Comment les constructeurs chinois bénéficient de la dégringolade des marques allemandes
Les voitures électriques sont partout en Chine. Leur essor se fait au détriment des véhicules thermiques, dont la part de marché est passée de 94% en 2020 à 59% aujourd’hui. Ce déclin affecte principalement les marques allemandes, qui réalisent 30 à 40% de leurs ventes et bénéfices sur le sol chinois.
C’est une réalité désormais bien connue: les constructeurs automobiles allemands ont pris le train de l’électrique trop tard et sont aujourd’hui à la traîne par rapport aux marques chinoises et sud-coréennes.
Pour la première fois dans l’histoire de l’automobile, Audi, BMW, Mercedes, Porsche et Volkswagen se retrouvent sur le carreau. D’autant que leurs ventes et leurs bénéfices en Chine sont également en forte baisse, impactant sévèrement leurs activités en Allemagne.
Un déclin trop important
Selon le site spécialisé MarkLines, la Chine a vendu pour la première fois en juillet 2024 plus de voitures hybrides rechargeables et de voitures 100% électriques que de véhicules thermiques (à essence et diesel). Les résultats des constructeurs chinois sont particulièrement exceptionnels: leur part de marché est passée de 33% à 52% en cinq ans, contre une perte de 6% pour les marques européennes sur la même période et une chute de 9% pour leurs homologues japonaises.
L’écueil principal des marques allemandes réside dans leur offre – trop limitée – de véhicules compétitifs. Jusqu’à récemment, les ventes à succès des voitures thermiques permettaient d’éponger les pertes. Mais elles ne suffisent plus aujourd’hui: le déclin allemand est bien trop important. A titre d’exemple, la part de marché du groupe Volkswagen en Chine est passée de 19 à 14 % entre 2018 et aujourd’hui. Le bénéfice d’exploitation a chuté de plus d’un milliard d’euros au cours des six derniers mois. Pour 2024, la direction mise sur 3 milliards d’euros de ventes en moins.
Le soutien du gouvernement chinois
La chute spectaculaire des ventes de véhicules thermiques est inévitablement liée à l’essor des voitures électriques, considérées comme l’avenir de l’automobile. Ces nouveaux modèles bénéficient de soutiens non négligeables, notamment de la part du gouvernement chinois.
Les Chinois qui achètent une voiture électrique peuvent ainsi bénéficier d’avantages fiscaux et d’une prime de conversion de 2.550 euros. Ils doivent également attendre moins longtemps pour obtenir une plaque d’immatriculation que les autres conducteurs et payer moins de taxes de circulation.
Des gagnants et des perdants
En encourageant la conduite électrique, Pékin souhaite ainsi améliorer la qualité de l’air tout en stimulant l’industrie automobile, au détriment des constructeurs étrangers.
Par exemple, General Motors a déjà enregistré des pertes d’environ 200 millions d’euros en Chine cette année, alors que ses bénéfices s’élèvaient à près de 2 milliards en 2018. Par conséquent, le constructeur américain est contraint de réduire ses capacités de production et ses effectifs sur le sol chinois.
Le groupe américano-européen Stellantis (Alfa, Chrysler, Citroën, Dodge, Fiat, Jeep, Opel, Peugeot) souffre également de cette mauvaise passe. Après l’arrêt de la production de Jeep en Chine en 2022, le directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, a récemment abandonné les plans d’expansion d’Opel dans le pays.
Pour les marques japonaises et sud-coréennes, les conséquences sont encore plus dramatiques. Seule Toyota résiste relativement bien, tandis que Honda, Mazda et Nissan sont en net recul. Isuzu, Subaru et Suzuki ont pratiquement disparu des radars. Alors que la part de marché des constructeurs japonais avoisinait les 25% en 2020, elle n’est plus que de 15% aujourd’hui.
Les marques sud-coréennes Hyundai et Kia ne sont pas en reste. Leurs ventes ont diminué de moitié et leur part de marché a dégringolé de 3,6 à 1,2 %. Ces deux marques ont toutefois réalisé des progrès remarquables sur le plan technologique au cours des dernières années. Elles offrent également une garantie de sept ans et obtiennent de bons résultats en termes de fiabilité.
Des goûts différents
Selon les analystes du marché, les modèles proposés par les marques étrangères ne répondent pas aux goûts et aux attentes élevées des consommateurs chinois en matière de progrès numériques. Les Chinois considèrent par exemple qu’un tableau de bord intelligent est un must et que le mode « pilote automatique » deviendra bientôt indispensable.
