Une terre engloutie se cache dans la mer du Nord
Pendant la dernière période glaciaire, on pouvait marcher de la côte belge à l’Angleterre. Des archéologues marins ont permis de lever un coin du voile entourant cette immense terra incognita aujourd’hui engloutie et qu’on appelle le Doggerland.
Cela peut surprendre, mais il n’est pas rare de trouver une défense de mammouth sur les plages d’Ostende. Ou un autre fossile issu du panel d’animaux préhistoriques qui parcourait la terre il y a des milliers d’années. Aux Pays-Bas aussi, des tonnes de fossiles ont été repêchées lors des dernières décennies à l’occasion de travaux de dragages et par la pêche controversée des chalutiers qui raclent les fonds marins. Une manne scientifique, et commerciale, puisque les fossiles sont très recherchés par les institutions scientifiques, mais aussi par les collectionneurs et les paléontologues amateurs.
Ils sont en réalité les réminiscences d’une époque où la mer du Nord était une vaste steppe s’étalant jusqu’au-delà de l’Irlande et du Royaume-Uni. Durant la période glaciaire, il était en effet possible de rejoindre l’Angleterre à pied pendant des dizaines de milliers d’années. C’est aussi cela qui a permis aux néandertaliens et aux homo sapiens de s’y installer. Un territoire qu’on appelle aujourd’hui le Doggerland. Ce n’est qu’il a 12.000 ans, lorsque les gigantesques calottes glaciaires de Scandinavie ont commencé à fondre, que cette zone, plus basse que le reste, a été engloutie par les flots. Quelques îles vont faire de la résistance durant encore quelques millénaires, avant de sombrer il y a près de 8000 ans.
Balayée par un tsunami ?
La fin de la dernière grande île du Doggerland serait due à un cataclysme selon la théorie de chercheurs britanniques. Elle aurait été balayée par un tsunami provoqué par un glissement de terrain en Norvège et dont les vagues auraient atteint une vingtaine de mètres de haut.
Si grâce aux trouvailles fortuites le long des côtes belges, et surtout hollandaises, on ne manque pas d’artefact du Doggerland, il est cependant difficile de les replacer dans un contexte, ou de trouver des liens entre chaque découverte. Chacun s’accorde à dire que c’est des indices qu’il existait une activité humaine sur ces territoires, même si on ne peut l’affirmer avec certitude. Bien qu’à l’époque de la disparition du Doggerland, il y avait déjà des villes construites au Moyen-Orient, il n’y avait dans nos régions que les derniers chasseurs cueilleurs européens. Ils ne connaissaient ni l’agriculture ni l’élevage. Ils ont donc laissé peu de preuves de leur passage, rendant d’autant plus difficile l’établissement de preuves concrètes. Pour obtenir des éléments solides de leur présence, il était nécessaire de s’atteler à une approche plus structurée et scientifique, mais aussi pluridisciplinaire. C’est dans cette optique que va être mis sur pied le projet « Europe’s lost frontiers« , soit une équipe composée d’archéologues, mais aussi de géologues et de physiciens marins, des biologistes moléculaires et des informaticiens qui auront pour but de faire revivre virtuellement le Doggerland englouti. C’est le professeur Vincent Gaffney, de l’université de Bradford, qui dirige cette collaboration entre chercheurs britanniques et belges (de l’Université de Gand et de l’Institut flamand de la mer VLIZ).
Cartographier des terres englouties
Après un travail de fourmi effectué auprès des autorités et dans les archives scientifiques, mais aussi auprès des compagnies pétrolières, des installateurs d’éoliennes et d’autres entreprises spécialisées dans les fonds marins, ils sont parvenus à récolter suffisamment d’informations pour délimiter les zones potentiellement intéressantes pour effectuer des recherches. Un endroit du Dogger Bank, une crête sous-marine située entre la pointe du Royaume-Uni et le nord des Pays-Bas va particulièrement attirer leur attention. Ce banc de sable est tout ce qui reste de la gigantesque bande de terre qui reliait l’Angleterre au Danemark, à la Belgique et aux Pays-Bas.
Ces hauts-fonds représentent une surface de 17.600 kilomètres carrés immergés entre 15 et 36 mètres de fond. C’est donc surtout autour du Brown Bank, un banc de sable long de 30 kilomètres et situé à une centaine de kilomètres à l’est de Great Yarmouth et à 80 km à l’ouest de la côte des Pays-Bas, qu’ils vont concentrer leur recherche.
La prospection de ce paysage inondé est une activité difficile, car la mer du Nord est l’une des voies maritimes les plus fréquentées du monde et le climat la rend souvent inhospitalière. Certaines parties des terres submergées sont aussi entièrement recouvertes de sédiments relativement contemporains, déversés par certains des plus grands fleuves d’Europe, tels que le Rhin et la Meuse, ce qui limite la visibilité. Malgré tout, lors d’une première expédition à bord du Belgica, ils fouillent les différentes zones à l’aide de sonar. Ils remarquent alors que les fonds marins sont étonnamment bien conservés et permettent de tracer les contours de l’ancien territoire. Ils commencent à percevoir ce qui était autrefois des côtes, des rivières, des lacs et des zones humides – même un marais salé géant.
En mai 2019, un nouveau pas est franchi en prélevant des échantillons sur les sols et en draguant de petits morceaux du fond marin. L’équipe de chercheur menée par une Belge, Tine Missiaen, du VLIZ, a ainsi ramené les restes de troncs d’arbres, ainsi que d’autres fragments de bois et des morceaux de tourbe contenant des coquilles d’escargots terrestres. Selon eux, ce sont là les vestiges d’une ancienne forêt préhistorique. Et bien que cela ne soit pas un signe indéniable d’activité humaine à cet endroit, cela augmente la potentialité d’en retrouver des traces.
Il existe encore des traces de forêts englouties à l’orée du Doggerland à 200 mètres de la côte nord-est de l’Angleterre, près du village de Low Hauxley. Lire : Des forêts préhistoriques englouties refont surface à la faveur des tempêtes
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C’est cependant sur un autre site de recherche au large des côtes anglaises, qu’ils vont avoir plus de chance. Ils y découvrent des fragments de silex. Une fois analysés, ces morceaux se sont révélés être un tesson et un marteau avec lequel un habitant du Doggerlander fabriquait autrefois des haches et des pointes de flèche. Une première.
Si une terre engloutie et un royaume insulaire qui doit céder face aux flots rappellent furieusement le mythe de l’Atlantide, rien n’indique que le Doggerland pourrait être la réalité derrière le mythe. Rien n’empêche non plus de rêver un peu.
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