Voiture électrique © BELGA/BELPRESS

Comment les lobbys pétroliers discréditent la voiture électrique depuis 50 ans

L’essentiel

Depuis 1967, l’industrie pétrolière utilise des arguments pour discréditer la voiture électrique.
• Les lobbys pétroliers ont utilisé trois axes pour défendre le thermique : scepticisme quant aux solutions, idée que la population n’arriverait pas à avoir accès à des énergies vertes et argument de neutralité.
• Selon InfluenceMap, cette stratégie a porté ses fruits, car la voiture électrique n’a jamais réussi à percer malgré son existence depuis le début du XXe siècle.
• Certaines entreprises pétrolières, comme Shell, BP et TotalEnergies, ont commencé à promouvoir l’électrification des véhicules, mais continuent toutefois à financer les lobbys attaquant durement les voitures électriques.

Une enquête décortique les arguments utilisés depuis 1967 par l’industrie pétrolière contre les voitures électriques. L’impact sur la transition énergétique serait considérable.

Janvier 2023: le Sénat de l’Etat de New York convoque l’American Petroleum Institute (API). Cette organisation, représentante de la majorité des grandes sociétés pétrolières mondiales, explique alors qu’il est probable qu’une politique d’électrification du parc automobile «ne parvienne pas à réduire de manière adéquate les émissions» de gaz à effet de serre (GES). Un discours très semblable à celui que tenait l’API en 1967 devant le Congrès américain. À cette époque-là, elle déclarait déjà que la voiture électrique «ne bénéficiera d’aucun avantage significatif du point de vue de la pollution de l’air» par rapport aux moteurs thermiques.

Pour le think tank InfluenceMap, cette constance est éloquente. Sa nouvelle étude montre que depuis des décennies, l’API et ses équivalents européen et britannique, FuelsEurope et Fuels Industry UK, utilisent la même méthode pour appuyer leur plaidoyer contre les énergies vertes, notamment vis-à-vis des véhicules électriques. Une recette restée inchangée, tant elle marche bien, et qui a été décortiquée ici en détail.

Trois axes pour défendre le thermique

Après avoir passé en revue 56 ans de plaidoyers de ces trois lobbys, InfluenceMap a repéré trois arguments récurrents utilisés par l’industrie pour capter l’attention des politiques. Le premier est celui utilisé devant le Congrès américain et le Sénat de New-York: le «scepticisme quant aux solutions». L’idée est de minimiser «systématiquement l’impact potentiel et la viabilité des sources d’énergie alternatives», en «remettant en question leur efficacité et en soulignant les défis et les incertitudes» sous-jacents.

Deuxième axe: instiller l’idée que contrairement aux combustibles fossiles, la population n’arriverait pas à avoir accès à des énergies vertes. Ce raisonnement, apparu au début des années 1970, perdure depuis.

Vers 1990, les lobbys pétroliers ont inventé un troisième argument phare: les politiques ne devraient pas imposer de nouvelles technologies, par souci de «neutralité». Une rhétorique répétée «aux politiques qui promeuvent uniquement des alternatives aux combustibles fossiles», mais pas pour ceux qui prônent l’inverse.

À en croire les données d’InfluenceMap, cette stratégie a porté ses fruits. Si la voiture électrique existe depuis le tout début du XXe siècle, elle n’a jamais réussi à percer. À chaque fois que cela peut se produire, l’industrie pétrolière revient à la charge avec ses arguments, affirme le think tank. C’était particulièrement le cas au début des années 1970, vers 1989 et à la fin des années 2000. Depuis 2018, son argumentaire a été utilisé avec une intensité jamais vue jusqu’à présent.

Les rapports des experts du GIEC rappellent que le montant dépensé en subventions aux combustibles fossiles est deux fois plus élevé que celui consacré aux énergies renouvelables. Et pourtant, en 2021, les véhicules électriques représentaient à peine 2% des véhicules immatriculés en Europe.

Des arguments fallacieux

Pour Francesco Contino, professeur à l’UCLouvain et spécialiste des combustibles alternatifs, ces lobbys s’apparentent à des «marchands de doute». Ils jouent sur le besoin de scepticisme dans la recherche scientifique pour imposer un principe de précaution qui va dans leur sens, explique-t-il.

Le néolouvaniste ne balaye pas totalement leurs préoccupations, mais il explique en quoi ces arguments sont trompeurs. Pour ce qui est de la réduction des GES par exemple, il est d’accord pour dire qu’il ne suffira pas de remplacer le thermique par l’électrique pour réduire la pollution à des niveaux acceptables. Il faudra plus globalement réduire le nombre de voitures en circulation, clame-t-il.

Mais en se tenant à une stricte comparaison entre les deux types de voitures, «une électrique avec une batterie en-dessous des 50 kWh reste très intéressante, malgré ses coûts supplémentaires lors de la production et ses défauts comme sa sensibilité aux basses et hautes températures». Plus un pays produit une électricité décarbonée, plus cet écart entre thermique et électrique se creuse. En Belgique, le passage d’un type de véhicule à l’autre permettrait une réduction de 65% des émissions de CO2, selon une étude de la VUB datant de 2017.

Concernant la sécurité énergétique, Francesco Contino assure comprendre l’argument de l’industrie. «Ça nous arrangeait bien avant que la Chine prenne en charge le traitement polluant des minéraux dont on a besoin actuellement. Mais aujourd’hui, vu le retard accumulé, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux collaborer de la meilleure façon avec ceux qui sont en avance?», se demande le professeur.

Vers un tournant?

En tout cas, il est clair pour lui qu’il faudra aller vers l’électrique. «Tout ça est progressif, prend énormément de temps. Il vaut donc mieux commencer tout de suite, car chaque dixième de degré de réchauffement en moins compte.»

Tout comme InfluenceMap, il constate en ce sens une évolution positive: certaines entreprises pétrolières, notamment européennes, ont commencé à promouvoir l’électrification des véhicules. C’est le cas par exemple de Shell, BP et TotalEnergies. «Ils ne sont plus en train de dire qu’on va s’en sortir avec le pétrole, constate l’universitaire. Ils mettent plutôt en avant les bonnes actions qu’ils entreprennent».

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Ces entreprises pétrolières continuent toutefois à financer, à coups de millions d’euros, ces lobbys attaquant durement les voitures électriques. Paradoxal? «On ne sait pas dans quelle mesure ces sociétés soutiennent les positions et le plaidoyer de l’API sur les véhicules électriques et la politique des énergies renouvelables», note InfluenceMap.

«Peut-être que ce n’est qu’une façade, ajoute Francesco Contino. Les études de la Transition Pathway Initiative (TPI) montrent que même des entreprises comme TotalEnergies et Shell ont des objectifs de réduction de CO2 très éloignées des accords de Paris (NDLR: de 1,5°C à 2°C de réchauffement). J’imagine que tant qu’on ne les contraint pas, elles ne se montreront pas plus vertueuses

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