Rencontre avec Mitja Borkert, le nouveau chef designer de Lamborghini
Après avoir dessiné le concept car Mission-E pour Porsche, Mitja Borkert (48 ans) a été promu: il est devenu designer en chef pour Lamborghini et nous a expliqué ce qui est attendu de lui.
Mitja Borkert est originaire d’Allemagne de l’Est mais, à la chute du mur, il a pu intégrer l’université de design de Pforzheim, dès 1994. Après ses études, il a postulé chez Porsche où Harm Lagaey le sélectionne: en février 1999, il obtient le poste et y restera le plus jeune designer pendant dix ans. Rapidement, Borkert dirige le département advanced design.
« C’était la période où Tesla a lancé sa Model S et il est vite apparu que nous devions faire quelque chose. À l’époque, je roulais avec une Porsche 911S décapotable équipée de l’embrayage PDK, mais après un essai routier avec la Tesla, il est apparu immédiatement que les nouvelles technologies de l’américaine marquaient le début d’une nouvelle étape. J’ai convaincu le designer en chef Michael Mauer de mettre un concept-car sur roues et j’ai trouvé en interne l’inspiration dans la 960 à quatre portes avec moteur monté à l’arrière. Müller me soutenait, mais il pensait que nous devions insister davantage sur l’aérodynamisme afin que la voiture suggère la vitesse, même à l’arrêt. J’ai moi-même estimé qu’il fallait réduire les grandes prises d’air des voitures turbo et aller vers un profil qui évoquait l’esprit de la 550 Spyder. »
Le résultat final en a été la Mission E, qui a été présentée au public en septembre 2015 et qui, selon Borkert, a été le véritable point de départ de l’électrification chez Porsche et même pour l’ensemble du groupe Volkswagen. Le modèle a inspiré de nombreux constructeurs et la Taycan est devenue créatrice de tendances.
Chief designer, un boulot de rêve
« Le jour où la Mission E a été présentée en interne à Weissach était très spécial car Walter de Silva, responsable du design de l’ensemble du groupe VW m’a demandé de devenir designer en chef de Lambor- ghini. »
Personne ne sait mieux qu’un designer comment façonner la personnalité d’une marque automobile et Borkert l’a parfaitement perçu.
« Une Lamborghini doit toujours être une source d’inspiration! J’ai créé la Terzo Millenio en 2017 dans le même esprit que la Mission E. Personnellement, je reste inspiré parce que je remarque une nouvelle génération de fanatiques de supercars, de jeunes experts qui aiment admirer nos voitures ‒ parce que les Lamborghini leur rappellent les vaisseaux spatiaux et cela provoque beaucoup de mouvement sur les médias sociaux, certainement sur Instagram. Cette jeunesse aime Lamborghini parce que nous parvenons à échapper à la conformité, parce que nous sommes différents et en même temps le constructeur de supercars le plus innovant. Ces fans n’ont jamais entendu parler de la Miura ou de la Marzal et pourtant le design iconique et l’ADN de la marque les inspirent. Il y a le dessin unique mais aussi les formes hexagonales, ou le museau de requin. Nous utilisons des ailerons emblématiques et des roues « téléphone », car l’inspiration est également nourrie par le passé. Mais toutes les formes ont un ingrédient en commun: elles apportent de l’inattendu et cela crée l’effet wow que nous nous efforçons d’obtenir. La LM-002 anguleuse des années 1980 avait aussi cette caractéristique, tout comme la Miura. Parce que chez Lamborghini, on peut tout se permettre.
Peu de marques possèdent une silhouette ayant un tel impact que celle de Lamborghini. La Porsche 911 a cette particularité et la VW Beetle l’avait aussi. L’inclinaison prononcée des vitres latérales se distingue également car la plupart des marques possèdent un habitacle bombé. À l’arrière, le formidable profil des ailes et des épaules se détache. Et il y a toujours un clin d’œil au monde des motos puissantes. Parfois simplement par le fait que les pneus sont clairement visibles à l’arrière. »
« Le fait que nous restions la marque de supercar la plus innovante ne tient pas seulement au design. Cela tient également à l’utilisation de nouveaux matériaux et de technologies d’avant-garde. Nous sommes les premiers à avoir utilisé l’impression 3D, le forcedcomposite ou une carrosserie en fibre de carbone, et nous pouvons travailler de manière très flexible sur les formes car nous utilisons des smart materials et des différences de température à notre avantage. À l’avenir, l’importance de l’effet graphique augmentera également.
À l’intérieur aussi, nous voulons suivre notre propre chemin. La position d’assise est profonde et épouse le corps de sorte que le conducteur se sent immédiatement comme un pilote. Dans le tableau de bord allégé, nous utilisons des formes hexagonales et des éléments en forme de Y. Parce que chaque détail doit être reconnaissable comme faisant partie de Lamborghini. »
La diversité prime
« En outre, nous visons une personnalisation illimitée de chaque voiture. Nous avons maintenant développé 400 couleurs et nous en ajoutons une par semaine, de sorte que chaque voiture est réellement unique, ce qui correspond parfaitement à notre programme ad personam. Aucune Sian construite n’a la même couleur et nous avons également les fading effects de la structure en fibre de carbone. Mais notre créativité ne s’arrête pas aux voitures. C’est devenu une expérience à 360 degrés, à laquelle s’ajoutent la décoration de l’intérieur d’une villa à Dubaï, la conception de tables, de meubles, de lampes en coproduction avec iGuzzini et une collaboration avec le fabricant de motos Ducati, d’où sont nées la Blue bike et la Green bike. Nous travaillons également main dans la main avec l’horloger Roger Dubuis, mais notre projet le plus accrocheur est celui du constructeur de yachts Italian Sea Group, avec lequel nous avons développé le Tecnomar City 3, qui poursuit notre langage de design avec de l’alcantara, de la fibre de carbone et des microfibres. Nous en sommes extrêmement fiers car notre langage est devenu un langage de design universel.
Même au sein de notre propre gamme, nous distinguons trois gammes de modèles et ce que représentent les Huracan, Aventador ou Urus est évident, immédiatement. À l’intérieur de ces gammes, nous proposons à nouveau différentes options pour répondre à la personnalité du client. Jetez un coup d’œil à la Huracan Tecnica, une voiture de course qui est devenue une voiture super sport homologuée pour la route et avec laquelle il est facile de cruiser. Propulsée par un moteur V10 doux mais extrêmement puissant, elle peut être un véhicule pour les déplacements quotidiens. De son côté, la variante STO reprend tous les éléments de nos voitures de course, tout en vous permettant de la conduire aussi bien sur la route que sur circuit. Rien qu’à l’apparence, on remarque qu’il s’agit d’un exercice très différent. Et bientôt, une autre version de la Huracan arrivera, basée sur le concept-car Sterrato, une voiture de sport 4×4 haute sur pattes. Un exercice similaire est en cours avec l’Urus Performante, car nous avons toujours eu l’intention de proposer quelques variantes au sein de chaque gamme de modèles. Je n’exagère pas quand j’affirme que l’Urus est le SUV le plus cool et le plus beau, une voiture qui fait tourner les têtes, pas un simple SUV de plus. »
L’avenir sur roues
La création la plus parlante de Borkert reste sans aucun doute le concept-car Terzo Millenio. Où devrions-nous positionner un tel morceau de force futuriste?
« C’est le premier concept-car de Lamborghini dont j’ai été entièrement responsable, dont la finalité était de délivrer la carte de visite de notre marque. C’était un grand moment car avec Mauricio Reggiani, le patron technique de la marque, nous venions d’annoncer la collaboration avec le MIT. Il est question notamment du stockage de l’énergie, mais aussi de la prochaine génération de fibres de carbone et donc de la visualisation d’un partenariat prometteur. En termes d’énergie électrique, nous ne sommes pas encore tout à fait prêts pour les hypercars, c’est pourquoi il faut replacer cette voiture dans son contexte. Le Terzo Millenio n’annonce pas immédiatement le prochain modèle, c’est un clin d’œil à l’avenir. La disparition du moteur thermique, qui occupe encore un énorme volume, nous offre de nombreuses possibilités en matière de design. Nous pouvons retirer les silencieux, oublier les tuyaux d’échappement et utiliser l’espace libéré pour optimiser l’aérodynamisme.
Qualifiez-la de concept-car en libre expression, ce à quoi pourrait ressembler la Lamborghini la plus extrême. Bien sûr, certains éléments survivront, tout comme certaines idées et formes. Regardez ce que nous avons fait avec la Countach et avec l’Essenza. Pour la Countach, nous voulions donner une forme de vaisseau spatial avec le moins de lignes possible, pour qu’elle soit très pure. Avec l’Essenza, nous avons utilisé les mêmes principes de design d’une manière beaucoup plus extrême. En bref, considérez-moi comme un chef qui doit cuisiner pour tous nos clients. Certains veulent des voitures élégantes, tandis que d’autres optent pour l’extrême. C’est aussi un exercice qui montre que nous pouvons jouer sur différents registres. Je garde beaucoup de contacts avec les clients, y compris ceux qui veulent dépenser deux à cinq millions d’euros pour une voiture ‒ une Sian ou une Essenza. Cela a montré que nous sommes devenus une marque beaucoup plus ouverte. J’en suis fier, d’autant plus que nous avons continué à cultiver le courage, l’audace, l’authenticité et l’inattendu, sous tous aspects. »
« Nous sommes une marque de luxe avec une image classique. Grâce à l’Urus et aux différentes variantes de nos gammes de supercars, nous avons attiré de nouveaux clients et j’en ai rencontré un certain nombre. Il s’agit de véritables entrepreneurs ou de grands personnages du monde de la musique. Ils ont mon âge mais ont un énorme succès dans leur entreprise et ils veulent maintenant commander une Countach parce qu’ils sont fans de la Countach des années 1980. Certains clients du monde de la visualisation possèdent plusieurs Lamborghinis. J’ai également rencontré des clients très sophistiqués, beaux et intelligents, qui ont des goûts personnels, car Lamborghini est une marque qui séduit des personnes aux opinions fortes et aux goûts tout aussi forts. Au fil des ans, nous sommes également devenus plus internationaux: on nous tend les bras au Japon, mais aussi en Allemagne et encore plus parmi les membres du Lamborghini Club of America, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Pebble Beach.
Ce qu’il y a de bien dans la vie, c’est qu’il y a des gens avec tant d’opinions différentes, avec des bagages culturels si différents, qui attei- gnent tous un certain bonheur grâce à une Lamborghini. Parce que nous concevons pour eux un objet unique, quelque chose que personne ne jettera jamais et qui est donc naturellement très sustainable. It’s a piece of art that will remain, always.
Mais n’oubliez pas que nous sommes avant tout une équipe, que nous prenons les décisions ensemble: noi siamo lo squadra. C’est possible parce que tout le monde ici sait ce que nous représentons, la voie que nous voulons suivre et comment nous nous ouvrons sans cesse à de nouvelles idées. C’est un grand sentiment de satisfaction qui nous incite à nous projeter dans l’avenir.
Les limited series comme la Sian et la Countach nous donnent également l’occasion de montrer notre technologie, et aucun modèle ne le montre mieux que l’Essenza, une track only supercar et dont la con- duite est un plaisir absolu. En revanche, avec la Sian et la Countach, nous avons fait nos premiers pas vers l’électrification, grâce à l’utilisation du supercondensateur. »
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