12 raisons pour lesquelles la Belgique est un Etat fédéral bien original
Un lasagne institutionnelle, un mille-feuille, un pays d’une rare complexité : les qualificatifs ne manquent pas pour dépeindre la réalité institutionnelle belge. Quatre chercheurs du Crisp ont étudié ce qui fait la singularité de notre Etat fédéral. Tour d’horizon, en douze spécificités.
C’est une évidence : chaque Etat de la planète, a fortiori chaque Etat fédéral, est unique et original. Mais au rayon des singularités, la Belgique se distingue, soit par une série de caractéristiques uniques au monde, soit par une accumulation de spécificités qui font d’elle une lasagne particulièrement copieuse.
Le CRISP vient de publier un ouvrage baptisé La Belgique, un Etat fédéral singulier, qui se penche précisément sur ces caractéristiques typiquement belges, comparativement à celles des autres Etats fédéraux. Ce travail réalisé par Jean Faniel, Croline Sägesser, Cédric Istasse et Vincent Lefebve entend marquer le coup en tant que 2500e publication des Courriers hebdomadaires du Crisp. Ces publications étudient les institutions, processus de décision et acteurs politiques belges depuis 1958. Avec ses 267 pages, ce courrier-ci est de loin le plus long de toute la série. L’objectif initial fut pourtant de ramasser le sujet en un format plus court. Une gageure.
Chaque Etat fédéral est original, donc, mais la Belgique l’est davantage que les autres. Les auteurs rappellent que notre pays fait partie d’une liste de 29 Etats fédéraux, dont certains nous sont familiers (Allemagne, Suisse, Etats-Unis, Canada) et d’autres moins (Comores, Palaos, Micronésie, Saint-Christophe-et-Niévès).
C’est l’occasion pour les auteurs de préciser, si un doute devait subsister, que la Belgique est bel et bien un Etat fédéral. Les compétences sont partagées entre plusieurs niveaux de pouvoir, qui ont chacun une personnalité juridique, des forces politiques propres, etc. Mais surtout, la législation du pays émane de différentes origines, ce qui constitue un paramètre déterminant. Cela ne l’empêche pas de multiplier les particularités, regroupées ici en une douzaine de catégories.
Le fédéralisme belge s’est construit au fil des réformes successives de l’Etat, sans ligne d’horizon, rappellent les auteurs. Il ne s’est jamais agi de se fondre dans un modèle, qui aurait été théorisé ou calqué sur un autre Etat.
Les quatre auteurs parlent aussi d’un fédéralisme de dissociation, par opposition à un fédéralisme d’association. La Belgique, initialement unitaire, est devenue fédérale sur le tard. Ce n’est pas singulier en soi, mais ce processus ne s’est pas construit avec d’anciennes colonies ni sur fond de conflit ouvert. « La Belgique constitue le seul cas de passage d’un Etat unitaire à un Etat fédéral qui se soit opéré dans le respect de l’Etat de droit et de manière tout à la fois démocratique et pacifique, mais aussi tardive et progressive », écrivent les auteurs.
Ce cheminement s’inscrit dans une dynamique centrifuge, le pouvoir fédéral perdant à chaque fois des compétences au profit des entités fédérées, ce qui n’est pas une tendance majoritaire parmi les Etats fédéraux.
La problématique linguistique est loin d’être anecdotique dans la construction de notre fédéralisme. Elle en est même la source et le moteur, ce qui est particulier sans être tout à fait unique, puisque la thématique des langues est également prépondérante au Canada.
Une autre particularité est la variété des entités fédérées. Les Allemands ont leurs Länder. La Belgique a ses Communautés, ses Régions, sans oublier les Commissions communautaires en Régions bruxelloises.
Il est vrai que la Russie compte aussi différents types d’entités : républiques, kraïs, oblasts, etc. Mais ce qui est unique au monde est le « fédéralisme de superposition » à la belge, à savoir le fait que plusieurs entités fédérées soient compétentes sur un même territoire, sans que les découpages correspondent toujours entre eux d’ailleurs.
Ainsi, une Région et une Communauté au minimum sont compétentes sur chaque point du territoire, la Région bruxelloise incarnant plus que les autres la multiplication des couches.
Ce qui est très particuliuer en Belgique, comme le formule Cédric Istasse, « c’est que vous ne trouverez pas deux entités fédérées qui exercent exactement les mêmes compétences », la distribution de ces dernières s’étant parfois opérée de manière horizontale (entre entités fédérées) et pas uniquement verticale (entre fédéral et entités fédérées).
D’autres capitales sont des entités fédérées à part entière, comme Berlin ou Vienne, ou disposent d’un statut particulier, à l’image de Washington. Le fait que la Région bruxelloise compte 18 communes autres que celle de Bruxelles la rapproche de la situation de Berne ou d’Ottawa.
Par contre – c’est plus original – Bruxelles est à la fois la capitale du pays et celle de plusieurs entités fédérées, y compris celle de la Région flamande… dont les compétences ne s’exercent pas sur Bruxelles.
« Une autre singularité de la Belgique est d’être le seul Etat fédéral qui ne connait pas formellement que des compétences exclusives (et non des compétences concurrentes) : dans le champ d’application de ses compétences, chacune des composantes de l’Etat fédéral belge mène librement sa propre politique, y compris sur le plan international », écrivent les auteurs.
Chacun exerce ses compétences en toute autonomie, ce qui n’empêche pas un saucissonnage des compétences elles-mêmes entre niveaux de pouvoir, naturellement.
Ce qu’on appelle « l’équipollence des normes » en Belgique est une situation unique au monde. Et est en lien avec le point n°6.
Hormis quelques exceptions concernant les ordonnances bruxelloises, il n’y a en effet pas de hiérarchie entre les législations produites par les niveaux de pouvoir : une loi fédérale et les décrets et ordonnances se valent.
Le « compromis à la belge », sur le plan institutionnel, est bel et bien une particularité. Le fédéralisme repose sur les principes du dialogue et du compromis, à l’inverse d’une logique qui serait majoritaire par exemple. Et plusieurs institutions ou modes de fonctionnement ont été imaginés pour mettre de l’huile dans les rouages, justement : accords de coopération, comité de concertation, etc
Même si le débat refait surface ces dernières semaines, la Belgique ne comporte pas de circonscription électorale fédérale lors des élections. Seule la Bosnie-Herzégovine, où les électorats sont catégorisés sur base ethnique, connait une configuration comparable.
Dans une même logique et à l’exception du PTB-PVDA, il n’existe pas (plus) de partis politiques nationaux en Belgique, ce qui constitue aussi une singularité.
C’est également unique au monde, comme l’indique Cédric Istasse : si le fédéralisme belge est multipolaire, il se vit de manière bipolaire. L’essentiel de la dynamique fédérale se structure autour des deux grands groupes linguistiques. Cela se manifeste par exemple au sein du conseil des ministre au fédéral, qui se compose en fonction de règles linguistiques ne tenant compte que des deux principales communautés.
Le fédéralisme de la Belgique se caractérise également par son caractère instable, en évolution permanente. Depuis 1970, chaque réforme de l’Etat, pensée comme celle qui résoudra les problèmes, ne fait en réalité qu’initier la suivante. Une septième réforme de l’Etat se prépare sans que quiconque sache si elle sera la dernière ou non. C’est l’idée selon laquelle le fédéralisme s’est construit progressivement, sans conception originelle, sans ligne d’horizon. Sans jamais savoir où cela mènera le pays, in fine.
Sur les 29 pays fédéraux à travers le monde, seuls 6 ne sont pas des républiques. Mais surtout, la Belgique le seul de ces pays à n’avoir qu’un seul monarque (contrairement aux Emirats arabes unis et à la Malaisie) et qu’il ne règne que sur un seul pays (contrairement à des Etats fédéraux du Commonwealth). Une double caractéristique qui en fait un cas unique au monde, une fois de plus.
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