Investir dans une voiture ancienne: une affaire qui roule?
Les oldtimers continuent de faire rêver. Après une flambée de plusieurs années, les prix se sont toutefois tassés. Le marché en est revenu à plus de raison.
Sur une pelouse fraîchement tondue, s’alignent des dizaines de belles carrosseries. Avec leurs courbes d’un autre âge, elles font écho aux ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville qui se dressent aux alentours. Pour la septième édition de «Retro Mobile», en ce dimanche pluvieux de mai, ces mécaniques ont encore attiré quelque 2.500 aficionados. La voiture ancienne continue de faire recette. Mais est-ce vrai aussi du côté des acheteurs et des propriétaires?
On compte aujourd’hui en Belgique quelque 135.000 véhicules immatriculés sous une plaque «O» pour oldtimer. Pour y avoir droit, ces véhicules doivent compter plus de 30 ans depuis leur première immatriculation. Cette plaque «O» permet des taxes de circulation et de mise en circulation moins élevées. Elle autorise aussi un contrôle technique adapté.
Ces dernières décennies, ce marché a beaucoup progressé. On a vu certaines autos devenir iconiques et prendre de la valeur. Quand il est question de tarifs, tirer des moyennes n’est jamais simple. Un même modèle peut aller du simple au double. Tout dépend de la mécanique, de l’état général, du kilométrage, de l’historique, de la rareté… Sans compter que certains particuliers gonflent outrageusement leurs annonces. N’empêche. En se basant sur la cote établie par des revues spécialisées, il est quand même possible de se faire une idée.
Flambée puis stabilisation
Les chiffres ont de quoi surprendre. Une VW Golf GTI phase 1 (1976-1982) s’affiche à 27.500 euros. Fierté hexagonale, une Renault 8 Gordini à moteur 1.300 (1967-1973) se négocie autour de 55.000 euros. Une 2CV des années 1970 à 1980 vaut entre 8.000 et 14.000 euros. Une Mini (1959-2000) démarre à 6.800 euros et monte jusqu’à 25.000 euros pour les versions spéciales. Quant à la Fiat 500 (1957-1973), surnommée le « pot de yogourt », elle est évaluée à 12.000 euros…
Tous ces exemples concernent des conduites «populaires». A l’autre bout du marché, on entre dans un autre monde. Celui des Ferrari, Bugatti, Aston Martin… Ici, les exemplaires sont uniques, s’échangent lors de ventes aux enchères et ne quittent jamais les salles d’exposition. Les prix sont stratosphériques. Exemple? La Ferrari 250 GTO (1962-1964) a atteint 51,7 millions de dollars lors d’une vente chez Sotheby’s en 2023.
«En achetant une voiture ancienne, on peut raisonnablement penser pouvoir récupérer sa mise de départ.»
Toutefois, il serait faux d’en conclure que le marché du véhicule ancien et de collection est en or et immuable. Comme tout négoce, celui-ci fonctionne selon la loi de l’offre et de la demande. Et alterne hauts et bas. «Il est passé par différentes phases au cours du temps, détaille Philippe Dehennin, le président de la Belgian Historic Vehicle Association (Behva), la fédération qui regroupe 544 clubs d’ancêtres. Il y a quelques années, une explosion en valeur s’est effectivement produite. Les voitures anciennes ont alors été cataloguées comme des actifs en soi, à intégrer dans un patrimoine et à considérer comme une diversification. Une bulle spéculative s’était créée. Comme dans d’autres biens et placements, d’ailleurs. Mais, depuis sept ou huit ans, elle a pris fin. Aujourd’hui, les oldtimers ont cessé d’être un marché d’investisseurs. C’est redevenu un marché de passionnés.»
Décote chez les roadsters
Du côté des garages actifs dans la vente d’anciennes, on confirme avec, ici et là, des nuances. «Le marché est actuellement marqué par un double phénomène, diagnostique Thierry Téchy, gérant de la société Route59 à Thuin, active dans la vente, le dépôt-vente et le conseil à l’achat de véhicules anciens. D’une part, le nombre d’immatriculations en oldtimer progresse. Chaque année, des modèles dépassent les 30 ans et entrent sur le marché. Donc l’offre augmente. D’autre part, la demande se modifie. En effet, une génération de propriétaires est progressivement en train de revendre ses voitures. Quand on devient âgé, conduire une décapotable anglaise les cheveux au vent, sans direction assistée, devient difficile. Or, ces voitures –des Austin Healey, des Triumph ou des MG– ne sont pas celles vers lesquelles se tournent en premier lieu les acheteurs plus jeunes. Ceux-ci visent plus volontiers des autos de leur époque ou de l’époque de leurs parents: Golf GTI, Peugeot 205, BMW 320 E30, etc. Par conséquent, les deux places britanniques voient leurs cotes baisser de 20% à 30%. Ce tassement touche beaucoup de marques, même si l’intérêt existe toujours.»
La Deuche: un capital sympathie
Même constat pour les modèles populaires. «La 2CV a connu une flambée qui a culminé vers 2019, analyse Christophe Raspé, un restaurateur qui, avec sa société Assistem, basée à Bassily, dans le Hainaut, est spécialisé dans la révision des Citroën légères. Ce sont des voitures simples et à la mécanique éprouvée. Surtout, leur capital sympathie reste considérable. Toutefois, depuis cinq ans, la situation se tasse. Les prix se maintiennent mais n’augmentent plus. Le nombre de transactions, lui, s’est réduit. Une des raisons est que les candidats acheteurs ont pris peur des restrictions environnementales, comme les zones de basses émissions décidées dans une série de villes en Belgique et ailleurs. Certes, des dérogations existent pour les oldtimers, mais cela a quand même freiné le marché. Cela étant, j’ai pour deux ans de travail devant moi…»
«Le mieux est de viser des voitures qui n’ont pas encore 30 ans et dont les cotes sont raisonnables.»
Et du côté des voitures de sport? «Il y a eu une période d’engouement, raconte à son tour Jean-Yves Villers, gestionnaire du Porsche Centre Classic de Bruxelles. Beaucoup de personnes ont voulu investir dans une Porsche, parce que la valeur vénale est très sûre. Les prix en sont devenus affolants. Il y a clairement eu de la spéculation. Ce qui a d’ailleurs découragé certains Porschistes de longue date. Cette époque s’est terminée vers 2022. Aujourd’hui, les prix sont plutôt stationnaires. Seules les séries limitées continuent de monter.» Dont celles de la célèbre 911, avec son moteur flat-six en porte-à-faux arrière.
Mustangs transatlantiques
Chez les «Muscle cars» américaines, les prix se sont aussi stabilisés. «Mais la demande reste là», affirme Julien Araujo Costa, manager de Mustang&Co, à Enghien. Ce garage repère des voitures en Californie, les achète, les importe par bateau, les révise, puis les revend. Sa clientèle est à 80% française. La spécialité est la Ford Mustang, qui a fêté ses 60 ans en avril. «Elle a une réputation mythique qui ne faiblit pas et séduit même les jeunes. L’attrait provient des moteurs V8. Les acheteurs se disent que plus jamais on ne construira de telles mécaniques, vu le passage aux véhicules électriques.» Seul ombre au tableau: les Mustang à dénicher pour restauration deviennent rares. A tel point que les Américains, pour satisfaire la demande chez eux, viennent en rechercher en Europe! Comme quoi, décidément, ce marché des oldtimers a ses spécificités bien à lui.
Est-ce vraiment un placement?
Contrairement à des discours classant les oldtimers parmi les «actifs de collection» –comme les peintures, montres ou bijoux–, la réponse est mitigée. Après un achat, une voiture ancienne nécessite en effet des frais. Il faut la placer dans un garage, réaliser des entretiens, remplacer les pièces en fin de vie, rouler un minimum, mettre l’essence dans le réservoir (les consommations sont elles aussi «d’’époque»: 8, 15, 22 litres aux 100 kilomètres). Pas anodin!
Il convient aussi d’oublier le mythe de la guimbarde rachetée 1.000 euros et transformée en carrosse. Beaucoup de professionnels déconseillent de se lancer dans des restaurations. «Car avec l’indexation des salaires et l’inflation élevée qu’on a connus, le prix de la main-d’œuvre mécanique a sérieusement enflé, souligne Thierry Téchy (Route59). Pareil pour le prix des composants ou des produits de peinture.» Au rayon des avantages, tous les acteurs l’affirment: «En achetant une voiture ancienne, on peut raisonnablement penser pouvoir récupérer sa mise de départ.» Mais cela n’a rien d’automatique. C’est plutôt de l’ordre du «très probable».
«Lorsqu’on examine la voiture ancienne sous l’angle du placement, il convient d’avoir trois éléments à l’esprit, résume Thierry Téchy.
Un: il y a toujours des risques (problèmes mécaniques, altérations, modes qui changent, etc.).
Deux: l’investissement doit être de long terme.
Trois: il faut accepter de subir des fluctuations de prix au fil du temps.»
La bonne affaire est quand même possible. «En ce domaine, le mieux est de viser des voitures qui n’ont pas encore 30 ans et dont les cotes sont raisonnables. Ce sont les youngtimers. Une fois entrées en collection, elles peuvent alors prendre de la valeur.» Seuls hic: il y a déjà beaucoup de transactions à ce niveau et il faut choisir la bonne monture, celle qui deviendra emblématique. Et là, c’est à la roue –de la fortune– de tourner…
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