80% de la population peut faire preuve d’agressivité au volant, selon Emilie Berdoulat, enseignante-chercheuse en psychologie clinique à l’Université de Toulouse – Jean Jaurès © Getty Images

Pourquoi certains pètent un câble en voiture? Les 3 types d’agressifs au volant

L’essentiel

80% de la population peut faire preuve d’agressivité au volant.
Les conducteurs belges se définissent eux-mêmes comme les plus stressés d’Europe, mais seulement 35% d’entre eux admettent faire preuve d’agressivité au volant.
Le sentiment d’anonymat, la frustration liée aux limitations de vitesse et le mythe de la grosse voiture sont des facteurs qui stimulent l’agressivité au volant.
Les femmes et les personnes âgées sont davantage susceptibles d’être victimes d’agressivité au volant.
Pour lutter contre son agressivité au volant, il est conseillé de prendre conscience de son comportement, de compter jusqu’à dix en cas d’incident, de ne pas sortir de son véhicule et d’adopter une attitude tolérante.

Doux comme un agneau à la maison, au boulot, entre amis, mais bête féroce sur la route? Un changement de personnalité très fréquent. Pourquoi donc un alter ego empli d’agressivité semble s’emparer de chaque automobiliste ?

«Au quotidien, je suis de nature calme, voire timide. Au volant, par contre, il m’arrive de m’énerver et de ne pas me reconnaître. Je fais très attention au code de la route et je ne supporte pas quand quelqu’un fait quelque chose d’interdit… »

Nerveux, Sébastien? Le presque trentenaire serait en réalité un «agressif justicier», selon la typologie dressée par Emilie Berdoulat, psychologue clinicienne à l’Université Toulouse – Jean Jaurès. «Ces conducteurs ne deviennent agressifs qu’en réponse au mauvais comportement des autres», éclaire-t-elle. Les distinguant des «agressifs dominants» et des «agressifs situationnels». Les premiers se révèlent également agressifs au quotidien: ils assouvissent ce besoin de contrôle et de pouvoir au volant. Les seconds ne montrent des signes d’agressivité qu’en voiture: ils y recherchent des sensations, notamment en commettant des excès de vitesse. Quatrième catégorie: les «respectueux», toujours courtois. Mais peu nombreux. «Environ 80% de la population peut se montrer agressive lorsqu’elle conduit», estime l’enseignante-chercheuse.

Les conducteurs belges se définissent eux-mêmes comme les plus stressés d’Europe. © Ipsos

Les automobilistes eux-mêmes semblent avoir un avis différent. Dans une enquête réalisée par l’Institut Vias en 2022, seuls 35% des Belges interrogés ont admis faire preuve d’agressivité au volant. En revanche, plus de la moitié des répondants déclarent en avoir été victimes au cours de l’année écoulée. Vias constate également que les formes d’agression les plus extrêmes augmentent.

Selon le Moniteur de sécurité belge de 2021, près de la moitié des conducteurs belges déclarent que le comportement agressif sur la route pose un problème, voire un problème majeur. Avec des différences notables selon les régions. «Le comportement agressif sur la route est perçu comme moins problématique en Région flamande (38%) par rapport à la Région wallonne (57%) et à la Région bruxelloise (60%)», précise Isabel Verwee, docteure en criminologie et manager au centre de recherche et connaissance de l’Institut Vias.

A l’échelle européenne, les conducteurs belges ne se situent pas parmi les plus féroces. Selon un très récent sondage Ipsos, 26% d’entre eux jugent les autres automobilistes agressifs, tandis que seuls 3% d’entre eux se définissent eux-mêmes comme tel. Par contre, les Belges se révèlent les plus stressés (15% se définissent ainsi) et les moins calmes (44%). En outre, ils se classent aussi parmi les champions du klaxon: 57% d’entre eux admettent l’actionner de façon intempestive.

Le sentiment d’anonymat et ses travers

Les chercheurs travaillant sur la question s’accordent: les traits de personnalité d’une personne influent sur son comportement sur la route. «Quelqu’un de nature colérique aura tendance à se montrer agressif en voiture», explique Emilie Berdoulat. Sans surprise.

Toutefois, la corrélation est loin d’être parfaite: certaines personnes semblent se métamorphoser au volant. Certains facteurs stimulent l’agressivité, comme le sentiment d’anonymat conféré par l’habitacle. «Le conducteur ne connaît généralement pas l’identité des autres automobilistes, souligne Isabel Verwee. De plus, il y a peu ou pas de contact personnel en raison de la distance physique entre les conducteurs. Cela facilite souvent l’expression de l’agressivité. »

Dire “Je suis garé là” au lieu de “Ma voiture est garée là” est révélateur de l’importance accordée au véhicule dans notre société

Isabel Verwee, docteure en criminologie et manager au centre de recherche et connaissance de l’Institut Vias

Emilie Berdoulat trace un parallèle. «Aujourd’hui, on est habitués à obtenir tout ce qu’on veut rapidement. Or sur la route, on doit respecter des limitations de vitesse et partager l’espace. Cela génère de la frustration, face à laquelle on est de moins en moins tolérant. D’autant plus dans l’après-Covid: impuissant pendant de nombreux mois, on ne supporte plus d’être à nouveau frustré.»

