Ces voitures en kit sont fabriquées avec des matériaux composites solides et légers, avance la startup suédoise. © Luvly AB

Légères, compactes et moins chères: les voitures en kit sont-elles l’avenir de la mobilité européenne?

Stellantis vient de signer un accord commercial d’un an avec Luvly, une startup suédoise à l’origine de la O, une étonnante voiture en kit. Compact, léger, écologique et économique, ce type de véhicule électrique est-il l’avenir de la mobilité en Europe? Pierre Duysinx (ULiège) n’en est pas persuadé, mais il est sûr d’une chose: ce type de modèle économique est loin d’être nouveau.

La Suède a permis aux consommateurs d’aménager leur maison ou leur appartement avec des meubles en kit à bas coût, et peut-être est-elle aussi sur le point de révolutionner le marché de l’automobile en appliquant le même modèle.

Le nom de Luvly (Light Urban Vehicule -ly) évoque encore très peu de choses aux automobilistes. Pourtant, ce jeune constructeur de véhicules électriques ultralégers et compacts, basé à Stockholm, existe depuis dix ans. Il a fallu huit années de développement à ses fondateurs, Håkan Lutz, Björn Lindblom et David Egertz, pour sortir leur premier modèle de voiture, la Luvly O.

En 2023, la startup suédoise a attiré l’attention de quelques médias avec son concept aussi innovant que surprenant. La O, c’est une micro-citadine qui peut accueillir deux passagers et atteindre une vitesse maximale honorable de 90 km/h. Mais surtout, la O est l’un des rares prototypes de voitures… en kit. Contrairement aux constructeurs automobiles classiques, Lutz, Lindblom et Egertz ont décidé que leurs voitures ne sortiraient pas de leurs usines entièrement construites, mais plutôt en pièces détachées expédiées par colis vers de micro-usines locales proches du client final.

Héritière des kit cars

Si le concept est singulier, il n’est pas le premier du genre. Dans les années 50, les kit cars voient le jour, portées essentiellement par un marché anglo-saxon. Parmi les modèles iconiques, la Lotus Super Seven. «Mono ou biplace, ces voitures très basses se rapprochaient presque d’une Formule 1, commente Pierre Duysinx, professeur d’ingénierie des véhicules terrestres à l’ULiège. C’étaient des voitures de prestige qui offraient aux passionnés la possibilité de construire leur propre voiture.» Ces véhicules en pièces détachées étaient surtout des modèles sportifs, bien loin d’un concept comme la Luvly O.

Phénomène éculé, les kits cars ont peu à peu disparu, mais les voitures en kits, elles, ont continué d’exister. Certains constructeurs automobiles vendent à leurs filiales à l’étranger des pièces détachées assemblées sur place. Souvent, l’objectif est de faire des économies sur la main-d’œuvre et d’éviter les taxations sur les produits finis. Le véhicule de la startup suédoise emprunte un peu à ces Complete Knock Down (SDK, nécessaire non assemblé) vehicule.

Légère, compacte, écologique et économique… vraiment?

Sur son site, Luvly présente sa O comme une voiture robuste, sûre –«la meilleure de sa catégorie», assure la marque. Tout cela grâce à une solution brevetée faite d’un châssis composite et d’éléments permettant d’absorber l’énergie en cas de choc. «Ceux-ci permettent d’obtenir des véhicules légers et réagissant bien aux crashs, mais ils sont chers, indique Pierre Duysinx. Ici, cela semble avant tout être un argument marketing. A priori, ces voitures n’ont été soumises à aucun crash-test, il est dès lors impossible d’avoir la certitude qu’elles sont aussi solides que le dit le constructeur.»

Je pense que le prix réel pour l’acheteur sera plus cher que les 10.000 euros annoncés. Plutôt de l’ordre de 13.000 à 14.000 euros minimum.

Pierre Duysinx

Professeur d’ingénierie des véhicules terrestres à l’ULiège

Pour la légèreté, a priori, Luvly respecte le contrat. La O affiche un poids de seulement 380 kilos. Etant peu lourde, elle n’a besoin que d’un petit moteur alimenté, selon Håkan Lutz, par des batteries dont la taille a été réduite de 90%. Parce qu’elle pèse moins de la moitié du poids de la voiture la plus légère du marché et que ses composants sont recyclables, ce micro-véhicule serait «plus vert» que n’importe quelle autre voiture, invoque la société.

