Vers une société où on devient tous parents à 50 ans?
Bien que de moins en moins marginale, la parentalité tardive continue d’intriguer. Exigences professionnelles, crise du couple ou problèmes de santé, les raisons sont multiples mais souvent liées à l’évolution de la société. Pour ces papas et mamans grisonnants, un bébé est à la fois un formidable cadeau et un sacré challenge.
Ils sont arrivés à un âge où les enfants s’apprêtent généralement à prendre leur envol. Sauf que les leurs babillent encore dans leur lit cage. Les naissances chez les couples de plus de 45 ans restent un phénomène marginal mais en constante progression. En 2009, une centaine de femmes âgées de plus de 45 ans ont accouché dans les maternités wallonnes et bruxelloises, ce qui représentait 0,2% des naissances dans ces services. Dix ans plus tard, ce chiffre a doublé. Dans la catégorie inférieure, soit les femmes âgées de 40 à 44 ans, elles étaient près de 2 000 à être devenues mamans en Wallonie et à Bruxelles en 2009 et 700 de plus en 2019. Sur l’ensemble de la Belgique, l’âge moyen d’une mère qui accouche de son premier enfant est de 29 ans, celui d’un père de 33 ans.
On pense qu’il sera toujours temps plus tard mais la femme est rattrapée par son âge tandis que l’homme pourra encore procréer tardivement.
Changement de paradigme
Au-delà des statistiques, qui témoignent déjà de l’émergence du phénomène, nombre de spécialistes de la natalité constatent que les femmes « mûres » sont de plus en plus nombreuses à pousser la porte de leur cabinet. Dans une analysée publiée dans la revue Champs psychosomatiques en 2008, la psychiatre et maître de conférence à l’université de Paris, Claire Squires, décelait déjà dans l’âge moyen retardé des hommes et des femmes à la naissance de leurs enfants la confirmation d’un changement de norme sociale.
« Avec la contraception, la famille tend à être réduite à deux enfants et se constitue sur une période de dix ans, alors qu’au début du XXe siècle, ce temps était double », expose-t-elle. Pourquoi fonder une famille plus tard quand on a le choix, relatif, de le faire avant trente ans? « Concevoir un enfant aujourd’hui suppose de le faire sur un temps plus réduit, au « bon moment », et nécessite donc une planification des naissances – ce qui éloigne d’une idée naturelle ou spontanée de la grossesse », éclaire la psychiatre . Les liens conjugaux fragiles, les ruptures et les carrières professionnelles contraignantes peuvent aussi bouleverser cet agenda : « Les souhaits et les projets procréatifs comportent donc des paramètres si complexes et contradictoires que l’arrivée d’un bébé ne semble pas facile à organiser, de plus sur un temps davantage réduit qu’auparavant. » Les grossesses tardives apparaissent dès lors souvent comme un choix par défaut plutôt que comme un modèle assumé, se positionne Claire Squires.
Après 45 ans, les chances de tomber enceinte naturellement sont proches de zéro. Les couples ou les femmes qui souhaitent avoir un enfant en solo au-delà de ce seuil n’ont donc d’autre choix que la cryopréservation de gamètes ou d’embryons. En Belgique, la loi n’autorise pas le transfert d’ovocytes fécondés au-delà de 47 ans, avec pour conséquence que certaines femmes se rendent dans des pays où la législation est plus souple pour avoir une chance de tomber enceinte.
Une grossesse possible mais risquée
Les risques de fausse couche en raison d’une anomalie chromosomique augmentent avec l’âge, de façon exponentielle. Néanmoins, des grossesses naturelles entre 47 et 50 ans restent encore possibles, confirme le Dr Fréderic Debiève, chef du service d’obstétrique aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Lorsqu’une grossesse naturelle n’est plus possible – aussi dans le cas où la patiente a subi un traitement médical lourd ayant épuisé sa réserve ovarienne – on aura recours au don d’ovocytes. « Outre le fait que l’âge constitue intrinsèquement une complication particulière, ces mêmes complications peuvent aussi survenir avec le don d’ovocytes. Dans les deux cas, les problèmes sont liés à la placentation. » Le diabète, l’hypertension, les accouchements par césarienne, les retards de croissance et les risques de pré-éclampsie figurent également parmi les problèmes régulièrement rencontrés lors de ces grossesses tardives. « Tout dépend s’il s’agit d’une première grossesse ou non et de la manière dont se sont passées les précédentes. Chez une mère dont c’est le premier enfant, c’est la grande inconnue. »
Cherche partenaire désespérément
Plus à risque sur le plan médical (lire l’encadré ci-dessus), ces grossesses tardives peuvent également s’avérer particulièrement perturbantes, comme l’explique le Pr Luc Roegiers, pédopsychiatre périnatal aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Les femmes (toujours plus nombreuses) qu’il reçoit en consultation ont soit besoin d’être conseillées dans leur choix d’assumer ou non un enfant à l’aube de la cinquantaine, soit d’être accompagnées lorsqu’elles sont déjà enceintes. La grande majorité des grossesses autour de 50 ans sont le résultat du don d’ovocytes. Mais les demandes de cryopréservations par vitrification augmentent d’année en année. Les profils et les trajectoires varient d’une patiente à l’autre mais, souligne celui qui est aussi chef de clinique aux services de gynécologie et obstétrique, les études réalisées sur les motivations des femmes qui souhaitent cryopréserver leurs ovocytes – ce qui mènera de facto à une maternité tardive, voire très tardive – indiquent que ce choix est généralement justifié par le fait que la femme n’a pas trouvé de partenaire. La carrière professionnelle et les aspects financiers étant les deux autres raisons invoquées.
« Le manque de partenaires prêts à s’engager est criant. De manière générale, on constate une perte de l’institutionnalisation et des repères symboliques, comme l’idée de se marier ou d’avoir des enfants, mais la femme garde beaucoup plus le désir d’être mère que l’homme qui, lui, a plus tendance à renoncer. On constate aussi une forme de jeunisme: on pense qu’il sera toujours temps plus tard mais la femme est rattrapée par son âge tandis que l’homme pourra encore procréer tardivement. On est par ailleurs dans une société récréative, celle des hobbys, des vacances, des plaisirs sexuels, qui se heurtent à l’envie d’avoir un enfant. Enfin, comme les femmes veulent garder leur indépendance, la maternité représente un enjeu beaucoup plus large pour elles que pour les hommes. »
Aujourd’hui ma carrière est derrière moi et je profite de chaque moment parce que je sais ce que je suis susceptible de louper.
Ce que le praticien constate également, c’est que ces femmes se retrouvent souvent dans une situation de grande vulnérabilité et d’anxiété durant leur grossesse ou à la naissance de l’enfant, notamment parce qu’elles prennent conscience qu’elles ne pourront pas compter sur leurs propres parents, trop âgés ou décédés, pour les aider dans l’organisation du quotidien.
De manière générale, Luc Roegiers déplore que la société ne soit pas capable de faciliter l’accès à un projet familial pour les femmes actives, et que celles-ci se retrouvent systématiquement fragilisées sur le plan professionnel. « Quand des entreprises comme Apple et Facebook proposent à leurs employées de congeler leurs ovocytes pour mieux se consacrer à leur travail, on comprend que ça se répercute dans le couple mais aussi dans la société. »
Plus anxieux?
Jean-Luc, 52 ans, a fait le choix de mettre un frein à sa carrière et à un mode de vie trépidant. Divorcé et déjà papa de deux garçons de 25 et 21 ans, ce consultant indépendant vient d’ajouter deux branches à son arbre généalogique: une pour Louis, 15 mois, et une pour Valentine, 2 semaines, les deux petits derniers qu’il a eus avec sa compagne de quatorze ans sa cadette. Aujourd’hui, son quotidien est nettement plus rock’n roll mais il considère cette paternité tardive comme un cadeau, une deuxième chance de ne pas passer à côté des meilleurs moments de l’existence. « Quand mes deux premiers garçons sont nés, je travaillais pour une multinationale, et je ne suis pas sûr de m’être arrêté ne serait-ce qu’une demi-journée. Alors qu’aujourd’hui, ma carrière est derrière moi et je profite de chaque moment parce que je sais ce que je suis susceptible de louper. »
Atteinte d’endométriose, pathologie qui rendait ses chances d’être mère quasi nulles, la journaliste et actrice française Sonia Dubois a pensé que l’âge de la ménopause avait sonné quand elle a été prise de sautes d’humeur, de bouffées de chaleur et d’envies de grignoter. Quelques mois plus tard, elle donnait naissance à un petit garçon en parfaite santé. Elle avait 45 ans, son conjoint 50. Dans Un bébé chez les quinquas (Flammarion, 2012) qu’elle a cosigné avec Robert Macia, le père de son enfant, Sonia Dubois décrit les premiers (é)mois de cette vie de parents comblés mais parfois un peu dépassés par les événements.
Douze ans se sont écoulés depuis. « Finalement, j’ai rencontré les mêmes soucis et les mêmes angoisses que les autres mères, quoique l’expérience de la vie fait qu’on prend les choses avec un certain recul », analyse-t-elle aujourd’hui. « On va par exemple lui apprendre les langues, les maths, la géo ou le français différemment. Sur ce point, je pense qu’on a un avantage par rapport aux jeunes car on a acquis une certaine expérience. »
Sur le plan physique, par contre, la plus toute jeune maman a dégusté. « Jusqu’à l’entrée en crèche, les nuits ont été terribles. Aux femmes de plus de 45 ans qui souhaiteraient avoir un enfant, je conseillerais d’être dans un état physique rayonnant. Un bébé, c’est un cadeau merveilleux de la vie à condition que tout se passe bien. Ça nécessite d’être très accompagnée sur le plan médical, de s’organiser pour que le quotidien soit facile, que tout puisse être fait à proximité de chez soi et d’avoir de l’argent. Autre condition: avoir un père qui assure. Il faut une présence et une assise paternelle énorme, justement parce qu’on est âgé et que l’enfant a cette fragilité consciente que ça ne durera pas toujours. »
Quand des entreprises comme Apple et Facebook proposent à leurs employées de congeler leurs ovocytes pour se consacrer à leur travail, ça se répercute dans le couple mais aussi dans la société.
« Pour tenir physiquement, vous avez besoin d’une partenaire qui en fait plus que la normale parce qu’à 52 ans, on n’a plus la même résistance », confirme Jean-Luc. « A la maison, on a mis au point une stratégie: moi je m’occupe de Louis, elle de Valentine. On ne dort plus ensemble et quand elle est épuisée, c’est moi qui prends le relais. Pour y arriver, il faut être une équipe organisée. » Le papa quinqua, que l’on sent comblé par ces deux naissances, confie tout de même qu’il est plus anxieux qu’il y a vingt ans. Et que s’occuper de ses bébés en épaulant à la fois ses deux aînés et en prenant soin de ses propres parents est un sacré challenge.
« Mes vieux »
La question de l’épanouissement et de l’avenir de ces enfants nés de parents nettement plus âgés que la moyenne est, elle aussi, centrale. Comment vivront-ils le fait qu’à 20 ans, leurs parents seront des seniors? Encaisseront-ils les moqueries des camarades de classe et les situations gênantes du genre « C’est ton papy? » « Non c’est mon papa… »? Les études, nous apprend le Pr Roegiers, ne montrent pas clairement de désavantage objectivé pour les enfants mais elles portent généralement sur ceux dont les parents sont plutôt des quadras. Pour ces pères et ces mères grisonnants, percevoir le questionnement dans le regard des autres parents et essuyer les remarques déplacées peut aussi représenter une difficulté supplémentaire.
« On ne se blinde pas contre ça. Parce que c’est très désagréable pour l’enfant et je ne veux pas qu’il ait à en souffrir », réagit Sonia Dubois, qui ne se gêne pas pour « recadrer sèchement » les indélicats au moindre impair. Régulièrement, celle qui a aussi connu une enfance auprès de parents plus âgés que la moyenne, s’évertue à rassurer son fils chez qui elle décèle une certaine anxiété à propos de la mort. « Je lui rappelle qu’il a beaucoup de chance car il vient d’une famille ou, des deux côtés, on vit très vieux. Qu’on est très solides et en bonne forme ».
A la naissance de Louis, Jean-Luc a aussi souffert de ce statut de vieux papa. Aujourd’hui, il laisse couler. « On finit par s’habituer. Au début, les gens essayent de comprendre puis ils voient à quel point nous sommes complices. Je pense aussi que j’attire moins l’attention parce que j’ai moi-même adopté un comportement plus naturel, décomplexé. Peut-être que plus tard, quand il ira à l’école, ce sera difficile pour lui d’entendre les remarques – les enfants peuvent être cruels entre eux – mais on trouvera des solutions. Quand on aime, tout est possible. »
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