Les études démontrent aussi un trait commun à certains conducteurs agressifs: ils considèrent leur voiture comme une extension d’eux-mêmes. «Dans la culture occidentale, le véhicule occupe une place importante, analyse Isabel Verwee. On y associe des valeurs telles que la liberté, l’aventure, le pouvoir, le statut social, la vitesse et la virilité. Une menace potentielle à l’encontre de notre véhicule peut déclencher un réflexe de protection, entraînant une réaction agressive. Dire « Je suis garé là » au lieu de « Ma voiture est garée là » est d’ailleurs très révélateur.»

Le mythe de la grosse berline

La méconnaissance des règles de circulation constitue par ailleurs une fameuse source d’agressivité. D’après une récente étude de Touring, le mauvais usage du clignotant est le comportements qui énerve le plus les conducteurs belges. L’usage du téléphone au volant et la conduite sur la bande du milieu sur l’autoroute complètent le podium.

Vias remarque plus spécifiquement que la méconnaissance des règles applicables aux autres modes de transport peut générer des conflits. Un constat partagé par Emilie Berdoulat. « Le conducteur éprouve un sentiment d’appartenance à une certaine catégorie de véhicule. Les motards estiment que le problème se situe chez les automobilistes, ceux-ci le voient chez les cyclistes, tandis que le chauffeurs-routiers dénoncent les motards. Le problème, c’est les autres, mais surtout les autres différents de moi. »

La grosseur du véhicule aurait donc une influence sur l’agressivité des conducteurs. «Il m’arrive de conduire la voiture de mon épouse, une ‘cacahuète’, témoigne Sébastien, l’ »agressif justicier ». Et presqu’à chaque fois, je m’énerve. Car les autres usagers de la route ont beaucoup plus tendance à me brûler une priorité ou à me klaxonner.» Une croyance assez répandue mais… pas vraiment confirmée. «Une étude a démontré qu’une petite voiture se faisait plus rapidement klaxonner qu’une grosse berline lorsqu’elle ne démarrait pas au feu vert, indique Emilie Berdoulat. Mais une autre étude a donné le résultat opposé.»

Les femmes et les personnes âgées en prennent davantage pour leur grade

Emilie Berdoulat, enseignante-chercheuse en psychologie clinique (Université de Toulouse – Jean Jaurès)

En revanche, les stéréotypes à l’égard de certains types de conducteur sont toujours bien présents, estime Emilie Berdoulat. «Là où les préjugés tendent enfin à faiblir dans la société, ils s’exacerbent au volant. Tout l’archaïque ressort sur la route. Les femmes et les personnes âgées en prennent davantage pour leur garde», observe-t-elle.

Parmi les autres stimuli externes, il y a les embouteillages. «Plus le trafic est dense, plus notre liberté nous semble restreinte, explique Isabel Verwee. Cette frustration peut se transformer en agressivité, bien que certains la gèrent mieux que d’autres.» Dans le même ordre d’idées, la température joue un rôle: les automobilistes ont parfois tendance à être plus agressifs en été, constate Vias.

Enfin, Emilie Berdoulat voit dans l’exacerbation de l’agressivité au volant une potentielle conséquence de la société du «tout à l’écran». «Sur les réseaux sociaux, on peut insulter sans risquer de subir une réponse violente physique, note la psychologue. On n’a qu’à éteindre son téléphone pour échapper au conflit. En voiture, on peut avoir ce même sentiment de bulle protectrice. Sauf que cela peut tout de même tourner à la confrontation. Il y a donc une nette différence… qui n’est peut-être pas perçue comme telle par les automobilistes, habitués à ce que ces violences restent virtuelles.»

Comment lutter contre son agressivité au volant

«La première étape, c’est déjà de prendre conscience de son agressivité et de vouloir la tempérer», souligne Emilie Berdoulat. En cas d’incident, Vias préconise par exemple de compter jusqu’à dix pour faire retomber la pression. Ou d’imaginer que le conducteur énervant comme un proche. En outre, l’institut conseille de ne jamais sortir de son véhicule: la situation ne ferait qu’empirer. «Gardez à l’esprit que la plupart des usagers de la route ne commettent pas délibérément des erreurs, complète Isabel Verwee. Personne n’est parfait sur la route. Évitez de porter un jugement hâtif sur les compétences de conduite après une brève interaction. Adoptez une attitude tolérante et mettez de côté vos propres frustrations.» Et en cas d’erreur, rien de tel que faire amende honorable avec un sourire.

Dans les cas extrêmes, Vias donne des formations de 30 heures aux personnes condamnées par les tribunaux pour des délits routiers. « Chacun en repart avec une autre perception des risques, et avec idéalement une volonté de changer sa conduite», assure Isabel Verwee.

Et si tout ça ne suffit pas… il suffit de patienter. En effet, les études montrent que l’on s’assagit avec l’âge. « Les capacités cognitives et physiques diminuant, on adapte son comportement pour limiter les prises de risques, résume Emilie Berdoulat. En conséquence, les conducteurs plus âgés ont davantage tendance à ruminer : ils râlent sans oser l’exprimer clairement. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire