Tournée minérale et confinement: Deux personnes sur trois boivent de l’alcool actuellement
« Toute personne qui boit de l’alcool est un consommateur de drogue ». C’est l’avis l’expert britannique en alcool, David Nutt. Pourtant nous sommes nombreux à avoir l’impression de boire plus souvent depuis que l’on est confiné. Le point alors qu’une nouvelle tournée minérale est sur le point de commencer.
David Nutt (69 ans) est professeur de neuropsychopharmacologie à l’Imperial College de Londres. Ses opinions controversées sur l’alcool lui ont valu de graves ennuis en 2009. Il a été licencié en tant que conseiller principal sur les drogues auprès du gouvernement britannique parce qu’il a déclaré à la radio en prime time que l’alcool dans son ensemble est la drogue la plus nocive au Royaume-Uni, devant l’héroïne et le crack. Une déclaration que le gouvernement et l’industrie de l’alcool n’ont pas vraiment voulu entendre. Plus d’une décennie plus tard, Nutt croit toujours que l’alcool est une drogue dure légale et omniprésente responsable de toutes sortes de malheurs, des maladies du foie et du cancer à la violence et aux accidents de conduite en état d’ivresse. Il n’est pas nécessaire d’être un sans-abri alcoolique pour détruire son corps et son cerveau avec de l’alcool. Cela arrive aussi aux personnes qui ont des performances de haut niveau », déclare Nutt.
Mais il y a certainement de bons côtés à l’alcool, admet Nutt, lui-même buveur modéré et propriétaire d’un bar à vin à Londres. Le but de Nutt n’est pas d’ailleurs de priver tout le monde de son verre, mais de vous permettre de faire des choix intelligents basés sur des faits. « La chose la plus importante est que vous sachiez ce que vous faites », dit-il. « Vous ne prenez pas non plus de médicaments, de suppléments vitaminiques ou de drogues illégales sans y avoir pesé le pour et le contre ».
Le conseil de Nutt est d’essayer de limiter la quantité que vous buvez autant que possible, pour ne pas vous faire trop de mal, mais de quand même garder le côté plaisir. Le problème, cependant, est que l’alcool pousse à en boire toujours davantage. Si vous aimez boire, il sera toujours tentant de boire trop. C’est aussi pour cela que la consommation d’alcool doit avant tout être un acte conscient. Boire de l’alcool n’est pas comme se nourrir. Il faut que l’alcool soit un plaisir positif et actif plutôt qu’un réflexe et une habitude ou de l’automédication contre le stress ou l’anxiété ».
Boit-on plus depuis qu’on est confiné ?
Justement en cette période riche en stress, a-t-on plus bu ? Il existe un nombre plus important de consommateurs au mois de décembre que lors de la première enquête du mois d’avril (soit lors du premier confinement), et ce, quel que soit le produit envisagé selon la dernière enquête en date de Sciensano. Cela laisse entrevoir la possibilité d’une augmentation des comportements à risque pour la santé au sein de la population, bien qu’il ne s’agit là que de données temporaires qui doivent encore être affinées puisque ce n’est que l’appréciation des individus eux-mêmes.
Ainsi on serait aussi de plus en plus à boire de l’alcool. En décembre 73,5 % des personnes interrogées consomment des boissons alcoolisées, contre 67,6 % au début du mois d’avril, 72,1 % à la fin avril et 71,3% en septembre.
Néanmoins, si on est plus à consommer de l’alcool, ce n’est pas pour autant qu’on boit plus. Parmi les personnes qui consomment de l’alcool, la majorité déclare ne pas avoir changé sa consommation par rapport à la période qui précédait la crise sanitaire : ainsi en fonction des enquêtes, entre 51 % et 61 % des consommateurs d’alcool auraient gardé les mêmes habitudes de consommation.
Néanmoins les changements de consommation sont plus fréquents lorsque les mesures pour contrer la propagation du virus perdurent. Ainsi, la proportion de personnes ayant augmenté leur consommation d’alcool est plus élevée fin avril (23 %) qu’elle ne l’était début avril (16 %). De même, plus de personnes déclarent avoir augmenté leur consommation en décembre (20 %) par rapport à ce qui est constaté en septembre (16 %). A contrario, 29 % des consommateurs déclarent avoir diminué leur consommation d’alcool en décembre, une proportion plus élevée qu’au mois de septembre (23 %). Le changement observé est donc bidirectionnel.
