Adapter les amendes routières en fonction du revenu ? «C’est une façon de répondre au reproche d’une justice à deux vitesses»
Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de cassation et professeur à l’UCLouvain, est membre de la commission de réforme du code pénal qui recommandait de moduler les peines pécuniaires. «La proposition n’a pas été politiquement retenue.»
Serait-il judicieux d’ajuster la hauteur des amendes aux capacités financières du contrevenant?
Oui, tout à fait. Retirer d’un portefeuille plus ou moins garni un billet parmi d’autres n’a pas la même signification pour un étudiant ou pour une personne aisée. Il est important qu’une peine prononcée ait un impact significatif sur la personne sanctionnée, notamment au travers de ses capacités financières. Ce serait une façon de répondre au reproche d’une justice à deux vitesses.
Ce nouveau dispositif répressif pourrait-il être juridiquement contestable au motif, soulevé par ses détracteurs, qu’il serait discriminatoire envers une catégorie de la population, aisée en l’occurrence?
L’argument serait sans doute évoqué sur le terrain politique ainsi que par les plus fortunés. Mais la Cour constitutionnelle a toujours admis le critère d’une différence de traitement envers un justiciable pourvu que cette différence voulue par le législateur soit objectivement justifiée. Pour qu’une peine fasse sens, son impact doit être équivalent sur les moins nantis et sur les plus fortunés. Qu’elle fasse un peu mal à tout qui l’encourt rétablirait une égalité dans l’application de la loi. C’est là le contraire de la discrimination ; c’est le système actuel qui crée de grandes différences dans l’impact d’une amende.
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La Commission de réforme du droit pénal, dont vous êtes membre, recommandait d’ailleurs de moduler l’amende en fonction des capacités financières du condamné par l’application d’un multiplicateur…
Oui, nous ne faisions que reprendre la proposition formulée par le commissaire royal à la réforme du code pénal, Robert Legros, dans les années 1970, afin d’assurer non seulement l’égalité dans la répression mais aussi l’égalité dans l’effet de la peine. Notre réflexion a porté sur la prise en compte de l’état de fortune ou des capacités financières pour les infractions de droit commun liées aux grosses affaires financières.
Le principe trouverait aussi tout son sens en matière d’infractions routières?
Il suffit de rouler sur l’autoroute pour constater la réalité d’un certain sentiment d’impunité quand vous vous faites dépasser par de grosses cylindrées qui foncent à 170 ou 180 km/heure. En matière d’amende de roulage, le juge apprécie le montant de celle-ci qu’il prononce entre un minimum et un maximum, avec toutes les limites qu’impose ce procédé. L’introduction d’un coefficient multiplicateur lui permettrait de sortir de cette fourchette pour les plus nantis. Il faudrait pour cela mettre au point un système efficace, une clé quasi automatique qui n’alourdirait pas la charge de travail de ces magistrats confrontés à un contentieux tellement volumineux quantitativement. Cela impliquerait une liaison à établir entre l’administration fiscale et les autorités judiciaires, par exemple un accès aux avertissements extraits de rôle. Mais je vois mal cette procédure s’appliquer pour une amende de parking, par exemple. Cela dit, plus encore que la hauteur d’une peine pécuniaire, c’est son effectivité, qui se mesure à son caractère certain, qui pourra induire un changement de comportement.
Pour qu’une peine fasse sens, son impact doit être équivalent sur les moins nantis et sur les plus fortunés.
Cette piste n’est pas retenue par le gouvernement. Pourquoi se heurte-t-elle à tant de résistances?
Notre proposition est effectivement restée sans suite à l’échelon politique. Il est toujours plus difficile, en droit pénal, de vouloir s’en prendre à ceux qui ont davantage de moyens. C’est toute la difficulté de trouver la réponse adéquate à une délinquance financièrement bien nantie. Le sujet est très chaud. Il suffirait pourtant d’appliquer en matière de peines pécuniaires le raisonnement qui prévaut en matière d’impôts. Plus vous gagnez, plus vous payez d’impôts, au nom de l’équité fiscale. Ce principe de la progressivité de l’impôt relève, là aussi, d’un choix politique.
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