saint-Pierre est un cas particulier, conclut Julien Manceaux. La commune a une population plutôt âgée, aisée et composée pour beaucoup de propriétaires occupants. Les transactions, peu nombreuses, sont surtout le fait d’investisseurs.
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