Législatives Allemagne
La principale implantation de Porsche dans le Bade-Wurtemberg: l’industrie automobile allemande connaît des temps difficiles. © GETTY

Elections législatives en Allemagne: comment la crise économique influence la campagne

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Illustration dans le Bade-Wurtemberg, berceau de l’industrie automobile, où l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) milite en faveur des moteurs à combustion.

En campagne en Allemagne, Olaf Scholz et son «challenger» chrétien-démocrate pour les élections législatives du 23 février, Friedrich Merz, tentent tous les deux de marquer des points sur le terrain économique. Le pays, qui a connu en 2024 une troisième année de récession, subit une nouvelle poussée du chômage. En jeu: l’avenir de l’industrie, notamment de l’automobile, pilier de la prospérité dans le pays. Dans le Bade-Wurtemberg, au sud-ouest de l’Allemagne, l’inquiétude est palpable.

Thomas a travaillé toute sa vie dans ce secteur. Acheteur chez Mercedes, il habite avec sa femme et son fils dans l’une de ces petites villes typiques du Bade-Wurtemberg, l’un des hauts lieux de l’industrie allemande, et l’un des Länder les plus riches du pays: rangées de maisons basses entourées de jardinets proprets, grosses cylindrées de marques allemandes devant le garage, routes en parfait état, et un solide tissu de PME industrielles… Cette région agricole, verte et vallonnée, plantée de vignes et de pommiers jusqu’aux faubourgs de la capitale régionale, Stuttgart, est aussi l’un des berceaux de l’automobile allemande et du made in Germany avec des constructeurs tels que Mercedes et Porsche, et un réseau dense de sous-traitants.

Plan de restructuration

«Pour moi, il a toujours été clair que je travaillerais dans l’automobile. Comme mon père, qui avait fait carrière chez Porsche, témoigne un brin nostalgique Thomas, 60 ans, haute stature et abondante chevelure argentée. C’est un produit auquel je peux m’identifier et on a toujours été très bien payé. J’aime les voitures, j’aime l’innovation technologique. Ce monde m’a toujours fasciné. Travailler dans l’automobile, c’était très prestigieux pour les jeunes à mon époque. Mais aujourd’hui, je compte les années jusqu’à la retraite. Je ne m’inquiète pas vraiment pour mon emploi. Me licencier coûterait trop cher à l’entreprise, à cause de mon ancienneté. Je m’inquiète plutôt pour les jeunes, pour mon fils, qui vient de finir sa formation. Pour eux, ce sera dur. Bien plus que pour nous.» Son fils Luka, âgé de 22 ans, travaille pour l’un des plus gros sous-traitants du pays.

Le secteur compte 780.000 salariés, dont 220.000 travaillent dans la région. Pilier du miracle économique, l’industrie automobile a réalisé en 2023 un chiffre d’affaires de 564 milliards d’euros. La crise de l’automobile a éclaté au grand jour avec l’annonce en septembre 2024 d’un vaste plan de restructuration de 35.000 postes chez Volkswagen, faisant l’effet d’un tremblement de terre dans le pays.

La situation économique est devenue ces derniers mois la seconde préoccupation des électeurs, derrière la question migratoire. Trente-cinq pour cent des personnes interrogées disent avoir peur pour leur emploi, ressentir lourdement les conséquences de l’inflation, ou craindre la désindustrialisation du pays. Fin janvier, l’Allemagne comptait près de trois millions de demandeurs d’emploi, le score le plus élevé depuis dix ans.  Même dans le Bade-Wurtemberg, région habituée au plein emploi, le chômage est reparti à la hausse. En décembre, le taux grimpait de 6% à 6,4% en Allemagne. Dans le Bade-Wurtemberg, il a augmenté de 0,4 points à 4,6% de la population active.

Problème structurel

«L’Institut de recherche sur le marché du travail et les professions (IAB) prévoit une légère hausse de 0,4% du nombre des actifs dans la région cette année, grâce à la forte demande dans des secteurs tels que la santé, l’éducation, le social, l’hôtellerie et la restauration ou l’informatique, rappelle l’Agence pour l’emploi du Bade-Wurtemberg. Mais le nombre des emplois dans l’industrie recule depuis le début de l’année dernière. Rien qu’en octobre, la région en a perdu 20.000 dans l’industrie.» Le président de la fédération patronale de la métallurgie Gesamtmetall, Stefan Wolf, estime que 40.000 emplois automobiles disparaîtront cette année dans la région.

«L’Allemagne investit dans un produit du passé, tandis que les technologies d’avenir se concentrent aux Etats-Unis.»

Depuis quelques mois, le Land est celui où la désindustrialisation à l’œuvre en Allemagne prend l’un des tours les plus dramatiques. Bosch, le plus gros sous-traitant, 135.000 salariés en Allemagne et 430.000 dans le monde, présentait fin novembre la seconde vague d’un gigantesque plan social avec 10.000 suppressions de poste dans ses usines allemandes d’ici à la fin de la décennie, selon les calculs du syndicat IG Metall. Continental (5.000 suppressions d’emploi), ou ZF, gros sous-traitant de Friedrichshafen à l’extrême sud de la région (14.000 postes supprimés), annonçaient à leur tour de vastes plans d’économies.  «Chaque jour ou presque, on apprend qu’il y a, quelque part dans la région, de nouvelles négociations entre employeurs et représentants du personnel en vue de réduire les coûts», soupire Barbara Resch, responsable du puissant syndicat de la branche, IG Metall, pour le Bade-Wurtemberg.