Bref, le marché automobile chinois n’est pas seulement le plus important, il est surtout le plus compétitif. Aujourd’hui, la grande majorité des constructeurs automobiles étrangers ne peuvent rivaliser avec leurs homologues chinois, qui se développent (beaucoup) plus rapidement et produisent (beaucoup) plus efficacement que leurs concurrents, sans perte de qualité.
La clé du succès chinois réside dans plusieurs facteurs. D’abord, dans leur ambition et leur détermination. Ensuite, dans leur indépendance: les marques chinoises produisent elles-mêmes de nombreux composants et ont souvent un accès direct aux matières premières nécessaires à la fabrication des batteries, par exemple. Elles sont donc moins tributaires de fournisseurs capricieux.
En outre, la Chine dispose d’un réservoir inépuisable de travailleurs hautement qualifiés et motivés, pour qui les longues heures de travail ou les heures supplémentaires sont la norme. Dans tout ce qu’ils font, les Chinois veulent être les premiers et les meilleurs, qu’importent les sacrifices sur le temps libre. Et s’il leur manque certaines technologies ou une renommée internationale, ils l’achètent, à l’image du constructeur chinois Geely qui a brillamment intégré Volvo et Lotus au sein de son groupe.
Le «Made in China» est devenu un label de qualité
Pendant des décennies, les Chinois ont dû faire face, la mort dans l’âme, à la suprématie des marques allemandes haut de gamme et de leurs moteurs thermiques de meilleure qualité. Cette époque est révolue: les marques automobiles et les équipementiers chinois sont aujourd’hui à la pointe. Le Made in China est devenu un label de qualité.
Les constructeurs automobiles européens se procurent jusqu’à trois quarts de leurs pièces détachées en Chine. Cela en dit long sur le nouvel équilibre des forces dans le monde automobile international. Un changement de paradigme dont les marques européennes sont en réalité elles-mêmes responsables. À l’époque, elles ont externalisé le développement et la production de nouvelles applications technologiques à des fabricants de pièces chinois, par pur appât du gain.
Aujourd’hui, le revers de la médaille se fait sentir: les constructeurs allemands ne peuvent plus se passer des pièces fabriquées en Chine et sont terrifiés à l’idée d’une guerre commerciale avec Pékin, qui leur serait fatale. Car la Chine reste leur premier partenaire commercial et leur plus grand marché: 30 à 40 % de leur chiffre d’affaires et de leurs bénéfices y est réalisé.
Le Made in China est devenu un label de qualité.
Un vent de panique souffle donc sur les sièges d’Audi, de BMW, de Mercedes, de Porsche et de Volkswagen, déboussolées par leur dégringolade sur le sol chinois. Une chute qui prend des proportions alarmantes. Les ventes de Mercedes en Chine, par exemple, ont baissé de 10 % au cours du premier semestre 2024. Les ventes de leurs modèles haut de gamme et électriques ont même chuté de 25%, or c’est normalement avec ces modèles que la marque allemande gagne le plus d’argent.
Audi accuse également le coup, enregistrant une perte de profit de 26 %. Même son de cloche chez Porsche. Les bénéfices du constructeur allemand de voitures de sport en Chine se sont écroulés en 2024, passant de 5,4 à 3,5 milliards d’euros. Les ventes des modèles à succès Cayenne et Taycan se sont notamment complètement effondrées.
Chez BMW, les ventes globales et le bénéfice d’exploitation restent inférieurs aux attentes, mais les ventes de modèles électriques augmentent d’environ 20 %. Par contre, dans le segment des SUV, BMW a perdu son avance au profit d’un concurrent chinois, Li Auto.
Parfait inconnu à l’étranger, Li Auto devient un redoutable adversaire sur le sol chinois. La start-up Aito, détenue par le géant de la technologie Huwai, est également à craindre. Ce nouveau venu a enregistré une augmentation phénoménale de 644 % de ses ventes au cours des six premiers mois de l’année, vendant à peine 4.000 SUV de moins que BMW.
Les Chinois ne profitent pas (encore) de la situation
Au vu de la situation, les marques automobiles et les équipementiers chinois exercent une véritable pression sur les constructeurs européens, qui pourrait bien se transformer en goulot d’étranglement. Les marques allemandes et, par extension, les marques françaises et italiennes parviendront-elles à se libérer de cette emprise? Et si oui, comment?
Pour l’heure, elles semblent toujours chercher des solutions aux conséquences, et non aux causes, de la situation inconfortable dans laquelle elles sont plongées, en partie par leur propre faute. Les regards sont également braqués sur la Commission européenne et sur les éventuelles mesures décrétées pour sortir de l’impasse. Le temps presse et les enjeux sont colossaux pour toutes les parties concernées. Car aujourd’hui, la Chine ne bénéficie pas encore de cette Europe en déclin et reste confrontée à d’énormes défis.
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