Herman Matthijs

« 2018 pourrait bien être une année électorale plus étendue que prévu »

Herman Matthijs Professeur en Finances publiques

« L’opposition ne manquera pas de déposer une motion de méfiance contre le gouvernement Michel et alors il faudra trancher », estime le professeur en finances publiques à l’Université de Gand et à la VUB et membre du Conseil Supérieur des Finances Herman Matthijs. Il n’exclut pas la possibilité d’élections fédérales anticipées.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’arène politique fédérale est agitée. Les sujets de discussion ne manquent pas et beaucoup de dossiers attendent une décision. Cependant, le tollé au sein du gouvernement sur les Soudanais risque de signifier la fin de cette coalition suédoise. À quoi ressemble l’avenir de ce gouvernement ?

Dossiers

De nombreux dossiers attendent une décision, notamment les pensions, la taxe sur les comptes-titres, la privatisation de Belfius, le statut bancaire de Dexia… reste à voir si l’année électorale 2018 apportera beaucoup de percées. Il y a d’autres dossiers qui méritent plus d’attention.

Énergie nucléaire

La sortie nucléaire est à l’ordre du jour depuis quelques années. Ce gouvernement souhaite également fermer nos centrales nucléaires d’ici 2025. L’accord gouvernemental en parle également. Néanmoins, cet accord stipule qu’il faut mettre au point un mécanisme de monitoring et de correction pour garantir l’approvisionnement, la durabilité, un prix abordable et la sécurité. Les citoyens de ce pays n’ont encore rien entendu de sérieux à ce sujet.

Aujourd’hui, l’énergie nucléaire représente 52% de notre production d’électricité. Les moulins à vent ne suffiront pas à combler ces 52%, il nous faut au moins six centrales de gaz de taille conséquente.

Cependant, nous sommes début 2018 et il n’y a pas l’ombre d’une alternative aux centrales nucléaires, qui devraient fermer en 2025. Et la sortie nucléaire avait déjà été décidée par les gouvernements violets.

Et personne ne sait qui va payer les nouvelles centrales, alors qu’en Belgique les coûts d’énergie élevés pèsent fort sur l’attrait d’investissement. Ce dossier mal géré entraînera forcément des factures plus élevées pour les citoyens.

L’abandon de l’énergie nucléaire signifie aussi une émission accrue de CO2 et une perte de connaissances acquises chèrement sur ce thème. Et que faire si les centrales de thorium percent ? Il faut également souligner que les pays scandinaves et les présidents Obama et Trump ont choisi et choisissent de nouvelles centrales nucléaires.

En tout cas, ce dossier d’énergie nucléaire est un des nombreux débats menés de manière trop sentimentale par la politique. Mais c’est Paris qui décide des rêves belges, car au début du siècle nous avons vendu la quasi-totalité de notre infrastructure électrique à GDF-Suez. Aussi n’avons-nous pas grand-chose à dire dans ce dossier. Notre pays est une colonie énergétique de la Cinquième République française.

F-16

Paris et ses dirigeants actuels, le président Macron et son épouse Brigitte Trogneux, exercent également une mainmise sur la Belgique par le biais du remplacement des F-16. Vu la ligne directe entre l’Élysée et le MR, la France essaie de ramener ses Rafale (Dassault) dans la course en proposant une offre de compensation de pas moins de 20 milliards d’euros. C’est totalement invraisemblable parce que ce n’est guère proportionnel au prix de 34 nouveaux avions (environ 3,5 milliards d’euros) et le fait qu’on peut qualifier la France de cimetière socio-économique.

Cependant, les Français étaient déjà sortis de la course et il faudra voir en quelle mesure le MR veut rouvrir cette procédure pour ramener Paris dans la course, car il n’y a que deux inscriptions réglementaires : le F-35A (Lockheed) et l’Eurofighter.

Les partis flamands peuvent difficilement choisir un appareil français, étant donné que la collaboration militaire avec les Pays-Bas dépend de l’achat du F-35.

Ce dossier pourrait néanmoins aboutir à un accord confédéral: le Rafale pour Florennes et le F-35 pour Peer/Kleine Brogel. Dans ce dossier, il sera également intéressant de voir en quelle mesure les partis francophones sont capables de résister au néocolonialisme parisien.

Le Soudan

Aujourd’hui, l’extradition de Soudanais illégaux et les tortures supposées entraînent des tensions dans ce gouvernement. Cependant, il faut souligner que ce dossier comporte sa dose d’hypocrisie. Depuis 2014, le dictateur islamique soudanais el-Bechir a un accord de soutien avec l’Union européenne alors qu’il est recherché par la Cour pénale internationale. En outre, la Belgique entretient de simples relations diplomatiques avec ce pays. Et on torture « massivement » au Soudan. De tout cela, on n’a jamais fait de problème.

