Marc Vandepitte
26 mai : « L’homme blanc en colère et le crétin à droite »
Pour de nombreux observateurs politiques en Flandre, le résultat du 26 mai a été une surprise, mais pas pour les gens sur le terrain. Ils ont vu beaucoup d’électeurs en colère ainsi qu’une grande aversion pour la politique traditionnelle. Cette colère prend de plus en plus des proportions inquiétantes. Il est grand temps de prendre les choses en main.
Aversion de la politique et appel à un homme fort
En Flandre, le grand nombre d’électeurs en colère s’est fait remarquer lors des visites à domicile dans la période précédant l’urne. « Vous êtes des remplisseurs de poches », « vous promettez toutes sortes de choses, mais ne nous écoutez jamais » , »que nous votions ou non, cela ne change rien », ….
De récents sondages d’opinion confirment ce cocktail de désintérêt, de méfiance et d’aversion. Moins de 30 pour cent de la population flamande fait encore confiance aux institutions et aux politiciens flamands ou fédéraux. Pour les jeunes, ce n’est que 18 pour cent. De plus, il y a une tendance plus alarmante parmi eux. Un quart des nouveaux électeurs – âgés de 18 à 23 ans – sont favorables à un dirigeant autoritaire. Dans le cas des jeunes en formation professionnelle, ce pourcentage atteint même 57 pour cent !
Faillite des partis traditionnels
Plusieurs facteurs expliquent les doutes sur la démocratie et les voix contestataires ou d’extrême droite.
La politique néolibérale a entraîné un déclin constant de l’État-providence. Cela crée de l’incertitude pour un grand nombre de personnes: puis-je toujours trouver un logement abordable ou un emploi permanent à temps plein? Aurai-je une pension plus tard ? Les gens voient que des économies se sont réalisées sur le capot des malades, des chômeurs ou des retraités, et que les riches s’en tirent à bon compte.
Tous les partis traditionnels, quelle que soit leur couleur, ont participé à cette politique ou l’ont appuyée. Les politiciens continuent de s’offrir des salaires élevés, des pensions substantielles et des indemnités de départ scandaleuses.
Fermeture de grandes entreprises, austérité, règles plus strictes de l’UE, des milliards de dollars reversés aux paradis fiscaux, évasion fiscale des grandes entreprises, les politiciens ne cessent de répéter qu’ils n’y ont aucun contrôle. Le pouvoir n’est apparemment pas dans les mains des « élus », mais d’une puissante clique de banquiers, de PDG et de technocrates. À quoi sert d’aller voter, beaucoup de gens s’interrogent à juste titre.
La chambre d’écho de fausses nouvelles
Et puis il y a les réseaux sociaux. Facebook, Twitter, YouTube et Instagram jouent un rôle de plus en plus important en tant que source d’informations. Ils sont déjà les sources les plus importantes parmi les jeunes de 18 à 24 ans. Les médias sociaux non seulement diffusent des messages, ils déterminent également en grande partie le débat politique.
Le média Facebook crée l’effet d’une chambre d’écho. Vous n’entendez et ne voyez que les arguments et les opinions de personnes aux vues similaires, ce qui vous rend encore plus convaincu de votre propre opinion. Comme la courbe d’attention des utilisateurs de Facebook s’est limitée à moins de deux secondes par élément, il n’y a plus de place pour une argumentation nuancée ou équilibrée. Par conséquent, les débats deviennent de plus en plus intenses et rudes, et il y a une polarisation infranchissable.
Finalement, il y a l’aspect de fausses nouvelles. L’abondance d’informations et l’effet d’écho ont rendu de plus en plus difficile pour l’utilisateur de distinguer les fausses nouvelles de la vérité. Les responsables politiques doivent donc se préoccuper de moins en moins de la réalité.
Chauvinisme de la prospérité
Comme nul autre, le Vlaams Belang a pu estimer et utiliser l’influence des médias sociaux. Il était capable de capturer parfaitement la colère et les peurs de nombreuses personnes via les médias sociaux et de les traduire en un langage très simple et en des images puissantes.
Le parti n’a pas été entravé par des principes ou son idéologie. Dans le passé, le Vlaams Belang a voté avec enthousiasme toute une série de mesures antisociales et de droite au sein des parlements. Cela montre sa vraie nature. Mais pour gagner les faveurs de l’homme de la rue, il a rapidement copié un certain nombre de points de programme social de la gauche pendant la campagne électorale.
