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1,3 milliard de subsides octroyés par des ministres francophones: enquête dans cette masse d’argent public

Nicolas De Decker Journaliste au Vif
Benjamin Hermann Journaliste au Vif
Elise Legrand Journaliste
Eglantine Nyssen Journaliste au Vif, multimedia editor
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Depuis 2019, les gouvernements de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont versé un peu plus de 1,3 milliard d’euros en près de quatre-vingts mille subventions facultatives attribuées à toutes sortes d’associations et d’organisations. Entre sous-localisme et favoritisme, Le Vif a fait le tri dans cette masse d’argent public.

Quel est le point commun entre une fête de la soupe à Mons, un concours de dictée à Namur, une université, la Fédération d’hébertisme et de yoga, le centre d’études d’un parti politique, un pôle de compétitivité du Plan Marshall, l’Union wallonne des entreprises, Solidaris, les Guides catholiques et la plupart des clubs de sport de Wallonie et de Bruxelles? Tous ont reçu, depuis 2019, un des 79 835 subsides facultatifs distribués par les ministres des gouvernements de la Région wallonne (6 563 subsides facultatifs) et de la Fédération Wallonie-Bruxelles (73 406 subsides facultatifs).

En rapportant cette masse à des journées ouvrées de huit heures depuis le 17 septembre 2019, date d’installation du gouvernement Jeholet, chacun des cinq ministres de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a ainsi attribué une moyenne de deux subventions facultatives de l’heure.

Entre le 0,01 euro envoyé, sous la signature de Pierre-Yves Jeholet, au Durbuy History and Art Museum et les 5 438 000 euros versés un jour par Frédéric Daerden au Centre régional d’aide aux communes, l’ampleur, la raison et l’objet de chacune de ces subventions facultatives varient dans une gamme presque infinie. Additionnées, elles représentent 1 319 358 302,9 euros, dont un peu plus de 332 millions d’euros pour la Région wallonne et 986 millions d’euros pour la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Ce dernier flux financier francophone, de l’ordre donc du quart de milliard par an, est à rapporter aux dépenses de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui devraient atteindre les 14 milliards en 2023.

Il s’inscrit dans une tradition belge bien ancrée, celle de la liberté subsidiée, qui consiste à donner aux acteurs d’un secteur une large autonomie d’action, et à les doter, pour jouir pleinement de cette autonomie, de larges moyens financiers puisés dans les caisses de la collectivité, comme c’est le cas dans les domaines des cultes, de l’enseignement, des soins de santé ou de la culture.

Il n’est pas étonnant, à cet égard, que la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont les compétences – l’enseignement, la culture, le sport, etc. – sont bien davantage exercées, sur le terrain, par le monde associatif, en fasse plus souvent usage que la Région wallonne qui, sur ses terrains surtout économique et social, traite (un peu) moins avec la société civile.

Les aides, envoyées alors que le Covid mettait sport, enseignement et culture à l’arrêt, ont, en outre, également gonflé le nombre de ces débours facultatifs issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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Facultatif, ce n’est pas toujours un caprice

La qualification de facultatifs des subsides que Le Vif a recensés (lire la méthodologie ci-après) ne doit pas être prise au sens de caprice absolu du ministre qui les octroie. Par opposition aux nominatives et aux obligatoires, une subvention facultative est, juridiquement, une dépense qui n’est pas réglée par une loi (ou, ici, un décret) mais par un arrêté. Mais ces subventions ne sont pas distribuées par des ministres sans foi ni loi: elles sont encadrées par de nombreuses dispositions légales, qui limitent fortement la liberté du signataire.

Les bénéficiaires doivent toujours respecter certains critères, par exemple dans le cadre d’un appel à projets, et présenter un dossier. En fonction de l’argent déboursé, différents obstacles (de l’inspection des finances d’abord, du ministre du Budget ensuite, de tout le gouvernement, enfin, à partir d’une certaine somme, variable selon les niveaux de pouvoir et les types de subsidiation) doivent être franchis par le ministre, aussi capricieux fut-il. Des comités de sélection et d’accompagnement sont installés, des contrôles sont effectués et des rapports d’activité sont exigés, qui peuvent mener à des sanctions. Certaines administrations ou OIP, en outre, disposent d’une délégation de signature, qui fait que le ministre qui signe le chèque n’a là aucun contrôle sur son montant ni sur son destinataire.

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C’est ainsi que ce sont, en fait, les plus petits de ces dizaines de milliers de subsides facultatifs qui sont, souvent, les plus révélateurs de l’inclination personnelle de leur émetteur: c’est le plus intime réduit de leur liberté subsidiaire. Ceux qui, nous a-t-on dit partout, sont distribués à partir des transferts reçus de la Loterie nationale sont à cet égard les plus exposés – «là, c’est le pur fait du prince», paraît-il.

Quoi qu’il en soit, c’est incontestablement la catégorie de subventions qui laisse le plus de marge à un mandataire politique pour orienter rapidement, et selon ses préférences, une partie des flux d’argent public sur lesquels il peut exercer un certain contrôle. Ce sont ceux-là, dans la masse de données publiées, que Le Vif a décidé d’extraire, de trier et d’analyser selon trois orientations transversales: géographique pour déceler l’éventuel sous-localisme, politique pour traquer les indices de favoritisme, et confessionnelle pour tracer les reliques du clivage philosophique.

Car ces données sont publiées, oui: Région et Fédération ont chacune mis en ligne un cadastre des subsides. C’est la Région wallonne qui avait lancé le mouvement à l’été 2017, au moment où Benoît Lutgen (CDH), s’associant au MR, reléguait le PS dans l’opposition. La Fédération, dès janvier 2018, adoptait à son tour un décret «visant l’établissement d’un cadastre des subventions en Communauté française». Mais ces bases de données ne sont pas aussi faciles d’accès qu’on pourrait le penser, et qu’elles le devraient. C’est pourquoi Le Vif a fait le tri, pour mieux connaître le vrai prix de la liberté subsidiée.

Découvrez ici l’ensemble de notre enquête: comment les ministres francophones octroyent-ils leurs subsides ?

Méthodologie

Pour la Wallonie, une grande part des subsides dits «facultatifs» octroyés depuis le début de la législature jusqu’en juin 2023 nous ont été transmis. Malgré nos nombreuses sollicitations, il manque toutefois les subventions entre le 1er octobre et le 31 décembre 2021, l’administration n’ayant «pas pu extraire les données adéquates». En Fédération Wallonie-Bruxelles, tous les subsides ont été comptabilisés, de 2019 au 31 décembre 2022. L’analyse des quelque quatre-vingts mille subsides de ce dossier a suivi un canevas précis. Ils ont été triés par ministre et trois angles d’analyse ont été définis: politique, confessionnel et géographique. Pour les deux premiers, une liste de mots clés (par exemple: protestant, Centre Jean Gol, Etopia…) a été définie. Les bénéficiaires dont les noms comprennent ces mots clés sont à la base de notre étude. Pour l’angle géographique, les subsides qui n’ont pas uniquement bénéficié au siège social de l’asbl mais à toutes ses antennes en Wallonie et en FWB ont été exclus. Par exemple: les scouts ou la Ligue francophone de triathlon. Au total, tous ministres confondus, 7 701 subsides ont ainsi été exclus. Les subsides qui ne sont pas octroyés à des bénéficiaires situés dans une seule commune mais dans plusieurs communes d’une même zone ont été conservés, par exemple le GAL Pays des Tiges et Chavées basé à Gesves ou encore les universités.

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