Thierry Fiorilli
Dutroux ? Mais pourquoi ?
Dans son dernier numéro, Usbek & Rica, le magazine « qui explore le futur », s’interroge sur la faillite de l’universalisme et sur l’avènement de l’individu, « qui rend plus difficile l’harmonie sociale ».
Dans un long éditorial, il dénonce « le séparatisme culturel » qui « remplace la politique par la morale » et dénie « toute légitimité à la raison de mener des combats de solidarité pour défendre une haute idée de l’humanité ». Or, « défendre le faible, l’opprimé, le discriminé, quand on est fort, dominant et bien loti, voilà qui révèle notre humanité. Mieux notre humanisme. Car il existe bien une communauté de destins qui embarque l’ensemble de la race humaine. Dire le contraire serait laisser penser qu’il existe des sous-hommes ».
La démarche de Bruno Dayez, défenseur de Marc Dutroux depuis un an, va dans ce sens. Son livre, Pourquoi libérer Dutroux ?, entend « développer (ses) convictions au sujet de ce que devrait être un système de justice pénale humaniste en ayant toujours à l’esprit les faits du chef desquels Marc Dutroux a fait l’objet d’une condamnation définitive. Autrement dit, en assumant pleinement l’apparente contradiction entre la gravité de ses actes et le fait de postuler sa libération. Le cas de Marc Dutroux, en ce qu’il semble aux yeux d’un grand nombre de gens mériter le traitement le plus impitoyable, permet d’éprouver la validité de nos principes de justice. Sont-ils tenables face à l’horreur ou l’effroi qu’inspirent certains actes ? Résistent-ils à cette expérience des limites que peut être la mort d’innocents dans des circonstances horribles ? Ce n’est qu’en les passant en quelque sorte au fer rouge des cas les plus graves que ces principes démontreront leur valeur absolue, leur caractère inconditionnel. S’ils franchissent l’épreuve avec succès, ils vaudront a fortiori pour tous les autres cas d’office moins problématiques. »
Bruno Dayez n’a pas choisi la facilité. Encourager la remise en liberté de Marc Dutroux, prôner l’abolition de la perpétuité, espérer « une évolution des mentalités en faveur d’une justice du XXIe siècle, qui replace les personnes, victimes et coupables, au centre de son dispositif et axe son objectif ultime, au-delà du châtiment, sur la réparation », estimer que « ce serait sans doute une manière de donner sens à un quart de siècle de prison qui, autrement, ne trouverait d’autre justification qu’une « mort civile » pourtant abolie par la loi, une peine de mort déguisée sous le fard d’une « peine à vie » »… Par les temps qui courent, l’initiative est à haut risque.
Mais, elle doit être saluée. Pour son courage, sans irrespect envers quiconque. Elle doit aussi, surtout, être entendue. Parce que les questions qu’elle véhicule, même si elles nous dérangent, sont justes. Parce que, plaide-t-il, plus nous insufflerons d’humanité dans le traitement des condamnés, plus nous pourrons escompter qu’ils réalisent la portée de leurs actes et soient désireux de se racheter une conduite ». Parce que, c’est vrai, « on ne peut traiter les condamnés comme des sous-hommes ».
Et donc, argue Bruno Dayez, « daigne l’honnête homme, « l’homme de bien », accepter de passer outre ses réticences et lire ces quelques pages en se défaisant de tout a priori, condition sine qua non d’un vrai débat démocratique où la raison, en tout état de cause, l’emporte sur l’émotion, aussi compréhensible qu’elle soit. »
C’est pourquoi aussi Le Vif/L’Express a décidé de servir de caisse de résonance au plaidoyer de l’avocat de Marc Dutroux. Et de le confronter, entre autres, aux victimes et parents des victimes de celui qu’il défend.
« Il existe bien une communauté de destins qui embarque l’ensemble de la race humaine. Dire le contraire serait laisser penser qu’il existe des sous-hommes »
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