Le démantèlement de l’État-providence entraîne une pénurie de provisions sociales et de ressources. Cela stimule non pas seulement la concurrence perverse entre les personnes qui en dépendent, mais suscite également la question erronée, mais compréhensible de savoir qui en a droit ou pas. L « autre » ou « l’étranger » (le Wallon, le migrant, le réfugié, le chômeur, etc.) est alors rapidement perçu comme une menace pour sa propre prospérité. Le démantèlement de l’État-providence conduit presque automatiquement au protectionnisme social et au chauvinisme de la prospérité. Cela divise les gens et les oppose les uns aux autres. La responsabilité en revient aux partis traditionnels, mais c’est l’extrême droite qui en profite.
Guérilla médiatique
Quoi qu’il en soit, le Vlaams Belang en a fait pleinement usage. Il a diffusé en masse le message suivant : « Les habitants d’ici qui ont travaillé et cotisé toute leur vie touchent à peine une pension de 1 200 euros, tandis qu’un demandeur d’asile en reçoit 2 255 euros par mois dès le moment qu’il arrive. C’est vraiment une honte! » Pour le Vlaams Belang, c’est la preuve ultime que la politique laisse tomber son « propre » peuple au profit des réfugiés. C’est l’argument décisif pour convaincre les gens en masse de voter pour eux.
Pour faire accepter ce mensonge, le Vlaams Belang a mené une véritable guérilla médiatique. Pendant la campagne électorale, le parti de Van Grieken a dépensé plus en publicité sur Facebook que tous les autres partis flamands ensemble. Le parti a bombardé les gens avec des vidéos professionnelles, des mèmes, des images et des messages. Avec leurs bombardements numériques de masse, il atteignait jusqu’à 1,5 million de personnes par jour. Au cours des dernières semaines, il a principalement ciblé les jeunes électeurs âgés de 18 à 34 ans.
L’argument répond intelligemment au chauvinisme de la prospérité et le relie à une autre question très sensible, celle des réfugiés. Un problème qui prend des proportions mythiques depuis la crise d’asile de 2015. L’allégation dans le message est complètement loufoque. La réduction des cotisations patronales coûte 7,4 milliards d’euros par an à notre sécurité sociale. C’est presque dix fois plus que le « coût » des réfugiés. Ce ne sont donc pas les réfugiés qui mettent sous pression notre sécurité sociale, bien au contraire. En Europe, nous aurons d’ailleurs de plus en plus besoin de réfugiés et d’immigrants pour financer la sécurité sociale. Mais le Vlaams Belang s’en fiche. Si vous répétez un mensonge assez souvent, les gens le croiront tôt ou tard.
Fascisme numérique ?
La stratégie intelligente du Vlaams Belang en matière des médias sociaux ne tombe pas du ciel. Nous la voyons partout dans le monde. La propagande digitale était le secret derrière l’élection de Donald Trump, mais aussi celle de Javier Bolsonaro au Brésil et dans d’autres pays. Le cerveau derrière cette stratégie est Steve Bannon, alors chef de campagne de Trump. Il veut mettre en place une Internationale de « Nouveau Droit ». Récemment, il a été très actif en Europe, où il souhaite créer une académie ou, selon ses mots, « une école de guerriers pour les gladiateurs de demain ». Cette académie doit fournir les troupes de choc pour le fascisme numérique du 21e siècle.
Au début du mois de décembre, Le Vlaams Belang a invité Steve Bannon au Parlement flamand. Le gourou de alt-right aura sans aucun doute donné beaucoup de conseils à Van Grieken & Co. Il leur a peut-être chuchoté de garder toute référence au nazisme ou des messages trop rances et explicitement racistes à l’intérieur. Ou de proposer un certain nombre de mesures sociales pour être bien accueilli parmi la population active. Et surtout, de faire en sorte que la machine de propagande numérique fonctionne à pleine vitesse.
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La démocratie en crise
La percée du Vlaams Belang n’est pas un cas isolé, mais s’inscrit dans une tendance internationale. Nous ne pourrons pas arrêter cette tendance dangereuse en adoptant des positions populistes à l’égard des réfugiés et des migrants. On n’ éteint pas un incendie en jetant de l’huile dessus. Nous ne pourrons arrêter cette tendance que si nous mettons fin à la politique d’austérité et si nous renforçons à nouveau l’État-providence. Il faut sérieusement écouter les plaintes et les griefs de la population et mettre fin à la fusion des groupes d’intérêts politiques et puissants et aux privilèges de l’élite politique.
En outre, les médias sociaux devront également faire l’objet d’un contrôle démocratique. Yaniv Levyatan a probablement raison lorsqu’il déclare que « si les nazis étaient au pouvoir aujourd’hui, pendant la révolution numérique, ils dirigeraient le monde. » Nous ne pouvons pas permettre que cela se reproduise.
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