Quelque 200.000 Allemands à Berlin le 2 février contre la rupture du cordon sanitaire avec l’AfD, avec Friedrich Merz en ligne de mire. © GETTY

En Allemagne, le conservateur Friedrich Merz dérape, et sa campagne aussi

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

En faisant adopter une motion sur l’immigration avec le soutien de l’extrême droite, la CDU a fait descendre beaucoup d’Allemands dans la rue. Un écueil pour le favori des législatives.

L’équipe de campagne de Friedrich Merz, le chef de la CDU, a choisi un cadre branché pour le seul meeting électoral que tiendra le favori des sondages pour les élections législatives du 23 février, à Dresde, l’un des fiefs de la démocratie-chrétienne dans l’est de l’Allemagne depuis la réunification. Sous les applaudissements du public, le candidat saute avec aisance les quelques marches qui mènent à la tribune de l’Ostra-Dome, un ensemble de tentes luxueuses dressées sur le site d’un ancien abattoir de briques. Avant de prendre la parole, il vérifie machinalement le boutonnage de sa veste, un tic. La musique, les applaudissements…: tout semble normal ce jour-là, à l’exception du taux d’occupation des sièges dans le public. Seules 600 des 1.000 personnes attendues ont pu franchir le barrage de manifestants en colère que la police tente de contenir à l’extérieur. On est le 30 janvier. Le lendemain du jour où Merz a «pactisé avec le diable», comme le formule le chef du groupe parlementaire social-démocrate au Bundestag.

Renvoyé à ses promesses

La campagne électorale a pris un tour imprévisible depuis que Friedrich Merz, convaincu de la nécessité d’envoyer un message fort à l’opinion après l’attaque à la voiture bélier contre le marché de Noël de Magdebourg et après celle au couteau contre un groupe d’enfants en bas âge à Aschaffenburg, a risqué le soutien du parti d’extrême droite AfD pour faire adopter une motion sur l’immigration que ni le SPD ni les Verts n’étaient prêts à soutenir. Le vote de ce texte purement symbolique le 29 janvier a recueilli 348 voix au Bundestag, 345 contre et dix abstentions. Il a été adopté avec le soutien du Parti libéral FDP, de l’extrême droite et du parti populiste de gauche Alliance Sahra Wagenknecht (BSW). Les scènes de liesse qui ont suivi sur les bancs de l’AfD ont provoqué un profond malaise.

«Une nouvelle ère commence ici et maintenant, et nous sentons que nous avons des forces nouvelles. Monsieur Merz, vous avez contribué à les faire émerger», réagissait immédiatement Bernd Baumann, député AfD. Pour la première fois en 75 ans, un texte était adopté au Bundestag avec l’aval de l’extrême droite. Depuis, pas un jour sans nouvelles manifestations à travers le pays. A Hambourg, à Dresde et surtout à Berlin le 2 février, des centaines de milliers de personnes défilent dans les rues pour dénoncer «le flirt de la CDU avec l’AfD». «Ce n’est pas parce que les mauvaises personnes soutiennent un bon texte que celui-ci devient mauvais», se défend Friedrich Merz. «Le contexte a changé avec Magdebourg et Aschaffenburg», répète son bras droit. «Aujourd’hui, pour la première fois dans le contexte historique qui est le nôtre, des majorités ont été recherchées et acceptées au-delà du centre démocratique», s’indigne la députée écologiste Britta Hasselmann. Même Angela Merkel, dont les sorties sont devenues rarissimes, est montée au créneau, rappelant au candidat chrétien-démocrate, un ancien rival, qu’il s’était lui-même engagé en novembre dernier encore à «ne jamais pactiser avec l’AfD, ni même à chercher son soutien».

Face à l’émotion suscitée par l’alliance inédite entre la CDU et l’AfD, le bloc de droite s’est finalement fissuré deux jours plus tard, à l’issue de débats électriques au Bundestag. Il s’agissait cette fois d’approuver un second texte de la CDU, un projet de loi visant à restreindre le regroupement familial et à renforcer les compétences de la police fédérale en matière d’expulsions. SPD et Verts estiment que les deux mesures seraient contraires aux lois européennes et refusent de soutenir l’initiative. Ils sont rejoints par douze députés de la CDU et seize du Parti libéral, qui ne participent finalement pas au vote. Une vraie débâcle pour Friedrich Merz, dont l’avenir semble incertain.

«Merz parviendra-t-il à redevenir un partenaire potentiel pour le SPD et les Verts?»

Affaibli dans la négociation

Depuis des mois, Friedrich Merz faisait figure de favori dans les sondages. Son parti, la CDU, est crédité de 30% des intentions de vote, loin devant l’AfD (20%), le SPD (16%) ou les Verts (12,5%). Mais s’il reste en tête des sondages, Friedrich Merz ne semble plus profiter de l’extrême impopularité de la coalition d’Olaf Scholz. Pire, la CDU, sondage après sondage, recule régulièrement de quelques points. Créditée de 33% des intentions de vote en novembre, elle n’est plus qu’à 29%, selon certaines enquêtes d’opinion. «Merz fait campagne dans un wagon-lit, s’inquiète Oliver, 25 ans, pull-over bleu marine sur chemise bleu pâle, sous le parasol orange estampillé CDU d’un stand électoral dans le sud-ouest de Berlin. S’il ne se réveille pas, on ne sera pas assez forts et on sera obligés de faire d’énormes concessions au SPD ou aux Verts lors des négociations pour une future coalition.» Une inquiétude palpable au sein du parti, qu’il était devenu urgent de briser.

Friedrich Merz, réputé n’écouter que peu de conseillers depuis le décès de son mentor, l’ancien ministre des Finances Wolfgang Schäuble, a voulu prouver sa combativité lors du congrès de son parti, le 3 février à Berlin. A l’applaudimètre, il est parvenu à rassurer les 1.001 délégués sur un point qui leur tenait particulièrement à cœur: «Nous ne travaillerons pas avec le parti qui se nomme Alternative pour l’Allemagne. Ni avant les élections ni après. Jamais. Ce parti représente tout l’inverse de ce que nous avons bâti, en tant que parti et en tant que pays, dans le passé. […] C’est pourquoi, lors de la campagne, nous voulons l’affaiblir autant que possible. Il n’y a ni coopération, ni tolérance, ni coalition minoritaire avec l’AfD.» Longuement ovationné, Friedrich Merz semble avoir regagné la confiance des siens.

Mais parviendra-t-il à redevenir un partenaire potentiel pour le SPD et les Verts? La virulence des débats devant le Parlement, les agressions verbales à l’égard du ministre écologiste de l’Economie Robert Habeck ou d’Olaf Scholz… Il lui sera difficile de recoller les morceaux avec ces alliés potentiels sans lesquels il ne pourra pas former de coalition s’il remporte le scrutin du 23 février.

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