21 juillet: 20 tournants qui ont mené à la Belgique de 2020
La Belgique célèbre ce 21 juillet 2020 ses 190 ans. De nombreux événements ont contribué à faire de la Belgique ce qu’elle est aujourd’hui. Retour sur vingt d’entre eux, de 1944 à nos jours.
La Belgique célèbre ce 21 juillet 2020 ses 190 ans. Si les bases constitutionnelles l’ont définie comme Etat unitaire, les années 1970 ont été un tournant institutionnel puisque le pays y a entamé sa transformation progressive en Etat fédéral. Mais, dès avant, plusieurs événements ont contribué à la construction de l’édifice belge actuel. Retour sur vingt d’entre eux, de 1944 à nos jours.
1. 1944 et la nécessité d’un nouveau pacte social belge
Après la Seconde guerre mondiale, dans une Belgique dévastée, l’urgence de bâtir une nouvelle société fondée sur un nouveau pacte se fait sentir. Les autorités adoptent dès lors, le 28 décembre 1944, un arrêté-loi qui jette les prémices de notre système de sécurité sociale, basée sur la solidarité entre citoyens-contribuables, avec un système d’assurance obligatoire et une couverture de santé pour l’ensemble de la population.
2. 1944-1951 et la question royale
Bruxelles est libérée par les forces alliées en septembre 1944. Le Gouvernement Pierlot rentre en Belgique tandis que le roi est emmené en captivité en Allemagne, par les nazis, au lendemain du débarquement allié, où il est retenu. Les Chambres invoquent l’impossibilité de régner de Léopold III, au vu de son attitude (sa capitulation, son mariage avec Lilian Baels) durant la guerre. C’est son frère, le Prince Charles, qui est nommé régent du pays. Il le restera jusqu’au dénouement de la « question royale ».
Celle-ci se concentre sur la question du retour de Léopold III ou non en Belgique. Les positions sont bien différentes en fonction des partis : les communistes sont contre, les chrétiens sont pour, les libéraux sont partagés. La Belgique est aussi divisée en fonction des Régions du pays : lors de la consultation populaire, organisée pour tenter de sortir de la crise, le retour du roi est souhaité par 57,6 % de la population, dont 72 % en Flandre, 48 % à Bruxelles et 42 % en Wallonie.
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Lors des élections législatives de 1950, le parti catholique sort vainqueur et obtient la majorité absolue. Il demande le retour de Léopold III. Cependant, des émeutes à Liège et dans le Hainaut perturbent son retour. Le roi accepte d’abdiquer à condition que le trône revienne à son fils et deuxième enfant, Baudouin. Le 16 juillet 1951, Léopold III abdique. Le 17 juillet 1951, Baudouin prête serment.
Cette fracture communautaire laissera de profondes traces dans le pays. Depuis, plus aucun référendum décisionnel n’y a plus été organisé.
3. 1948 et le droit de vote des femmes
L’universalité du vote n’est pas totalement complète, en 1919, lorsque la Belgique tente de l’instaurer dans sa Constitution : les femmes ne peuvent ni voter ni se présenter aux élections, sauf en tant que veuve de soldat.
Il faudra vingt-neuf ans pour qu’on leur octroie le droit de vote : le 19 février 1948. Il faut attendre 1965 pour qu’une femme devienne ministre (avec Marguerite De Riemaecker-Legot) et 1985 pour qu’une autre accède aux fonctions de Secrétaire d’Etat (Miet Smet).
4. 1960 et la loi unique, la grande grève et le début du régionalisme wallon
Face à une crise économique cinglante, le gouvernement Eyskens lance un plan général d’économie visant à redresser les finances publiques. Il est baptisé « loi unique » et constitue un plan d’austérité d’une rigueur rare.
Les militants socialistes, communistes et syndicalistes, singulièrement wallons, s’y opposent et mobilisent leurs troupes : cinq semaines de grève durant l’hiver 1960-1961. Les revendications sociales vont progressivement virer aux revendications communautaires. Le mouvement syndicaliste d’André Renard pose là des jalons importants pour le régionalisme wallon.
