Friedrich Merz est élu chancelier mais dans des conditions qui l’ont sérieusement fragilisé. © GETTY

Les défis qui attendent Friedrich Merz, nouveau chancelier allemand mal élu

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Pour la première fois dans l’histoire du pays, le candidat au poste de chancelier a échoué à se faire élire au premier tour du vote au Bundestag. C’est affaibli qu’il s’attaquera aux défis qui l’attendent.

Dans l’hémicycle, le résultat du premier tour est accueilli par un silence de mort le 6 mai, peu après 10 heures, lorsque la présidente de l’Assemblée annonce que 18 voix de sa coalition théorique entre son parti, la CDU et les sociaux-démocrates du SPD manquent au patron des conservateurs Friedrich Merz pour devenir chancelier. Ce n’était jamais arrivé dans le pays. Comme sidérés, les élus des deux formations se retirent alors en délibérations, sous les quolibets du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Cette grave crise politique survient alors que Friedrich Merz avait promis une Allemagne forte pour affronter les défis colossaux auxquels est confronté le pays tant sur le plan économique que sécuritaire ou diplomatique. En milieu de semaine, l’heure est toujours à la chasse aux traîtres dans la nouvelle majorité. Du côté du SPD, on affirme que les désistements sont à chercher chez la CDU. De fait, les conservateurs soutiennent du bout des lèvres l’accord de coalition signé à la mi-avril avec le SPD. Car il est jugé trop favorable à la gauche. Les avancées obtenues par les sociaux-démocrates sur la question migratoire dans le contrat de gouvernement semblent trop importantes aux conservateurs. D’autant que Merz n’est guère populaire en interne. Il avait dû s’y reprendre à trois fois pour emporter la direction de son parti, en 2021, face à des candidats proches d’Angela Merkel, sa rivale pendant des décennies.

Abandon de l’orthodoxie budgétaire

L’aile droite de la CDU a surtout du mal à avaler l’abandon de l’orthodoxie budgétaire décidée par Friedrich Merz pour financer un plan de relance de 500 milliards d’euros. La pompe à crédits doit aussi permettre à l’Allemagne de réarmer le pays, une urgence depuis que Donald Trump a tourné le dos à l’Europe. La République fédérale, longtemps interdite d’armée après le nazisme, a misé pendant des décennies sur «l’ami américain» pour assurer sa sécurité face au bloc soviétique. Cette sous-traitance de sa défense a même été l’un des piliers du modèle de croissance germanique dont la prospérité reposait sur des dépenses militaires faibles et du gaz russe bon marché.

Ces deux piliers ont volé en éclats avec l’invasion de l’Ukraine puis le retour de Donald Trump au pouvoir. Le pays s’est depuis enfoncé dans la crise. Les Allemands, habitués au plein emploi, ont redécouvert les plans sociaux de grande ampleur, un choc pour l’opinion. Après deux années de croissance négative, le PIB devrait stagner cette année. Du côté des sociaux-démocrates, les raisons de se désister ne manquent pas non plus. Beaucoup de députés SPD ont du mal à soutenir Friedrich Merz, beaucoup plus à droite sur l’échiquier politique qu’Angela Merkel avec laquelle ils ont conduit l’exécutif à trois reprises.

Merz avait en théorie encore droit à deux tours pour conquérir enfin la chancellerie. Une majorité simple aurait suffi pour passer lors du troisième vote en l’absence de contre-candidat sérieux. Mais cette humiliation lui a été épargnée. Les récalcitrants se sont rangés au second tour, après avoir lancé ce qui ressemble fort à une mise en garde au nouveau chancelier. Pour le nouveau gouvernement, le mal est fait. Friedrich Merz, qui ne bénéficiait que d’une cote de popularité déjà écornée (avec 30% d’opinions positives), est désormais encore plus affaibli politiquement.

Pour le nouveau chancelier, il est désormais urgent de se mettre au travail. A la tête d’une très courte majorité, confronté à d’immenses défis, il ne bénéficiera à la différence de ses prédécesseurs d’aucun état de grâce.

«Un Friedrich Merz mal élu jouera en faveur de l’extrême droite.»

La menace de l’AfD

L’affaiblissement de Friedrich Merz survient en outre dans un contexte de crise de la démocratie allemande. Pour la première fois, la CDU est passée derrière l’AfD dans les sondages au cours des dernières semaines. En deux mois seulement, l’AfD a progressé de six points tandis que la CDU de Merz en perdait quatre par rapport à son résultat lors des législatives. Seul un Allemand sur trois dit avoir confiance en lui, selon une récente enquête.

Contenir un groupe parlementaire AfD renforcé, fort de 151 députés pour la plupart inexpérimentés et prêts à en découdre avec la majorité CDU-SPD, sera un autre grand défi de la législature. Sous la houlette de leur cheffe Alice Weidel, ils ont promis une opposition musclée. Ils ne feront aucun cadeau au futur gouvernement, même si le parti vient de subir un dur revers: l’Office de protection de la Constitution lui a attribué le 2 mai le label de «parti d’extrême droite avéré». Concrètement, les renseignements intérieurs sont désormais autorisés à placer des espions au sein du parti et à surveiller les conversations même privées de ses membres…

Cette décision aura de lourdes conséquences sur la transition politique. Elle risque de tendre un peu plus les relations avec Washington, qui avait ouvertement soutenu l’AfD pendant la campagne électorale et qui dénonce aujourd’hui une «tyrannie déguisée». En interne, la décision de l’Office de protection de la Constitution pourrait faire perdre à l’AfD, arrivée en seconde position aux législatives avec plus de 20% des voix, le soutien financier accordé par l’Etat aux partis représentés au Bundestag. En 2023, il s’agissait de onze millions d’euros, soit 30% des recettes du parti.

Autre menace, les Länder réfléchissent à exclure de la fonction publique les membres d’une formation désormais avérée extrémiste de droite. Nombre de policiers et de juges figurent notamment parmi les encartés. Ils pourraient être tentés de déserter en masse pour éviter l’éviction. Pire, le rapport du renseignement intérieur relance la discussion sur une interdiction de l’AfD. La direction du parti a donc saisi la justice. L’enjeu: obtenir son blanchiment à la veille d’importantes élections communales et régionales, en 2026. A cet égard, un Friedrich Merz mal élu jouera en faveur de l’extrême droite.

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