La dissolution du parlement catalan élu et l’emprisonnement de dirigeants catalans par Madrid ne sont pas problématiques, tout comme les arrestations massives d’opposants politiques par Erdogan durant le week-end de Noël. Les Ayatollahs dictateurs en Iran non plus ne respectent pas toujours les Droits de l’Homme, mais on se tait vu « l’accord sur l’uranium » et d’autres contrats juteux.

Si on ne renvoie plus de Soudanais à cause des tortures, on n’a qu’à mettre fin aux relations diplomatiques avec ce pays et opposer son veto au soutien de l’UE à ce pays africain.

Si on discute du Soudan, c’est parce que ce pays ne représente rien, ni sur le plan politique, ni économique.

Dernière remarque: n’avons-nous plus le droit de refouler des illégaux? Et qu’allons-nous faire de ce grand groupe, car la majorité des pays de cette planète sont des dictatures ? En outre, la Belgique est déjà un pays surpeuplé. Finalement, il faut ajouter que le gouvernement Michel est également la victime de la mauvaise sécurisation de la zone Schengen et de la pagaille créée par la Commission européenne à l’égard du dossier de migration.

Vers les élections?

C’est ainsi que nous aboutissons à l’état des lieux de ce gouvernement fédéral. Un étranger doit avoir l’impression que dans ce pays l’opposition fait partie du gouvernement. Si on dit que le gouvernement Michel est faible, alors l’opposition est encore plus incolore.

Au sein du gouvernement, il y a souvent une opposition entre les trois partis économiques libéraux d’une part et le CD&V d’autre part. On sait en effet depuis longtemps que le CD&V ne se sent pas à l’aise dans ce gouvernement. Cependant, les sondages ne donnent pas de majorité à une coalition de gauche composée du CD&V, du cdH, des Verts et des socialistes. Une telle construction, ainsi qu’une tripartite traditionnelle, offre probablement le moins de perspective de pouvoir au CD&V. La plus grande garantie pour Charles Michel de rester Premier ministre, c’est la N-VA.

Si un parti du gouvernement demande le licenciement du « trop populaire » Secrétaire à l’Asile et à la Migration Theo Francken, on demande au fond la fin de ce gouvernement Michel. Quel parti de l’opposition voudra soutenir une nouvelle équipe pour les mois qui restent ? La réponse est simple : aucun. De cette manière, il y aura des élections fédérales anticipées avant les vacances de Pâques. Lors de la reprise des activités de la Chambre, l’opposition ne manquera pas de déposer une motion de méfiance contre le gouvernement Michel et alors il faudra trancher. Ils seront nombreux à se contorsionner dans tous les sens.

En ce début d’année, je donne un conseil électoral « gratuit » au CD&V et à l’Open VLD : pour les deux partis, des élections anticipées sur la question soudanaise tourneront à la course au seuil électoral. Il y a une énorme différence entre les idées véhiculées par la Rue de la Loi et les rues de village.

En cas de chute du gouvernement, Arco, la taxe sur les comptes-titres, le statut bancaire de Dexia et les dossiers dont ils ont déjà discuté seront transmis à la prochaine équipe gouvernementale.

Que faire?

Il ne fait pas de doute que le Premier ministre Charles Michel a passé la trêve de Noël à chercher une solution pour tous ces dossiers. Il survivra à la motion de défiance. Mais il reste assez de problèmes pour échauffer les esprits. La situation économique favorable continuera à faire baisser le déficit, la dette et le chômage. À cet égard, il faut miser sur le contrôle budgétaire des vacances de Pâques.

Cependant, il y a déjà eu trop d’incidents entre les quatre partenaires de coalition et la campagne avant le début des élections communales du 14 octobre commence. En outre, il y a peu de risques qu’on distribue encore beaucoup de cadeaux politiques sur les dossiers en cours. C’est pourquoi continuer jusqu’à mi-2019 n’est pas une bonne idée. En outre, 2018 sera une bonne année socio-économique et budgétaire, un climat idéal pour se présenter à l’électeur fédéral.

Conclusion

2018 pourrait bien se révéler une année électorale plus étendue que prévu. Avancer les élections fédérales et les lier au scrutin local pour les dissocier des élections régionales arrange très bien les partis du gouvernement et de l’opposition. Il ne reste plus qu’à trouver un dimanche qui mène à une victoire électorale.

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