Made in China, le nouveau label de qualité en devenir
La Chine roule à vélo, l’Europe en voiture. Voici à quoi ressemblait le monde avant que la nouvelle génération de dirigeants ne prenne ses fonctions à Pékin. Ce régime a fait de la Chine une puissance économique mondiale en deux décennies. Aux dépens de l’Europe. Maintenant, la Chine roule en voiture et l’Europe à bicyclette.
L’année dernière, les ventes de voitures électriques en Chine ont augmenté de 150%, mais aucune marque européenne ne figure dans le Top 10. Comment est-ce possible, la Chine étant le plus grand débouché pour les fabricants allemands? Poser la question, c’est y répondre.
Des chiffres qui donnent à réfléchir
EQA 94 unités, EQB 133, EQC 6 et EQE 678, tels sont les chiffres de vente de Mercedes qui donnent à réfléchir pour le mois d’octobre 2022 en Chine, selon un magazine allemand qui fait autorité. D’après ce que l’on dit, le grand patron Ola Källenius a passé quelques nuits blanches dans la foulée. Après tout, la Chine n’est-elle pas le plus grand marché pour la marque à l’étoile, les limousines de luxe de Mercedes figurant également en bonne place sur la liste des souhaits des nantis chinois? C’est juste, non?
Alors pourquoi ces chiffres de vente dramatiques, qu’est-ce qui manque aux modèles électriques de Mercedes? Aux yeux des riches Chinois, l’EQS et l’EQE ne possèdent pas la même grandeur et le même charisme qu’une classe S ou E et ne sont pas «best in class» en termes de numérisation et de connectivité, caractéristiques auxquelles les riches Chinois attachent une grande importance. De plus, ils trouvent les EQS et EQE trop chers. Ceux qui font fortune en faisant des affaires en Chine sont également capables de compter et comparer les prix.
Dans un mouvement de panique, Mercedes a réduit de 30% les prix de ses modèles électriques en Chine, ce qui n’a pas résolu le problème fondamental d’Ola Källenius. Celui-ci réside dans le fait que les marques automobiles chinoises ont transformé leur retard technologique en une avance et qu’ils continuent à faire progresser cette avance technologique de manière systématique. Dans la perception des nantis chinois, le «Made in Germany» n’est plus une garantie de qualité supérieure en matière de voitures électriques.
Le made in China est tout simplement meilleur
Ce n’est pas un hasard si la Smart #1, qui succède à la smart fortwo électrique, a été développée par des ingénieurs du chinois Geely et si elle sort des chaînes de production chinoises. Geely Auto Group possède également Volvo et Polestar, la nouvelle star du monde automobile international. Bien que la Polestar 2 ait été développée et dessinée à Göteborg, en Suède, elle sera construite en Chine. Il en sera d’ailleurs de même pour la Volvo EX30, qui sera lancée sur le marché dans le courant de l’année. Il s’agit d’un SUV compact à propulsion électrique qui se situe dans la gamme de la marque suédoise juste au-dessous de la XC40. L’EX30 se mesure aux modèles électriques des grandes marques françaises, allemandes et asiatiques dans la gamme de prix de 40 000 à 45 000 euros et devrait à terme devenir le modèle grand public de Volvo. Le nouveau venu devrait également aider Volvo à obtenir un rendement de 8 à 10% d’ici 2025 et à vendre environ 1,2 million de voitures par an, soit 70% de plus qu’en 2021. Il est tout à fait possible que l’EX30 devienne également un concurrent de la XC40 Recharge en cours de construction à Gand. Selon Jim Rowan, le grand patron de Volvo, l’EX30 vise un public cible différent et sera commercialisé sur la base d’une nouvelle formule d’abonnement – à l’instar de Lynk & Co, qui appartient également à Geely Auto Group.
Sur les quelque 5 millions de voitures électriques vendues en Chine, à peine 200 000 étaient de fabrication allemande.
