Coronavirus: la recherche scientifique à la croisée des chemins
La recherche sur le coronavirus impacte déjà le corpus scientifique. De nouvelles pratiques émergent, parfois pour le meilleur. A long terme, désormais ?
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Vincent Bours est directeur du département de génétique humaine à l’ULiège. Avec son équipe, et celle de la KULeuven, il tente de tracer l’arbre phylogénique du Sras-Cov-2, c’est-à-dire ses différentes souches permettant de retracer l’histoire évolutive du virus. partir de cette généalogie, les chercheurs espèrent trouver l’origine de la contamination, surveillent des mutations éventuellement dangereuses et déduisent des propriétés de la transmission. Les résultats récoltés par les deux universités belges alimentent ensuite les bases de données de la plateforme internationale Nextstrain, un site en accès libre. » Ce sont des journées intenses. Tout le monde est sur le pont « , témoigne Vincent Bours. Il reconnaît qu’il n’a jamais été confronté à ce niveau de crise. » D’emblée, il y a eu un sentiment d’urgence de générer collectivement des données scientifiques et de les mettre en commun. Un partage et une mobilisation qui s’est fait avec une rapidité et une facilité inégalées. »
Le Covid-19 est l’élément mondial qui va nous permettre d’imposer l’accès ouvert de la science.
Tout va à une vitesse folle, grâce notamment à l’essor de l’ open science : un phénomène assez nouveau et très important dans la recherche sur le coronavirus. Même les éditeurs de journaux ont réagi, en fournissant en libre accès les résultats scientifiques et les articles » Covid- 19 « , à l’image de Nature et Science, les deux plus importantes publications dans le domaine généraliste. » La crise sanitaire met tout le monde devant l’évidence : en cas d’urgence médicale, un élément de la solution est de collaborer en ouvrant la science, affirme Bernard Rentier, virologue et ex-recteur de l’ULiège. Je regrette cependant que cette évidence soit née dans un contexte de panique. »
Ces échanges agissent, partout, comme un appel. La folle expansion du virus, qui, au 8 mai, a officiellement contaminé 2 246 097 personnes et tué 263 831 fois, dans le monde, bouleverse les modus operandi du corpus scientifique : remaniement des équipes, financement des projets, procédures des expériences et des essais cliniques, publications des résultats. Ces étapes, en place depuis près de trois cents ans, ont été impactées par l’urgence. Il faut faire beaucoup plus, beaucoup plus vite, et si possible en faisant preuve d’une efficacité maximale, voire meilleure. Aussi les chercheurs ont-ils rapidement vu arriver une explosion de publications. » Même hors Covid, les chercheurs publient davantage car, leur laboratoire arrêté, ils ont souvent plus de temps pour finir des articles ou achever de les corriger « , relève Laurent Gillet, responsable du Centre structurel interdisciplinaire de recherche de la faculté de médecine vétérinaire (ULiège), l’un des plus importants laboratoires de virologie.
Mais aussi des publications d’un autre type : les preprints, des textes de recherche mis en ligne sans avoir été évalués par les pairs, l’élément fondamental du contrôle de la qualité scientifique et qui prend plusieurs mois, parfois une à deux années. » Ce mode de publication n’est pas neuf pour nous, mais le Covid-19 a dopé tous les sites de pré- publication « , avance encore Laurent Gillet. Pour Bernard Rentier, il y a là des risques de dérapage. Sous prétexte de partage pour la communauté scientifique, des acteurs veulent accéder à une forme de notoriété, cherchent à séduire des investisseurs, sont dans une logique d’image. » Le Covid-19 est l’élément mondial qui va nous permettre d’imposer l’accès ouvert de la science, et d’opérer la mue du système d’évaluation par les pairs, qui doit évoluer vers l’ open peer review (NDLR : le commentaire ouvert aux pairs). »
Quels moyens ?
La production scientifique n’est pas entrée seule dans une spirale de vitesse. Le financement a dû, lui aussi, suivre. En quelques semaines, le Fonds de la recherche scientifique (FNRS) a débloqué un montant exceptionnel de trois millions d’euros. » Tous les chercheurs ne peuvent pas se consacrer à la recherche Covid-19, rappelle Vincent Bours. Chez nous, ce sont quand même des budgets de type Fédération Wallonie-Bruxelles. Les montants ne sont pas colossaux. La Belgique n’est ni le Royaume-Uni ni les Etats-Unis. »
En matière de financement, les moyens consacrés à ce virus ne devraient pas diminuer.
Beaucoup redoutent que les euros consacrés au coronavirus soient ponctionnés sur d’autres projets de recherche. Si, pour certains scientifiques, le rythme de travail s’est accentué, d’autres se trouvent ralentis dans leurs travaux. Leurs universités leur ont demandé d’arrêter toute activité de recherche non liée au coronavirus. Le virus vient ainsi briser net des chercheurs en fin de contrat, qui ne peuvent postuler ailleurs. Et d’autres qui perdent ainsi une année de financement, la plupart des bourses et des budgets s’étalant sur trois, quatre années. Devront-ils s’arrêter ? Seront-ils prolongés ? » Le mot d’ordre donné aux chercheurs est celui du télétravail et les priorités ont été données aux programmes de recherches vitaux, dont l’interruption entraînerait une perte d’un nombre important de données ou de matériel « , précise Laurent Gillet, dont le laboratoire tourne à plein régime. Ses chercheurs ont en effet développé un test automatisé de détection du Sras-Cov-2, moins dépendant de réactifs et dont le nombre peut être augmenté à 2 000 par jour. » En matière de financement, il y a bien sûr un effet de mode, mais les moyens consacrés au Covid-19 ne devraient pas diminuer, estime Bernard Rentier. Le virus est entré dans la cour des grands, il a impacté le monde comme jamais un coronavirus ne l’avait fait avant lui. »
Même constat avec les congrès internationaux, ingrédients indispensables de l’activité scientifique, arrêtés par le confinement. » Nous devrons inventer de nouvelles façons de faire car les visioconférences en grands comités ne favorisent pas les interactions, qui sont sources d’échanges directs et de nouvelles collaborations « , ajoute Bernard Rentier. Nombre de chercheurs considèrent toute- fois que leur vie de globe-trotteurs appartient au passé.
Reste la place du monde de la recherche. Jamais une crise n’avait permis de mettre en évidence l’utilité sociale des chercheurs et le sort qui leur est réservé. Il y a quelques mois encore, eux-mêmes avaient ce sentiment de ne pas être entendus. Désormais, ils s’expriment largement dans l’espace public. » Nous n’avons pas toujours bénéficié de relais efficaces auprès des politiques. Nos avis semblaient moins peser que ceux des lobbys « , ose Vincent Bours. Pour Laurent Gillet, la crise a mis en lumière les difficultés du monde académique : le sous-financement, la précarité, la compétition entre équipes, la starisation… Tous, en tout cas, se réjouissent d’être sortis de leurs laboratoires et d’en sortir avec une image renforcée. Pour combien de temps ?
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