Voitures électriques: «Le problème, c’est le prix et donc l’entrée de gamme»
Les constructeurs de voitures veulent postposer les objectifs CO2 européens de 2025, car ils ne vendent pas assez d’électriques. Le début d’une longue liste de sursis ? Interview.
Les constructeurs automobiles européens paniquent face au tassement des ventes de véhicules électriques et à la concurrence chinoise de plus en plus féroce. Volkswagen a annoncé envisager de fermer certaines de ses usines en Allemagne. Une première ! Chez nous, l’avenir de l’usine Audi à Bruxelles est plus que menacé et aucun nouveau modèle ne devrait y être produit dans les années à venir. Les constructeurs tablent donc encore sur les voitures thermiques pour s’en sortir, mais, en 2025, le seuil maximum autorisé d’émission moyenne de CO2 par véhicule diminuera de 15%, sous peine de fortes sanctions pour les industriels, qui se chiffrent en milliards d’euros.
Pour respecter ce durcissement de la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy), le secteur, qui représente 7% du PIB de l’UE, devra vendre une auto électrique pour trois thermiques. Or le marché européen stagne depuis plus d’un an à 15% pour les voitures des particuliers et à 7% pour les utilitaires, déplorent les constructeurs qui demandent de postposer l’échéance 2025 à 2027. Cela annonce-t-il déjà un report de la date fixée par l’Union européenne pour la fin de la vente de voitures thermiques – essence ou diesel – à partir de 2035 ? On peut le craindre. D’autant que le problème de la voiture électrique reste inébranlablement son prix. Interview d’Axel Coussement, professeur à l’Ecole polytechnique de l’ULB et spécialiste du sujet.
Les échéances européennes en matière de pollution automobile risquent d’être reportées à cause du ralentissement des ventes de voitures électriques. Inévitable ?
Axel Coussement: En tout cas, on observe des résistances. Un autre exemple que celui de la norme CAFE: l’interdiction de la vente des voitures thermiques en 2035 va de pair avec le durcissement des normes de pollution dans les centre-ville. Voyez ce qui se passe à Bruxelles actuellement. On est en train de rétropédaler sur la zone de basse émission… Le problème vient du fait que l’Europe engage les particuliers à acheter des voitures électriques, mais que celles-ci sont hors de portée de bien des budgets. L’électrique, ça marche bien pour les grosses bagnoles. Il faut un SUV pour espérer avoir un range, c’est-à-dire une autonomie, de 300-400 kilomètres au minimum. La voiture électrique la moins chère du moment est la Dacia Spring. Elle coûte tout de même 25.000 euros et n’a une autonomie que de 120-130 kilomètres sur autoroute pour une autonomie sur cycle de 250 kilomètres.
Sur cycle, c’est-à-dire la moyenne d’une conduite en ville et sur autoroute ?
En gros, oui. Un cycle est représentatif de la conduite comprenant plusieurs phases de vitesses, le gros du cycle étant tout de même de la conduite en ville, ce qui fait que l’autonomie sur autoroute est beaucoup moins grande, d’un bon tiers en général, que l’autonomie globale du cycle. En outre, on n’utilise que très rarement une batterie jusqu’à 100% de sa charge, mais plutôt 80%, ce qui réduit encore l’autonomie effective. Bref, pour avoir une autonomie de 450 kilomètres sur cycle, ce qui est le minimum pour être à l’aise, il faut viser une voiture qui coûte facilement dans les 50.000 euros. Qui peut se le permettre? Pas la grande majorité des ménages…
Le problème principal de la voiture électrique reste son prix ?
Oui, et c’est là-dessus que les constructeurs européens veulent travailler parce qu’ils n’arrivent plus à vendre leurs voitures. Les véhicules électriques les moins chers aujourd’hui au vu des performances offertes sont les Tesla, mais le premier prix commence tout de même à 45.000 euros. Chez nous, le marché est biaisé à cause de l’énorme flotte de voitures de sociétés qui tire le segment des voitures électriques vers le haut (ndlr: 8 voitures électriques sur 10 en Belgique sont des voitures de société). Mais, dans des pays comme la France ou l’Allemagne où la voiture de société est beaucoup moins répandue, la plupart des ménages n’ont pas l’argent de s’en acheter. L’Europe veut imposer des normes au marché, mais le marché ne suit pas. Il manque les aides nécessaires. Celles-ci sont très différentes d’un pays européen à l’autre. L’Allemagne, elle, vient de supprimer sa subvention à l’achat d’une électrique (ndlr : les ventes de voitures électriques y ont diminué de plus de 16% au premier semestre 2024. Dans certains pays, il n’y a aucune aide).
L’appel des constructeurs à l’Union est donc logique ?
Ça les arrange de continuer à vendre des véhicules thermiques. Ils ont beau jeu de dire que le marché ne répond pas à leur offre en électriques. Mais c’est la réalité. Dès lors, soit l’Europe agit sur le marché soit elle leur lâche un peu la grappe au niveau des objectifs d’émissions de CO2. Il faudra sans doute multiplier les solutions, comme celle consistant à augmenter la part de biocarburant à la pompe. On est vraiment entré dans la phase compliqué de la transition, c’est-à-dire la massification du changement. Le problème est l’accessibilité, donc l’entrée et le milieu de gamme de la voiture électrique, qui restent chers et peu performants.
N’est-ce pas plus avantageux de se rabattre sur une voiture hybride ?
Certaines baissent de prix comme chez Toyota qui se vante de vendre une hybride moins cher que l’essence. Mais cela reste l’exception. Les prix des hybrides ne résolvent pas vraiment le problème de l’accessibilité. En outre, leur consommation en hydrocarbures dépend du type d’hybride. Une rechargeable permet de rouler quasi en full électrique en ville et donc de pouvoir à terme respecter les normes des zones de basses émissions lorsque celles-ci interdiront les thermiques. L’hybride n’est qu’une solution temporaire.
La concurrence chinoise pour les voitures électriques n’est-elle pas le principal des constructeurs européens?
Les Chinois savent faire des voitures et c’est une vraie menace pour les industriels européens. La révolution électrique a rabattu les cartes de l’automobile. Les Chinois peuvent beaucoup plus facilement entrer sur ce marché en tant que nouveaux constructeurs. Et cela peut aller très vite. On l’a vu avec Tesla, depuis quelques années. Les ranges des voitures chinoises n’ont rien à envier à ceux des européennes. Leurs batteries non plus, d’autant qu’elles équipent plusieurs marques du Vieux continent. Il y a certes des progrès à faire, notamment dans l’isolation acoustiques des voitures et dans le côté blingbling un peu trop prononcé que les Chinois adorent. Ce sont des concurrents crédibles. Le problèmes est qu’ils sont très protectionnistes pour leur marché et que les constructeurs européens y ont difficilement accès.
L’Europe doit-elle se montrer aussi protectionniste ? Depuis juillet, elle impose à titre conservatoire des droits douane plus élevés aux constructeurs chinois qui bénéficient de subsides…
Oui, il faudra se montrer plus protectionniste. C’est sans doute une solution pour permettre aux constructeurs européens, qui multiplient les fermetures d’usine, de rester dans le train (ndlr : le chiffre d’affaires du secteur automobile représente 7% du PIB de l’Union européenne). C’est vrai que, pour eux, le challenge est très grand. Et c’est ce qui explique leur appel aux instances européennes. Cela dit, si on augmente les taxes à l’entrée sur les véhicules chinois, cela va évidemment se répercuter sur le prix des voitures à l’achat. Cela ne va donc pas améliorer l’accessibilité des voitures électriques. Le problème reste entier.
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