5. 1962 et la frontière linguistique
La frontière linguistique entre francophones et Flamands est fixée le 8 novembre 1962. C’est une étape cruciale de l’évolution du pays : elle mène, huit ans plus tard, à la fin de l’Etat unitaire et au début de la fédéralisation. Bruxelles reste une zone bilingue englobée dans la partie néerlandophone du pays.
6. 1967-1968 et le « Walen Buiten »
Les années 60 sont marquées par une vague mondiale de contestations. En 1967, les étudiants flamands de l’Université de Louvain manifestent pour obtenir la scission de l’institution universitaire et le départ des étudiants francophones vers la Wallonie. L’Université deviendra la Katholieke Universiteit Leuven. Côté francophone, l’Université Catholique de Louvain s’installera à deux pas d’Ottignies, à Louvain-la-Neuve (tout un symbole !). Bien des années plus tard, en 1995, la province du Brabant se scinde, elle aussi, donnant naissance à la création du Brabant flamand et du Brabant wallon.
7. 1970-1978 et la disparition des partis nationaux
Durant les années 1970, c’est la fin des partis dits nationaux. Chaque formation politique se divise en une aile francophone et une autre flamande. Des partis strictement communautaires voient aussi le jour. En Flandre, la Volksunie, parti nationaliste, prône la création d’une Belgique fédérale. En Wallonie, le Mouvement populaire d’André Renard, fondateur de la FGTB et leader des métallurgistes liégeois, combine les revendications ouvrières et régionalistes. A Bruxelles et dans sa périphérie, le Front démocratique des Bruxellois francophones rassemble des intellectuels brabançons francophones dont le programme se centre sur la défense des francophones de Bruxelles.
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8. 1970 et la première réforme de l’Etat
Après 131 jours de crise gouvernementale, le gouvernement Eyskens marque l’histoire en proposant en décembre 1970 la première réforme de l’Etat avec la création de deux systèmes d’entités fédérées concurrentes : les Communautés culturelles (néerlandaise, française et allemande) et les Régions (wallonne et flamande, la Bruxelloise devra attendre).
A la tribune de la Chambre, Gaston Eyskens, Premier ministre, prononce des mots qui marquent le démantèlement d’une Belgique unitaire, bien que depuis longtemps divisée : « L’Etat unitaire, avec sa structure et son fonctionnement tels qu’ils sont actuellement réglés par les lois, est dépassé par les événements. (…) Les Communautés et les Régions vont prendre leur place dans des structures d’Etat rénovées et mieux adaptées aux situations propres au pays. » Autrement dit : « La Belgique de papa a vécu. »
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Par ailleurs, six mesures linguistiques sont prises : l’inscription de la frontière linguistique, les groupes linguistiques, les lois spéciales, la sonnette d’alarme (qui permet à un groupe linguistique, lorsqu’il estime ses intérêts lésés, de suspendre une procédure parlementaire), la parité au conseil des ministres et la traduction de la Constitution.
9. 1977 et l’échec du Pacte d’Egmont
En 1977, le gouvernement Tindemans propose une réforme institutionnelle fondamentale, à travers le Pacte d’Egmont. Ses principaux objets concernent la mise en place de conseils autonomes en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles ; un accord linguistique sur Bruxelles et sa périphérie avec l’instauration de quatorze communes à facilités et une limitation de Bruxelles à 19 communes ; la suppression des structures provinciales et la création de 25 sous-régions en remplacement ; une diminution du pouvoir de la Chambre et du Sénat, qui aurait un rôle de réflexion et qui représenterait les Communautés. L’épineux dossier BHV (l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde) est également mis sur la table avec sa scission entre Bruxelles-Capitale et le Brabant flamand.
