10 erreurs politiques que les francophones paient toujours : le plan wallon du photovoltaïque
Trois milliards d’euros. Depuis près de dix ans, la facture du soutien au photovoltaïque poursuit les consommateurs wallons. Et ce n’est pas fini : en reportant le problème à plus tard, le gouvernement commettrait une erreur monumentale. Une alternative se dessine.
Ceci n’est pas un réquisitoire. C’est un constat. Dans plusieurs secteurs, depuis des années, et parfois plus que ça, la réalité belge (surtout francophone) est au pire désolante au mieux problématique. De grands projets jamais aboutis, des difficultés budgétaires récurrentes, des modernisations inexistantes, des querelles de clocher, des communautés hermétiques les unes aux autres, des pléthores qui se transforment en manques, des politiques de mobilité catastrophiques, des stratégies énergétiques qui tournent au fiasco… Beaucoup de choses se réalisent, des progrès ont lieu, des initiatives positives se révèlent des succès mais, ne nous mentons pas, les raisons de s’arracher les cheveux sont nombreuses.
Ces situations sont souvent typiquement belges. Parce qu’elles résultent de décisions prises dans un contexte qui nous était tout particulier. Le Vif/L’Express en épingle dix. Dix décisions politiques, récentes ou lointaines, qu’on est en droit, aujourd’hui, de considérer comme mauvaises. Comme ayant provoqué les blocages, les échecs, les faillites, les casse-tête auxquels nous sommes confrontés au quotidien.
Nous les énumérons. Nous rappelons le contexte qui y a présidé. Nous en décryptons les conséquences. Et nous proposons la ou les solutions qui permettraient de ne plus en payer le prix.
Le contexte
Révolution sur les toits wallons ! Le 3 octobre 2007, le parlement wallon adopte le plan Solwatt, sous l’impulsion du ministre CDH André Antoine. » Il s’agit du plus beau programme énergétique jamais lancé en Wallonie « , s’enthousiasme-t-il. L’ambition : permettre à un maximum de particuliers d’installer des panneaux photovoltaïques, via un très généreux mécanisme régional de primes et d’aides à la production, des certificats verts garantis pendant quinze ans. L’investisseur, qui peut même voir son compteur tourner à l’envers, bénéficie en outre d’une déduction fiscale au niveau fédéral. A l’époque, la mise de départ est plutôt élevée. Il faut compter environ 20 000 euros pour une installation résidentielle moyenne. C’est presque trois fois le coût actuel.
Comme partout en Europe, comme la Flandre quatre ans plus tôt, la Wallonie se laisse alors bercer par une douce illusion, véhiculée par le puissant lobby du renouvelable. La technologie serait suffisamment accessible et mature pour enclencher une spirale vertueuse : de l’énergie verte pour la collectivité, une plus-value financière pour les ménages et des emplois durables pour la filière. Grave erreur. Le 1er janvier 2008, Solwatt entre en vigueur. Et tandis que les panneaux se propagent par milliers, une dette sans précédent se creuse en silence. Les consommateurs l’ignorent encore, mais ils en paieront le prix fort.
» Namur, nous avons un problème. » Trois ans après l’émergence de Solwatt, le coût du photovoltaïque a chuté drastiquement. L’Europe n’a logiquement pas pu contenir les assauts de la concurrence mondiale. En Wallonie, le marché est progressivement submergé de millions de certificats verts. Elia, le gestionnaire du réseau de transport de l’électricité, ne parvient même plus à les écouler au prix minimum garanti de 65 euros l’unité. Il faut réformer, et vite. Mais en tant qu’écologiste, le ministre de l’Energie, Jean-Marc Nollet, ne peut se permettre de porter un coup fatal à la filière. D’autant qu’il ne décide pas seul. En 2009, il s’était fait incendier de toutes parts pour avoir opportunément mis fin aux primes obsolètes de son prédécesseur, André Antoine.
