Sahra Wagenknecht, nouvelle égérie des déçus de la gauche allemande
Le parti de Sahra Wagenknecht, l’une des rares égéries de la gauche allemande, n’a que six mois d’existence et dispose de six élus au Parlement européen.
Le 9 juin au soir, face aux caméras de télévision, Sahra Wagenknecht était rayonnante. Son petit parti, BSW (pour Alliance Sahra Wagenknecht), a enregistré l’une des plus belles progressions du scrutin. En six mois d’existence, BSW est parvenu à présenter une liste de candidats, a ratissé le pays pour faire campagne et a finalement décroché 6,2% des voix à l’échelon national. «C’est la preuve que nous avons eu absolument raison de créer ce parti», se félicite cette politicienne aux tailleurs corsetés de couleurs vives, au chignon sévère et aux légendaires talons aiguille.
Sahra Wagenknecht n’a jamais eu peur de déranger. Cette Allemande de l’Est née à Iena en 1969 d’une mère galeriste d’art et d’un père iranien, alors étudiant à Berlin-Ouest, a toujours détonné. Dans la cour de récréation, on se moque de ses cheveux noirs. A 4 ans, lorsque les autres jouent, elle apprend seule à lire et à écrire. «J’étais une enfant qui aimait la solitude», raconte-t-elle. Malgré des notes brillantes, elle se voit refuser l’autorisation d’étudier par le régime communiste. Orientée vers un emploi de secrétaire à l’université, pour apprendre à se «plier à la collectivité», elle se jette sur les livres de la bibliothèque: Aristote, Hegel, Goethe, Marx… En novembre 1989, plongée dans la lecture de Kant, elle rate totalement la chute du Mur. Elle ne mettra les pieds à Berlin-Ouest, quelques mois plus tard, que pour se rendre à la bibliothèque.
«L’avocate des “petites gens” a touché une fibre particulièrement sensible à l’est du pays.»
Les déçus de l’extrême droite
Venue de la gauche de la gauche, Sahra Wagenknecht a fait campagne contre les livraisons d’armes à l’Ukraine, pour l’ouverture de négociations avec Vladimir Poutine et contre les migrants. Brouillant délibérément les cartes, elle est persuadée que «les gens ne comprennent plus très bien les codes de gauche et de droite», comme elle aime à le répéter. «Elle est convaincue qu’il faut combattre l’AfD (NDLR: l’Alternative pour l’Allemagne, d’extrême droite) sur le terrain des migrations», analyse le politologue Gero Neugebauer. Mais contrairement à l’AfD, elle se refuse à critiquer l’Islam et ne réclame pas davantage d’expulsions. Son cœur de cible? Les déçus de la gauche, notamment à l’est du pays, passés à l’extrême droite.
L’avocate des «petites gens», «contre ceux d’en haut» qui mènent une politique qualifiée selon ses discours de «stupide», «dangereuse», «mensongère» ou «larmoyante», a touché une fibre particulièrement sensible à l’est du pays. En ex-RDA, BSW a obtenu plus de 13% des voix. Selon une étude de la Fondation Hans-Böckler, le parti est parvenu à combler un vide dans le système des partis allemands, attirant tout particulièrement les déçus du parti néocommuniste Die Linke (héritier du parti communiste de la RDA, dont Sahra Wagenknecht est partie à l’automne 2023 en claquant la porte) et de l’AfD. Selon les sondages de sortie des urnes, BSW a attiré plus de 500.000 anciens électeurs du SPD et 400.000 électeurs de Die Linke.
Une hyperpersonnalisation
Mais BSW a aussi son talon d’Achille: l’extrême popularité, voire la polarisation sur la seule personne de Sahra Wagenknecht. Les autres cadres du parti sont quasiment inconnus du grand public. «Si pour une raison ou une autre, elle n’était plus là, le parti n’aurait aucune chance d’entrer au Bundestag», prévient le politologue Jan Philipp Thomeczek, de l’université de Potsdam. En attendant les élections législatives de 2025, Sahra Wagenknecht se prépare pour son prochain défi: les élections régionales de septembre dans trois Länder de l’ex-RDA, où elle espère de nouveau une percée face à l’AfD avec ses deux thèmes de prédilection: la lutte contre les migrations et contre les livraisons d’armes à l’Ukraine.
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