Le ratio « négatif » (29 % qui ont diminué leur consommation par rapport à 20 % qui l’ont augmentée) peut s’expliquer par exemple la fermeture des bars et des restaurants, l’interdiction de se rassembler, l’annulation des événements festifs, le couvre-feu à partir de 22h (ou minuit), l’interdiction de vendre ou acheter de l’alcool au-delà de 20h, la restriction des visites ou des contacts rapprochés, etc.
C’est dans le groupe d’âge de 35 à 44 ans que l’augmentation de la consommation d’alcool et de tabac est la plus fréquente, soit respectivement chez 29 % et 47 % des consommateurs de ce groupe.
Il y a aussi une différence entre les sexes. Ainsi 19 % des hommes et 20,1 % des femmes ont augmenté leur consommation par rapport à la période avant la crise. Les hommes sont par contre proportionnellement plus nombreux (32 %) que les femmes (26 %) à avoir diminué leur consommation. L’analyse par groupes d’âge révèle deux autres faits intéressants :
- La majorité des jeunes consommateurs (61 % des 18-24 ans) a diminué sa consommation d’alcool, tandis que peu disent l’avoir augmentée (12 %). À partir de 35 ans, par contre, moins d’un consommateur sur quatre a diminué sa consommation d’alcool.
- C’est dans le groupe des 35-44 ans que l’on compte le plus grand nombre ayant augmenté leur consommation d’alcool (29 % de cet âge), on notera que cette proportion diminue avec l’âge (12 % de 65 ans et plus). Enfin, l’augmentation de la consommation d’alcool est plus fréquente parmi les diplômés de l’enseignement supérieur (22,5 % pour 18 % des moins instruits).
Enfin, par rapport à la période précédant la crise sanitaire, on constate parmi les jeunes de 18-24 ans (les plus vulnérables à cette crise sur le plan psychosocial) une baisse globale dans la consommation d’alcool, de tabac et de stupéfiants, et une hausse dans la consommation de somnifères/tranquillisants, de l’utilisation des réseaux sociaux et d’internet, ainsi que de la pratique des jeux de hasard.
La Tournée Minérale au temps du Covid
Cette année encore, en février, il y aura une nouvelle édition de la Tournée Minérale. On peut se demander si cela a encore du sens alors que les bars et les restaurants sont fermés et qu’on ne peut plus accueillir d’amis chez soi. Mais la réponse est oui. Car pour certaines personnes, la consommation d’alcool se fait désormais en famille. De plus, cette consommation d’alcool est souvent liée à des motifs négatifs : toute la situation libère beaucoup de stress, d’émotions et d’incertitude. Cela implique également de nouveaux risques. Toute personne qui utilise l’alcool comme stratégie d’adaptation est plus susceptible d’avoir des ennuis. Un mois sans alcool est idéal pour s’assurer que la consommation d’alcool à domicile n’est pas devenue une habitude bien ancrée », précisent les associations anti-drogue.
David Nutt pense également qu’une initiative comme la Tournée Minérale est utile. Les recherches montrent que les participants de Dry January (la variante britannique de la Tournée Minérale) ont moins bu en août. Le fait que les participants aient déclaré avoir commencé à voir l’alcool différemment est encore plus positif. Leur nouvelle image de la boisson a changé leur vie, et ce à long terme. Près de huit personnes sur dix nous ont dit qu’elles avaient commencé à comprendre pourquoi elles buvaient, et sept sur dix avaient appris qu’elles n’avaient pas besoin d’alcool pour s’amuser. D’autres avantages ? Un meilleur sommeil, plus d’énergie, un sentiment d’accomplissement, une perte de poids et des économies ».