En janvier 2011, la commission énergie du parlement wallon auditionne une série d’experts du photovoltaïque. L’entrepreneur Laurent Minguet ouvre le bal. Il annonce une bulle de 2 milliards d’euros en certificats verts si rien ne change rapidement. » Devant moi, j’avais une bande de noeuds, incapables de comprendre l’ampleur du problème, raconte-t-il au Vif/l’Express. Personne ne m’a suivi. Alors, comme tout le monde le faisait, j’ai moi aussi décidé de m’en mettre plein les poches avec les certificats verts. J’ai créé des sociétés, et j’ai gagné des millions d’euros sur le dos des consommateurs. »
Quand le gouvernement wallon tente de sauver les meubles, il est déjà trop tard. En novembre 2011, à l’annonce d’une réforme transitoire pourtant trop timide face au naufrage du modèle, les installateurs vendent autant d’unités qu’en une année complète. Avant de connaître une véritable traversée du désert durant les deux années suivantes. Laurent Minguet s’était trompé sur une chose : le montant de la dette des certificats verts dépassera finalement 3 milliards d’euros. » L’erreur monumentale avec le photovoltaïque, c’est d’avoir commencé trop tôt « , résume-t-il. Ou de ne pas avoir anticipé le scénario d’une croissance fulgurante. Ce n’est pas un hasard si la bulle est bien pire encore au nord du pays, où un mécanisme de soutien a vu le jour dès 2004.
Le constat
L’entrée en vigueur de Qualiwatt, en mars 2014, a amorcé une lente résurrection de la filière, sur des bases plus saines. Sans neutraliser pour autant le lourd héritage de Solwatt. La dette des certificats verts s’élève encore à 600 millions d’euros d’ici à 2024. Comment l’éponger ? Récemment, Elia a sollicité la commission de régulation du gaz et de l’électricité (Creg) afin de répercuter ce surcoût sur la facture de tous les Wallons. Cette nouvelle majoration, qui s’élèverait en moyenne à 60 euros par an pour chaque consommateur, devait être effective le 1er octobre prochain. Mais le gouvernement wallon PS-CDH vient d’enclencher un coûteux mécanisme – 8 millions d’euros de frais de gestion annuels – pour mettre au frigo une lourde manne de certificats verts… En dépit d’un rapport très critique publié par la commission wallonne pour l’énergie (Cwape), le 21 février dernier.
Reporter le problème à plus tard, quitte à alourdir encore un peu plus le montant de la dette : pour la classe politique, l’idée est séduisante à l’approche des élections régionales de 2019. Fin 2013, le gouvernement wallon avait déjà mis en réserve des certificats verts pour un montant de 300 millions d’euros, via l’intercommunale Ecetia… C’était à quelques mois du scrutin de mai 2014. Avant sa démission en janvier dernier, à la suite de l’affaire Publifin, l’ex-ministre de l’Energie, Paul Furlan (PS), avait plaidé dans le même sens. A présent, son successeur, Christophe Lacroix (PS également), a bouclé le dossier.
Les solutions
Etait-ce donc la seule issue ? Une alternative se dessine, à la lueur des avis recoupés par Le Vif/L’Express. En voici les trois étapes.
1. Payer l’addition, maintenant. Les sept experts contactés sont unanimes : la manoeuvre visant à payer moins mais plus longtemps constitue la pire des solutions. » C’est vraiment le degré zéro de la politique énergétique « , critique Damien Ernst, professeur à l’ULg. » Reporter le problème à plus tard, ça me rend malade « , embraie Didier Goetghebuer, responsable énergie à l’Institut de conseil et d’études en développement durable (Icedd). » Il faut assumer cette bulle le plus rapidement possible, pour repartir enfin sur des bases plus saines « , souligne Benjamin Wilkin, secrétaire général de l’association de promotion des énergies renouvelables (Apere). En s’autorisant à traîner le boulet des certificats verts pendant quelques années de plus, la Wallonie condamne les filières du renouvelable à errer dans l’instabilité chronique.
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Le consommateur doit-il pour autant assumer pleinement la rançon photovoltaïque sur sa facture d’électricité ? Certains le pensent, à l’image de Laurent Minguet et de Didier Goetghebuer. » L’électricité coûte moins de 3 euros par jour à un ménage moyen. C’est l’équivalent d’un sandwich sans crudités « , glisse le premier. » Beaucoup de personnes ont perdu toute notion de la valeur de l’électricité, ajoute le deuxième. Il faut que l’énergie soit chère si l’on veut forcer les gens à faire des économies. » Pour Francis Ghigny, l’ex-président de la Commission wallonne pour l’énergie (Cwape), il existe une voie du milieu. » En mettant les détenteurs de panneaux photovoltaïques à contribution, la facture des autres consommateurs peut diminuer d’environ 7 % « , assure-t-il. C’est ainsi que la Cwape a adopté, le 31 mars dernier, un projet de méthodologie tarifaire susceptible d’augmenter, dès 2019, la facture des 131 000 ménages concernés.
Ce n’est pourtant pas une fatalité. Le contribuable s’inquiète logiquement peu de savoir qui doit payer, en première ligne, pour une dette dont il n’est pas responsable. Si le politique tient absolument à préserver la facture finale, il devra s’aligner sur ce point de vue. En passant outre les intérêts souvent antinomiques d’Elia, des fournisseurs d’électricité et des gestionnaires de réseau de distribution (GRD). La réponse se trouve sans doute chez ces derniers, à la lumière des révélations du Vif/L’Express (voir notre numéro du 10 mars dernier) sur les surfacturations permanentes de l’électricité. » Tous les GRD ont augmenté leur prix en prétextant que le photovoltaïque induisait des coûts supplémentaires. Mais aucun d’entre eux n’a pu les démontrer « , constate Benjamin Wilkin.
2. Mettre le réseau au pied du mur. » Le gros problème avec les GRD, c’est qu’ils n’ont jamais eu personne en face d’eux pour les inciter à revoir leur mode de fonctionnement « , analyse le professeur Damien Ernst. Actuellement, tout consommateur se voit en effet imposer un GRD, en fonction de la commune où il habite – le plus grand étant l’intercommunale Ores, qui en couvre 197. » Pour les mettre sous pression, la Wallonie doit s’ouvrir aux microréseaux « , poursuit l’expert de l’ULg. Concrètement, cette hypothèse permettrait à un particulier ou une entreprise de sortir du réseau classique, en combinant par exemple le photovoltaïque avec des solutions de stockage d’électricité, vouées à un avenir radieux. D’après Damien Ernst, cette alternative sera bientôt moins chère. Du côté des GRD, certains responsables confirment. En off, bien entendu.
Reste à savoir si l’exécutif wallon osera poser un acte en ce sens, si peu compatible avec les intérêts de GRD éminemment politisés. » L’avant-projet d’arrêté du gouvernement wallon sur les réseaux fermés est une véritable honte, tant les conditions sont tout simplement inapplicables dans les faits « , dénonce Damien Ernst. Pour Philippe Delaisse, fondateur de l’asbl Energie Facteur 4, ex-facilitateur photovoltaïque de la Région wallonne, il est urgent de s’attaquer en priorité à cette hégémonie du politique : » Solwatt nous a montré que l’on ne devrait jamais confier un changement de système à un cabinet politique. Il faut redonner du pouvoir et de l’indépendance à l’administration. »
3. Réformer : la fin des certificats verts. En focalisant son soutien sur la production plutôt que sur la proportion d’électricité verte à garantir dans le mix énergétique final, la Wallonie s’est trompée depuis le début. En 2014, Qualiwatt a mis fin au système des certificats verts pour le photovoltaïque. Comment s’assurer que la dette n’augmente plus à l’avenir ? Damien Ernst prône une réforme radicale : » Stop aux certificats verts, dès aujourd’hui, toutes filières confondues ! » Quitte à freiner le développement du renouvelable et à manquer les objectifs européens en la matière, dépourvus de sanctions. En contrepartie, il propose de fixer une amende suffisamment dissuasive – par exemple 75 euros par mégawattheure (MWh) – pour que les fournisseurs d’électricité se voient contraints de racheter les certificats verts restants au prix minimum de 65 euros par MWh. » Il faut passer d’un marché subventionné à un marché libéralisé « , insiste-t-il.
Pour David Germani, coordinateur de la plate-forme des énergies renouvelables à la Confédération construction (CCW), un tel coup d’arrêt risquerait de condamner définitivement les filières vertes. » Il faut une réforme graduelle « , tempère-t-il. Celle-ci pourrait être pilotée par un comité permanent, réunissant tous les acteurs du réseau, contraints à travailler (enfin) ensemble pour garder leurs clients. S’adapter ou mourir, à l’aube de la révolution du stockage électrique.
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