Cette réforme, qui ne sera pas appliquée, aura comme conséquences majeures la scission du Parti socialiste belge et la création du Vlaams Blok par la branche de la Volksunie opposée au Pacte. L’échec du Pacte d’Egmont est souvent cité comme une étape importante ratée dans la pacification communautaire du pays.
10. 1980 et les Régions flamande et wallonne, avant Bruxelles
En 1980, deuxième réforme du Royaume. Elle est marquée par le développement des Communautés et la mise en place des Régions : avec les Communautés française, flamande et germanophone (et non plus néerlandaise et allemande). Les Régions se voient attribuer de nouvelles compétences sauf la Région bruxelloise : elle ne sort du frigo politique dans lequel on l’a maintenue qu’en 1989.
11. 1987 et l’austérité, la fracture sociale et les Fourons
Le gouvernement Martens-Gol a créé de nombreuses fractures sociales en raison des politiques d’austérité imposées par une dette publique en plein dérapage. Le gouvernement tombe en 1987 à la suite de quatre dossiers majeurs :
- les syndicats des médecins entrent en conflit contre les mutuelles, accusées de détournement d’argent ;
- Guy Verhofstadt (parti libéral flamand) annonce une offensive contre la sécurité sociale ;
- un accord sur une proposition de loi sur l’avortement se prépare en commission parlementaire contre l’avis de la droite catholique. Cette question continue de faire vibrer les murs du Parlement fédéral, encore aujourd’hui ;
- le dossier des Fourons.
12. 1990 et l’abstention royale sur l’IVG
En 1990, Baudouin adresse une lettre au gouvernement lui indiquant qu’il ne pouvait, en âme et conscience, sanctionner la loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse. Les convictions religieuses du roi lui interdisent de cautionner ce texte.
Une ficelle institutionnelle doit être trouvée pour éviter la crise de régime. Le 4 avril, les Chambres invoquent l’article 93 de la Constitution et proclament l’impossibilité de régner de Baudouin. Le même jour, la loi est publiée au Moniteur belge, sanctionnée et promulguée par le Conseil des ministres. Dès le lendemain, le 5 avril, l’impossibilité de régner est levée. Le dossier de l’IVG reste un objet de fracture qui divise toujours la politique belge en 2020.
13. 1991 et le dimanche noir
Lors des élections législatives du 25 novembre de 1991, le Vlaams Blok gagne 12 sièges à la Chambre et 5 au Sénat. L’extrême droite obtiendra aussi un tiers des voix aux élections communales à Anvers en 1994. En 2004, le parti sera interdit en raison de ses fondements racistes, avant de renaître immédiatement sous le nom de Vlaams Belang. Aujourd’hui premier parti dans les intentions de vote en Flandre, selon les sondages.
14. 1991 et la Belgique Etat fédéral
C’est lors de la sixième révision constitutionnelle, en 1993, que la Belgique acte la fédéralisation de sa structure étatique. L’évolution progressive mise en oeuvre depuis 1970, qui était déjà « fédérale » dans les faits », est coulée dans le marbre constitutionnel. L’article 1er de la Constitution devient : « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des Communautés et des Régions. »
15. 1996 et l’affaire Dutroux
En 1996, à la suite de l’affaire Dutroux, de lacunes de l’enquête et du choc de l’éphémère évasion de l’ennemi public numéro 1, l’ensemble du système judiciaire et pénitentiaire belge est mis en cause. Une partie de la population est persuadée que des réseaux de pédophiles se développent jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Le Marche blanche rassemble 300 000 personnes dans les rues de Bruxelles, le 20 octobre 1996. Les parents des victimes deviennent des symboles pour le pays. Le statut de la victime est un peu mieux reconnu, une réforme de la police et de la justice sera lancée. De cette époque remonte une forme de défiance à l’égard de la politique et de la justice.
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16. 1999 et le grand virage éthique sans les catholiques
Gouvernement tripartite, en 1999, nommé le « gouvernement arc-en-ciel », constitué des libéraux, socialistes et écologistes. Le libéral Guy Verhofstadt devient Premier ministre. Les sociaux-chrétiens sont renvoyés dans l’opposition pour la première fois depuis 1958. L’arc-en-ciel met en oeuvre une série de réformes éthiques, autorisant notamment l’euthanasie et le mariage homosexuel. Il installe aussi une « Commission du renouveau politique » (plus de démocratie directe, organisation de referendum, cumul des mandats et déclaration de patrimoine) pour tenter d’en finir avec la décennie de crises politiques. Hum.
17. 2008 et Leterme, l’Orange bleue et BHV
Il faut 281 jours de négociations pour tenter d’aboutir à une coalition « orange bleue » alliant libéraux et sociaux-chrétiens, rejetant les socialistes dans l’opposition. En vain. L’épineux dossier de la scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) vient alimenter les tensions. Yves Leterme (CD&V) avait annoncé à ses électeurs que « cinq minutes de courage politique » suffirait à le scinder, mais le dossier devient son chemin de croix. Le gouvernement Leterme prête finalement serment devant Albert II en mars 2008 sous la forme d’une tripartite classique. C’est le début d’une séquence politique confuse, sur fond de tensions communautaires. Le 14 juillet, Yves Leterme présente la démission de son gouvernement, mais le roi refuse. L’excéutif tient jusqu’au 19 décembre, puis Herman Van Rompuy devient Premier ministre le 30. Pour une courte année : le 25 novembre 2009, il devient Président de Conseil européen. Leterme redevient Premier ministre… Et remet sa démission (la troisième donc) en avril 2010. On est parti pour de nouvelles élections.
18. 2010 et la crise des 541 jours sans gouvernement
2010 marque une nouvelle fracture dans l’histoire politique du pays : 541 jours sans gouvernement. C’est une crise au cours de laquelle on évoque ouvertement l’éclatement du pays.
Quatre jours après les élections fédérales, le 17 juin, le roi nomme Bart de Wever (N-VA, nationaliste) préformateur. Il passe le flambeau à Elio Di Rupo (PS) le 8 juillet. André Flahaut (PS) et Danny Pieters (N-VA), respectivement président de la Chambre et du Sénat, deviennent médiateurs le 4 septembre. Le 21 octobre, c’est Johan Vande Lanotte (SP.A) qui est nommé médiateur. Le 2 mars, Wouter Beke (CD&V) est nommé négociateur. Les conditions politiques semblant enfin remplies, Elio Di Rupo est nommé formateur le 16 mai 2011. Mais le 4 juillet, la N-VA décline la base de note de négociations. Le 11 octobre, un accord institutionnel pour une sixième réforme de l’Etat est présenté à la presse. Le 6 décembre 2011, le gouvernement prête serment.
La fin de la crise des 541 jours se solde par une réforme qui « déplace le centre de gravité du pays vers les Régions et les Communautés » (dixit Elio Di Rupo), mais qui complexifie encore nos institutions.
19. 2014 et le gouvernement minoritaire du côté francophone
A la suite des législatives de 2014, la mise en place d’un gouvernement fédéral est difficile, PS et N-VA excluant d’embarquer ensemble. Pendant ce temps, les gouvernements régionaux et communautaires s’installent (sans les libéraux à Bruxelles et en Wallonie).
C’est finalement un gouvernement minoritaire du côté francophone, N-VA/Open VLD/CD&V/MR, qui voit le jour. Le gouvernement est mené par Charles Michel (MR) qui mise sur une sortie de la crise économique.
Cet exécutif met le dossier communautaire au frigo le temps de la législature. Mais sa composition et les agissements de la N-VA provoquent des critiques acerbes du côté francophone. Les nationalistes flamands finissent par quitter le navire à la suite de tensions autour du Pacte des Nations unies sur les migrations. Cette fracture pose les jalons de la nouvelle crise politique profonde que connaît le pays depuis les élections de mai 2019.
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