Les questions de sécurité posées par l’attaque du marché de Noël de Magdebourg sont de nature à affaiblir un peu plus encore Olaf Scholz et le SPD. © GETTY IMAGES

Pourquoi la campagne des législatives en Allemagne consacre le retour d’une vraie opposition gauche-droite

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Les législatives du 23 février en Allemagne seront un des premiers moments forts de 2025. La CDU, de droite, qui a rompu avec le tropisme centriste de l’ère Merkel, est favorite.

Constatant son incapacité à poursuivre le travail de sa coalition tricolore SPD-Verts-Libéraux en raison de différends insurmontables avec le Parti libéral (FDP), Olaf Scholz avait ouvert la voie à des élections anticipées en limogeant son ministre des Finances, Christian Lindner, le chef du FDP, début novembre. Le scrutin anticipé du 23 février sera crucial pour l’Allemagne, confrontée à une double crise économique et politique.

Le pari d’Olaf Scholz est risqué. Après trois années d’une coalition dominée par les conflits, son rival de droite Friedrich Merz fait figure de favori. Le patron de la CDU (30% des intentions de vote) pourrait succéder au pâle Olaf Scholz. Ancien rival malheureux d’Angela Merkel, il incarne une CDU délibérément tournée à droite, ultralibérale sur le plan économique et résolument conservatrice sur les questions de société. Ce profil clair est son atout; son tempérament fougueux, ses apparitions teintées de populisme voire d’arrogance, sont son principal handicap. Seuls 21% des Allemands l’apprécient à titre personnel. Pour la première fois dans l’histoire moderne de l’Allemagne, un candidat dépourvu de toute expérience gouvernementale pourrait accéder à la Chancellerie. A la suite d’un long bras de fer avec Angela Merkel, Friedrich Merz avait fini par claquer la porte de la politique en 2009 pour se tourner vers le monde économique, ne réussissant son come-back dans les instances du parti qu’en 2022, après la retraite de sa rivale. Et après avoir fait fortune en tant que banquier d’affaires. La cote de popularité d’Olaf Scholz (16% d’opinions positives) est encore plus faible que celle de Friedrich Merz. Dix-sept pour cent des Allemands disent vouloir voter pour le SPD.

«Le scénario le plus probable au vu des sondages est le retour de la CDU au pouvoir, au sein d’une coalition avec le SPD, estime Uwe Jun, politologue à l’université de Trèves. Mais les choses pourraient bien sûr évoluer. Il suffit d’une erreur de la part d’un des candidats. Sans compter que l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche avant les élections modifiera aussi la donne.» Un recul de quelques points de la CDU et du SPD et une légère progression des Verts (aujourd’hui crédités de 12%) pourraient obliger ces trois partis à former une nouvelle coalition tripartite, sous la houlette des conservateurs. Un scénario qui s’avérerait compliqué, en raison de l’aversion des conservateurs bavarois envers le parti écologiste.

«Les grands absents de la campagne seront le climat et l’Union européenne.»

Le crépuscule de Scholz

Une chose est sûre, Olaf Scholz devrait quitter la vie politique, à 66 ans. Si son parti devait jouer les junior partner de la CDU, son ministre de la Défense, Boris Pistorius, pourrait devenir vice-chancelier. «Au sein du SPD, il y aura des gens qui s’opposeront à une telle alliance, et qui préfèreront que la social-démocratie opte pour l’opposition, estime Thomas Biebricher, politologue de l’université Goethe de Francfort. Le SPD a beaucoup souffert de son rôle d’appoint dans les grandes coalitions d’Angela Merkel. Le parti pourrait être tenté de se refaire une santé dans l’opposition.»

Présentés le même jour mi-décembre, les programmes de la CDU-CSU et du SPD ont révélé les grandes lignes d’une campagne qui sera dominée par les questions économiques, l’immigration, le soutien à l’Ukraine et, pour les sociaux-démocrates, par le thème classique de la justice sociale. «Les grands absents seront le climat et l’Union européenne», constate le politologue Uwe Jun. Jamais, depuis des années, les partis allemands n’avaient adopté un profil aussi clair. «Les élections seront dominées par des positions tranchées entre la droite et la gauche, poursuit le politologue. Avec d’un côté le camp conservateur formé par la CDU-CSU et les Libéraux, de l’autre le SPD et les Verts pour la gauche. C’est le retour à deux camps», tels qu’ils dominaient la vie politique allemande jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel, la chancelière qui avait choisi d’imprimer à son parti conservateur un virage au centre, brouillant les pistes politiques et, selon ses détracteurs, favorisant ainsi la montée du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). «Ce scrutin offrira une alternative claire entre la CDU et le SPD, se félicite Thomas Biebricher. Il y a quinze ou 20 ans, on a pu avoir le sentiment que tous les partis se ressemblaient. A l’époque, on pouvait craindre que tous les partis aient un profil centriste.»