Veste noire, chemiser rouge, cette grande femme blonde et sportive reçoit au siège du syndicat, à Munich, où elle vient de passer la journée en réunion avec ses collègues du reste du pays. «Bosch, ZF… Ce sont pour l’instant surtout les sous-traitants qui sont concernés, expose-t-elle. Ils ont consenti de gros investissements dans l’électromobilité, mais la demande s’est effondrée. Jusqu’à présent, le secteur a surmonté les crises, mais cette fois c’est différent. Car la crise conjoncturelle, liée à la chute de la demande en Chine et aux Etats Unis, se double d’une crise structurelle. Pour le Bade-Wurtemberg, c’est particulièrement grave en raison de la dépendance de notre économie envers la métallurgie et l’électronique, qui représentent 30% de notre PIB régional, contre 20% à l’échelon national.»

«La crise économique, c’est maintenant», slogan d’une manifestation inédite de patrons allemands le 29 janvier à Berlin. © GETTY

Interdiction des moteurs à combustion

Symbole des difficultés du pays, l’avenir de l’industrie automobile s’est invité au cœur de la campagne électorale en vue des législatives anticipées du 23 février. Olaf Scholz, candidat à sa réélection (15% dans les sondages), presse la présidente allemande de la Commission européenne Ursula von der Leyen de préciser au plus vite les modalités de l’interdiction de produire des moteurs à combustion, prévue pour 2035. Le candidat de la CDU et probable futur chancelier au vu des sondages, Friedrich Merz (30% des intentions de vote), promet de «faire pression sur la Commission pour revenir sur cette interdiction» tandis que son partenaire bavarois de la CSU, Markus Söder, exige «la mise en place d’une prime à l’achat pour les voitures électriques», dont la demande s’est effondrée lorsque le gouvernement allemand a mis fin à son programme de subventions, en janvier 2024, faute de financement. Markus Söder est à la tête d’une autre région de l’automobile, la Bavière, siège d’Audi, durement affecté par la crise du secteur, et de BMW, qui résiste mieux.

«Il est difficile de replacer les salariés de l’automobile sans emploi, parce qu’ils sont très, très bien payés.»

Quant au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (20% des intentions de vote dans le pays), il cherche à grignoter des points au sein même des entreprises par le biais de son «syndicat», Zentrum Automobil, en présentant des candidats aux élections pour les comités d’entreprise, avec quelques élus au sein de Mercedes, de Porsche ou de BMW. Zentrum Automobil et l’AfD réclament le retour aux moteurs à essence et à diesel pour sauver l’emploi. «L’extrême droite cherche à simplifier tout, résume Barbara Resch. Elle véhicule le discours que c’est la fin des moteurs à combustion qui est responsable de la montée du chômage. C’est bien sûr absurde. Car cela ne changerait rien au fait que la Chine est en surproduction sur le segment des véhicules électriques!»

Investissements vers l’avenir

«L’un des problèmes de l’Allemagne est sa dépendance envers l’industrie automobile, abonde Clemens Fuest, le patron de l’institut Ifo de Munich, proche du patronat. Les trois entreprises qui investissent le plus dans la recherche en Allemagne sont Volkswagen, Mercedes et Bosch. Trois entreprises de l’automobile. C’était le cas aussi aux Etats-Unis il y a 20 ans. Aujourd’hui, les entreprises qui investissent le plus outre-Atlantique sont Meta et les géants de la Silicon Valley. Ce sont des investissements vers des secteurs d’avenir, là où l’Allemagne continue d’investir dans un produit du passé; les technologies d’avenir se concentrent aux Etats-Unis.»

Dans la rue piétonne de Stuttgart, face à l’imposant château qui abrite deux ministères régionaux et un musée, les passants avouent leur inquiétude. Comme Michael, 64 ans, un chasseur de têtes qui a perdu ses clients dans le secteur, faute de recrutements. «Il est très difficile de replacer les salariés de l’automobile qui ont perdu leur emploi, avoue-t-il. Parce qu’ils sont très, très bien payés.» Ou Christoph, 64 ans, habitant de Göppingen, à 50 kilomètres à l’est de Stuttgart. Cette petite ville de 60.000 habitants tremble pour l’avenir du sous-traitant Allgaier, à la recherche d’un repreneur après avoir fait faillite en novembre dernier. «Les élections compliquent la situation, estime-t-il. Le discours sur un retour aux moteurs à combustion va rendre la situation encore plus difficile pour les constructeurs. L’industrie a besoin de certitudes. L’avenir, ce sont les voitures électriques…» Volker, 32 ans, électeur de l’AfD, peste lui contre les politiciens «qui ont laminé l’industrie automobile allemande». Il vient d’accepter un nouveau poste de l’autre côté de la frontière, en Suisse, «où les gens sont nettement mieux payés et où il y a un avenir».

Signe des temps, une partie du patronat allemand est descendue dans les rues fin janvier, pour faire pression sur la campagne en alertant sur l’état «catastrophique» de l’économie allemande. Le mouvement, coorganisé par la fédération de la métallurgie, qui regroupe les constructeurs et les sous-traitants, mais aussi la machine-outil et l’électrotechnique, présente un plan en dix points, proche du programme de Friedrich Merz, pour davantage de flexibilité du temps de travail, une diminution de l’impôt sur les sociétés, le recul de la bureaucratie, notamment liée à l’Union européenne, et un programme de soutien à l’investissement. Friedrich Merz promet un retour à la croissance sur la base de mesures similaires, là où Olaf Scholz veut miser sur la hausse du salaire minimal, des hausses d’impôts pour les plus hauts revenus et l’abandon du «frein à la dette», une mesure interdisant les dérapages budgétaires et limitant l’endettement, inscrite dans la Constitution.

Thomas, lui, s’intéresse peu aux promesses de campagne. Il est convaincu que dans une petite ville comme la sienne, où les liens sociaux sont étroits, les conséquences de la crise de l’industrie automobile se feront moins sentir que dans les grandes villes.

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