Ce qui est vrai pour Volvo, Polestar et Mercedes l’est aussi pour BMW. L’iX3 ne sera pas produite en Allemagne ou aux États-Unis, mais en Chine. Il en va de même pour la nouvelle MINI électrique, qui utilise une technologie développée par BYD, un partenaire chinois de BMW. Volkswagen a également appris la leçon. La marque généraliste allemande est présente en Chine depuis plusieurs décennies et y travaille en étroite collaboration avec plusieurs marques chinoises. L’ex-chef de Volkswagen, Herbert Diess, a quant à lui vu un grand avenir pour les modèles électriques ID. 3 et ID. 4 de VW sur le marché chinois. Cela n’a rien donné car les ID. 3 et ID. 4 ne peuvent pas rivaliser avec les modèles similaires des marques chinoises, que ce soit en termes de prestations, de connectivité, de numérisation, d’équipement ou de prix. Le Made in China est tout simplement meilleur. Les marques chinoises répondent également de manière plus appropriée aux modes de vie et aux désirs des citoyens chinois. Par exemple, ces derniers utilisent constamment les commandes vocales, alors que chez Volkswagen, le système de reconnaissance vocale n’est toujours pas au point. Comment voulez-vous vendre des voitures à des Chinois tatillons et bien conscients des prix dans ces conditions?
Sur les quelque 5 millions de voitures électriques vendues en Chine, à peine 200 000 étaient de fabrication allemande. À l’exception de Volkswagen, les marques allemandes ne proposent pas de véhicules électriques compacts à un moment où la demande de voitures électriques abordables est forte. Même dans le segment du luxe, les marques allemandes n’élargissent pas assez rapidement leur offre de modèles. Le lancement sur le marché de quelques nouveaux modèles d’Audi et de Porsche a été retardé de deux ans parce que le développement de nouveaux logiciels au sein du groupe Volkswagen a pris une mauvaise tournure. À l’heure actuelle, de nouvelles marques chinoises haut de gamme, telles que Nio et Xpeng, font leur entrée sur le marché européen et y sont accueillies favorablement pour leurs caractéristiques créatives et innovantes.
Nouvel ordre mondial
Tout cela montre qu’un nouvel ordre mondial est en train d’émerger. La Chine est en train de rattraper rapidement l’avance de l’Europe, à la fois en tant que centre de connaissances mais aussi en tant que lieu de production. Ce qui, pour les initiés, est la logique des choses. Les usines automobiles les plus modernes se trouvent en Chine, où elles sont à la pointe de l’efficacité et de la rentabilité. La République populaire dispose également d’un arsenal quasi inépuisable d’hommes et de femmes très instruits, ambitieux et travailleurs. La Chine est en tête tant en termes de matériel que de logiciels.
L’essor des marques automobiles chinoises est évidemment lié à l’imbrication de la politique et de l’industrie. Il convient également de mentionner, d’un point de vue politique et économique, que la Chine détient 87% de l’approvisionnement mondial en métaux rares, 65% pour le cobalt, 58% pour le lithium et 48% pour le cuivre. Les métaux dits rares sont nécessaires à la fabrication de la batterie d’une voiture électrique. Ce n’est pas un hasard si, en moins de cinq ans, la société chinoise CATL est devenue le premier producteur mondial de batteries et si plusieurs marques automobiles chinoises produisent leurs propres batteries.
Le revers de la médaille
L’expansion rapide de la Chine, qui est devenue la deuxième puissance économique du monde, ne s’est pas faite sans controverse. Le président Xi Jinping et son gouvernement ne montrent aucun respect pour les droits de l’homme, bloquent toute forme de liberté d’expression et l’opposition est traitée avec brutalité. Le régime dictatorial manque aussi régulièrement la balle. La manière dont la Chine combat le corona a démontré peu de succès. Les mesures draconiennes et les lockdowns successifs ont causé bien du tort à l’économie chinoise et ont incité les entreprises et les investisseurs occidentaux en Chine à réfléchir à deux fois. Quant à savoir si cela mènera à des actions, nul ne peut le dire actuellement.