A Görlitz pour les travailleurs de Siemens ou dans d’autres villes pour ceux de VW ou de Bayer, les fermetures d’usines créent un malaise social rarement observé en Allemagne. © GETTY IMAGES

Programmes très divergents

Dans une Allemagne en proie à la récession, traumatisée par les plans de licenciements massifs chez VW, Bayer, Siemens ou Bosch, la CDU et le SPD s’opposent quasiment sur tout: économie, immigration, social… Le programme des sociaux-démocrates s’articule autour de la relance de la croissance et de l’emploi, du pouvoir d’achat des classes moyennes et de la sécurisation des pensions de retraite. Les promesses ressemblent beaucoup à celles qui avaient été faites en 2021 (hausse du salaire minimal à quinze euros de l’heure, réintroduction de l’impôt sur la fortune…), avec quelques nouveautés telles que la baisse du taux de TVA pour les denrées alimentaires et la création d’un fonds de 100 milliards d’euros afin de financer des investissements dans les infrastructures et le logement. Les sociaux-démocrates veulent également revenir sur l’orthodoxie budgétaire, ce qui nécessiterait une réforme de la Constitution à la majorité des deux tiers, et donc le soutien de l’opposition.

De leur côté, les chrétiens-démocrates tournent définitivement la page de l’ère Merkel. Leur programme promet avant tout des baisses d’impôts pour les sociétés et pour les couches aisées. La CDU veut en outre supprimer les minima sociaux aux personnes qui refuseraient un emploi, réduire le nombre de réfugiés, revenir sur la libéralisation du cannabis, réétudier le cas du nucléaire et autoriser un accès simplifié aux données privées pour les enquêteurs en cas de crime ou de délit. Par ailleurs, Friedrich Merz n’a pas exclu de livrer à l’Ukraine les missiles à longue portée que lui a toujours refusé Olaf Scholz. «Dans l’ensemble, le programme de la CDU porte une empreinte étonnamment conservatrice et économiquement libérale, ce qui n’allait plus de soi depuis longtemps pour ce parti, estime le magazine Der Spiegel. Cela peut être une bonne chose pour les conservateurs, car ils se démarquent ainsi clairement de la concurrence politique que représentent le SPD et les Verts. Ce programme vise les électeurs du FDP et de l’AfD. Mais la CDU ouvre ainsi aussi de nouvelles opportunités à Olaf Scholz et au SPD, car ceux-ci peuvent désormais se concentrer à nouveau sur leur rôle favori, celui de « conscience sociale de la nation ».» «C’est un programme qui ramène la CDU 40 ans en arrière», ajoute le quotidien Tagesspiegel. En clair, un programme rappelant les années de plomb de la fin de l’ère Kohl.

«Jamais, depuis des années, les partis allemands n’avaient adopté un profil aussi clair.»

Le choc de Magdebourg

Le coût des mesures proposées a de quoi donner le vertige aux économistes. Selon l’institut IW (Institut der deutschen Wirtschaft) de Cologne, proche du patronat, le programme de la CDU coûterait 89 milliards d’euros; 138 milliards même pour les colossales réductions fiscales promises par le parti libéral FDP; la gauche est moins dépensière avec 48 milliards pour les promesses des Verts et 30 milliards pour celles du SPD. Côté recettes, les conservateurs misent sur un regain de croissance, le SPD sur une hausse de la charge fiscale pour les plus riches et davantage de dettes, les Verts veulent faire la chasse aux gaspillages et réformer le frein à l’endettement tandis que les libéraux veulent couper dans les budgets sociaux et saper dans les programmes de subventions. Les quatre options sont taxées d’irréalistes par l’institut IW.

«La polarisation droite-gauche facilitera le choix des électeurs, estime Uwe Jun. Mais la formation du prochain gouvernement sera sans doute très compliquée. Les partis auront du mal à trouver un compromis entre des positions si tranchées. Même si on a plutôt eu des expériences positives avec les grandes coalitions entre la CDU et le SPD, que ce soit du temps d’Angela Merkel ou entre 1966 et 1969 sous Willy Brandt. Ces coalitions ont toujours tenu jusqu’au bout. Les deux partis ont su forger le compromis nécessaire, mais sur la base du plus petit dénominateur commun. Il ne faudra pas s’attendre à des décisions innovantes pour régler les problèmes du pays. Et ça ne peut marcher qu’avec une personnalité qui serve de pont entre les deux partis, ce que Merkel savait très bien faire.» Friedrich Merz, cassant avec ses adversaires en politique, pourrait avoir du mal à se retrouver dans ce rôle de modérateur qu’affectionnait son ancienne rivale.

Deux autres partis pourraient réussir leur entrée au Bundestag. Le parti d’extrême droite AfD, crédité de 18% d’intentions de vote, a quelque peu pâti de l’offensive droitière de la CDU, mais pourrait «tirer profit» du choc provoqué par l’attaque à la voiture-bélier du marché de Noël à Magdebourg, le 20 décembre (cinq tués), même si le profil de l’auteur, islamophobe et tenant des théories sur l’islamisation de l’Europe, indique plutôt une proximité avec les thèses de… l’extrême droite allemande. Il n’empêche, le drame a mis en évidence des failles en matière de sécurité, thème de prédilection de l’AfD. Quant au parti populiste de gauche BSW de Sahra Wagenknecht (6,4% dans les sondages), il a été pris de court par la dissolution. Cette jeune formation compte trop peu de membres, malgré une percée impressionnante lors des élections régionales de l’automne 2024 en ex-RDA, pour organiser une campagne efficace d’affichage ou de porte-à-porte à l’échelon national.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire