Carte blanche
Pourquoi ne pas remercier les animaux d’expériences?
L’utilisation d’animaux pour la recherche scientifique nécessite souvent de les impliquer dans des procédures engendrant de la souffrance et se terminant par la mort. Cette réalité a amené l’Union européenne à encadrer cette activité par une législation très contraignante en matière de bien-être animal.
Les expérimentations animales doivent être au préalable questionnées (règle des « 3Rs ») par leurs responsables et autorisées par une commission d’éthique sur base d’une argumentation dûment étayée. Elles ne peuvent ainsi se dérouler que moyennant une couverture anesthésique et analgésique adéquate sur des animaux qui par ailleurs seront hébergés et manipulés en respectant leurs besoins physiologiques et éthologiques spécifiques, et euthanasiés au moment adéquat (« points-limites ») selon une technique validée.
Il est bon de rappeler que ce choix politique pertinent est éclairé par des connaissances scientifiques illustrant de plus en plus clairement la complexité mentale des animaux non humains, et notamment divers contenus de conscience. Les avancées en matière de sciences du bien-être animal (neurosciences, éthologie …) démontrent en effet que les animaux d’expérience sont bien des « êtres sensibles », engendrant ainsi des responsabilités éthiques grandissantes pour les utilisateurs, à savoir des êtres humains, eux aussi sensibles et conscients, à la hauteur de leur empathie élargie au vivant. Prendre soin de ces êtres vivants (santé physique), sensibles et (partiellement) conscients (santé mentale), semble donc combler les préoccupations éthiques sociétales, tout en assurant à la recherche scientifique un modèle pertinent et efficace dans l’attente d’alternatives généralisées. Toutefois, l’assurance de conditions de vie et de mort « confortables » pour les animaux d’expérience n’élude pas tout à fait la question éthique fondamentale de la justification de leur utilisation. Cela peut se résumer par le dilemme suivant: comment en même temps argumenter la validité scientifique de l’utilisation de modèles animaux par leur proximité avec l’homme, tout en utilisant l’argument inverse pour en défendre la caution éthique? Certains évoqueront un « ordre naturel », une « préférence humaniste », voire une « autorisation divine ». Ces justifications ont actuellement montré leurs limites, en se heurtant notamment à la démonstration scientifique de la complexité animale ainsi qu’à un certain discours philosophique antispéciste, voire à l’abandon des préoccupations religieuses en la matière.
Un premier pas pour sortir de ce dilemme consiste à reconnaître la faillite totale du modèle cartésien de l’animal-machine, et donc à pleinement accepter notre responsabilité sociétale face à l’utilisation à notre profit d’un autre être sensible (y compris sa mise à mort), jusqu’à y inclure une dimension ontologique voire spirituelle. Sortir du modèle naturaliste occidental moderne pour en explorer les alternatives, notamment animistes décrites par l’anthropologie, apparaît comme une voie sans doute a priori iconoclaste, mais très prometteuse dans l’exploration indispensable d’un nouveau « vivre ensemble » ne se limitant pas à l’humanité. Du concret? Pourquoi ne pas commencer par remercier les animaux d’expériences lors des actions « Télévie », « Cap 48 » ou du prochain « Téléthon »?
Pr. Marc Vandenheede
Faculté de Médecine Vétérinaire de l’Université de Liège Ethologie vétérinaire, Bien-être des animaux et Ethique Animale
Ce sujet sera abordé par l’auteur lors du prochain symposium du BCLAS à Liège le 27 avril
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