Dans tous les cas, la prudence est de mise. Si l’économie chinoise se détériore, les entreprises européennes, et en particulier les marques automobiles allemandes, paieront la facture. BMW & Co réalisent jusqu’à la moitié de leurs ventes en Chine, une situation hautement malsaine que les constructeurs eux-mêmes ont créée en externalisant le développement et la production de batteries et de semi-conducteurs à des fournisseurs chinois. Ceux-ci disposent désormais d’un monopole de fait qui leur permet de mener une politique de division et de domination et de manipuler à volonté le prix du marché. Ceux qui dénoncent leurs pratiques et demandent justice devant les tribunaux ne frappent pas à la bonne porte. L’imbrication de la politique et de l’industrie en Chine est plus grande que jamais, tout comme l’emprise de la politique sur le système judiciaire.
Le danger rouge
Dans quelle mesure les marques automobiles chinoises risquent-elles de prendre la main sur le marché européen? Pour l’instant, la part de marché des marques chinoises en Europe est négligeable. Mais cette situation pourrait bientôt changer si les grandes marques européennes retirent de leur offre leurs modèles compacts à faible marge bénéficiaire et qu’elles tournent le dos aux personnes à revenus normaux en ne proposant que des voitures familiales plus chères avec comme devise «faire plus de profit avec moins de voitures». Une stratégie à court terme qui leur fait perdre des clients fidèles en Europe et ne leur permet pas de s’implanter en dehors de l’Europe. Car après tout, l’Amérique et la Chine protègent leurs marques nationales en imposant des taxes à l’importation sur les nouvelles voitures made in Europe. L’Europe ne le fait pas. Le gouvernement européen ne rate aucune occasion d’imposer des normes plus strictes aux marques européennes mais ne prend aucune initiative pour protéger les fabricants européens. Il y a toujours un État membre qui fait barrage. Si ce n’est pas la France ou l’Italie, alors c’est l’Allemagne.
Les marques chinoises ne cachent pas leur désir de devenir numéro un dans le monde, le plus tôt étant le mieux.
Parallèlement, les ventes de voitures chinoises en Europe ont augmenté de 167% en 2021. Les marques chinoises ne cachent pas leur désir de devenir le numéro un mondial, le plus tôt étant le mieux. Ils ne rivalisent pas nécessairement par le prix mais par le concept innovant de leurs modèles. La Chine compte quelque 90 marques automobiles qui produisent ensemble 2 millions de véhicules électriques par an. Selon la CAAM, la fédération automobile chinoise, ce chiffre devrait passer à 8 millions d’ici 2028. Ceci démontre l’échelle de pensée et d’action du secteur automobile. En particulier, Aiways, BAIC, BYD, DFSK, Great Wall Motors, JAC, Maxus, MG, Nio, Polestar, SAIC et Xpeng sont considérés comme capables, avec une chance de succès, de croiser le fer avec leurs concurrents européens.
MG & Co offrent un meilleur rapport qualité/prix. Le Made in China est en passe de devenir le nouveau label de qualité. Pour la plupart des marques chinoises, le marché européen est un territoire inconnu et c’est un handicap qui ne doit pas être sous-estimé. L’Europe est une grande couverture en patchwork ; chaque État membre étant différent. Pour un nouveau venu sur le marché, qui ne dispose pas d’un réseau de concessionnaires bien établi, il est difficile de s’implanter. Les clients européens ont l’embarras du choix, mais lorsqu’ils commenceront également à acheter leurs voitures en ligne, la situation pourrait changer rapidement.
Le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC), qui fait autorité en la matière, prévoit que l’Europe importera plus de voitures qu’elle n’en exportera à partir de 2025. Alors que les marques chinoises vendent de plus en plus de véhicules électriques en Europe, les fabricants européens déplacent de plus en plus leur capacité de production vers la Chine. En 2022, les constructeurs chinois ont importé quelque 66 000 voitures électriques de Chine vers l’Europe. Selon PwC, ce nombre pourrait atteindre 330 000 en 2025. Des chiffres inquiétants et une preuve de plus que l’Europe n’est plus le numéro un du monde automobile international, cet honneur revenant désormais à la Chine.
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