Dernier argument de poids: son prix. Sur le site de la marque, la O affiche un tarif à partir de 10.000 euros à peine. C’est plus cher que la Citroën Ami ou la Fiat Topolino, par exemple, mais moins que certaines autres voitures sans permis (VSP). Ce prix pourrait toutefois être celui des pièces détachées et éventuellement de leur envoi, et non le prix final de la voiture assemblée.

«Pour une voiture classique à 20.000 euros, la moitié du coût est celui des pièces et des matériaux. Avec l’assemblage, la distribution et le marketing, on monte à 18.000 euros. Restent 1.000 euros de mise en réserve par le constructeur et 1.000 autres euros pour la marge du vendeur», expose le spécialiste automobile. «On imagine que la société qui commercialise la voiture en kit rabote les coûts en n’ayant pas recours à une concession et en faisant l’impasse sur le marketing, les frais de fabrication et d’entreposage, mais je pense que le prix réel pour l’acheteur sera tout de même plus cher qu’annoncé. Plutôt de l’ordre de 13.000 à 14.000 euros minimum.»

Voitures en kit
Compact, léger, écologique et économique, ce type de véhicule électrique est-il l’avenir de la mobilité en Europe? © Getty Images

Un marché restreint

Après avoir intrigué la sphère médiatique spécialisée, cette petite voiture urbaine a attiré l’attention de Stellantis. Le géant franco-italo-américain et la startup suédoise viennent en effet de signer un accord commercial d’un an, rapporte Zag Daily. L’objectif du mastodonte de la fabrique de véhicules motorisés est d’explorer la technologie suédoise et, qui sait, peut-être ouvrir un nouveau marché. C’est en tout cas ce qu’entrevoit Pierre Duysinx. «Si l’entreprise venait à la commercialiser, cette voiture ne remplacerait pas un modèle existant, mais compléterait l’offre de Stellantis», estime le professeur d’ingénierie des véhicules terrestres. Une voiture qui, d’après lui, répondrait à deux besoins: celui d’avoir un engin motorisé peu cher pour effectuer de courts déplacements.

«Un véhicule comme celui-ci ne pourrait pas fonctionner dans un pays comme les Etats-Unis. Parce qu’il est peu cher, on le verrait certainement davantage sur les routes de pays en voie de développement, ou dans les villes et campagnes européennes», poursuit le spécialise. L’entreprise suédoise se montre d’ailleurs très claire à ce sujet, présentant son modèle O comme une voiture urbaine. Il est possible d’imaginer ce genre de solution de mobilité dans une ville comme Amsterdam, où il n’est pas rare de voir des voiturettes électriques d’appoint garées devant les maisons et les appartements des quartiers excentrés. Elle pourrait aussi être utile aux personnes vivant à la campagne et ayant besoin d’un moyen de se déplacer pour de courts trajets, comme pour faire des courses.

Selon Pierre Duysinx, la Luvly O ne remplacera aucun véhicule déjà sur le marché, mais en créera un nouveau. © Luvly AB

Les voitures en kit sont-elles sûres?

«Si nous parvenons à convaincre [Stellantis] du niveau de sécurité et de rentabilité de notre plateforme, et qu’ils décident de l’adopter, ce sera une avancée majeure. Pas seulement pour nous, mais pour l’industrie», souligne Håkan Lutz auprès du média spécialisé dans la mobilité durable. «Notre proposition est une alternative aux voitures tout à fait viable», ajoute-t-il.

Quand une voiture de ce type entre en collision avec une autre plus grande, les chances que les personnes dans le petit véhicule perdent la vie augmentent.

Pierre Duysinx

Professeur d’ingénierie des véhicules terrestres à l’ULiège

Pierre Duysinx émet des réserves face à l’affirmation de Luvly selon laquelle leur modèle de voiture a un haut niveau de sécurité. Sans remettre en question les arguments techniques de la startup suédoise à propos des matériaux composites utilisés, le professeur liégeois craint que sa taille riquiqui puisse être préjudiciable en cas d’accident. «La mortalité est proportionnelle à la masse des voitures en collision exposant quatre. Quand une voiture de ce type entre en collision avec une autre, forcément plus grande, les chances que le conducteur et/ou le passager du petit véhicule perdent la vie augmentent», prévient-il. Dans une Europe où la popularité des SUV ne cesse de croître, conduire un engin du genre de la Luvly O pourrait dès lors présenter un risque accru de perdre la vie au volant, selon le spécialiste automobile.

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