Alcool et santé ne font pas bon ménage
Nutt est très clair sur le fait que l’alcool est un poison pur. Si on découvrait l’alcool aujourd’hui, il serait interdit sur le marché alimentaire. Si l’alcool était un aliment, seuls deux verres de vin par an seraient autorisés. En réalité, aucune quantité d’alcool n’est bonne pour la santé
« La plupart d’entre nous ont grandi avec l’idée que boire modérément n’était pas dangereux. Sauf que c’est faux », affirme Nutt. Si vous voulez mener une vie aussi saine que possible, ne buvez pas du tout, car l’alcool n’a aucun effet bénéfique sur la santé.
Par contre, il n’en va pas de même pour les avantages sociaux de l’alcool, poursuit Nutt. C’est à vous de décider quels risques vous êtes prêt à accepter et les mettre en balance avec le plaisir que cela vous procure. Les risques dépendent de votre âge, de votre sexe, de votre génétique ; mais surtout de la quantité et de la fréquence de votre consommation d’alcool. Ce que vous pouvez faire, c’est déterminer la dose qui vous procurera le plus de plaisir en combinaison avec ce que vous considérez comme un risque acceptable. Il n’y a pas de règle empirique qui s’applique à tout le monde. C’est à vous de décider ».
Vous boirez moins si vous utilisez des verres droits
Dans une étude réalisée par l’École de psychologie expérimentale de l’Université de Bristol, les gens buvaient leur bière soixante pour cent moins vite dans un verre droit que dans un verre évasé. La théorie est qu’avec un verre au bord évasé on a la perfide illusion qu’on est moins vite à la moitié du verre. Dans cette même étude, il a été constaté que si vous placez des lignes de repère sur les verres, les gens ont également un meilleur contrôle sur leur consommation d’alcool. La conclusion ? Si vous savez combien vous buvez, vous régulez mieux votre consommation d’alcool.
Un alcool plus cher n’est pas meilleur pour votre corps. Mais si on veut tout de même boire de l’alcool, il est une meilleure option. Le prix ne va pas pour autant vous épargner des désagréments. Si vous avez moins la gueule de bois lorsque vous buvez des boissons plus chères, c’est peut-être parce que vous prenez plus de temps pour les savourer. Ce qui signifie aussi que vous en buvez moins, ce qui n’est jamais une mauvaise chose.
Nous vivons dans une société « alcoolgène »
Les scientifiques ont un mot pour indiquer que nous vivons dans un environnement où nous sommes entourés d’aliments facilement disponibles et attrayants conçus pour nous faire manger ; ils appellent cela un environnement « obésogène ». Selon Nutt, on peut dire la même chose de l’alcool : « Dans notre société actuelle, si vous voulez boire moins, c’est comme décider d’arrêter de jouer tout en vivant dans un hôtel à Las Vegas. Les rayons des supermarchés débordent d’alcool, les publicités pour l’alcool donnent l’impression que boire est cool et amusant ; toutes les rues commerçantes ont des pubs et des bars, et une grande partie de la vie sociale tourne autour de l’alcool. »
Nutt s’en prend à la puissante industrie de l’alcool : « Malgré son message répété de boire avec sagesse, l’industrie de l’alcool veut que vous continuiez à boire. Ils blâment le buveur « irresponsable » pour les problèmes causés par l’alcool, et non la boisson elle-même. Mais comme nous le savons très bien, l’un des principaux effets de l’alcool est précisément qu’il vous enlève votre sens des responsabilités ».
Voici les mesures que les gouvernements devraient introduire selon lui
M. Nutt est convaincu qu’il existe des politiques efficaces que les gouvernements pourraient relativement facilement mettre en oeuvre pour maximiser les avantages de l’alcool et minimiser les risques pour la santé liée à sa consommation.
Par exemple, l’alcool devrait être beaucoup plus cher et les happy hours devraient être interdits, ainsi que toute publicité et tout sponsoring. La vente d’alcool fort dans les supermarchés devrait aussi être interdite. A l’image des paquets de cigarettes, des étiquettes devraient stipuler que l’alcool est nocif ;
Les enfants devraient être informés des dangers de l’alcool dès l’école primaire, et on devrait encourager la recherche d’alternatives moins dangereuses, moins enivrantes et moins addictives que l’éthanol.
Les experts en matière d’alcool et de santé demandent depuis quarante ans aux gouvernements de prendre les chiffres au sérieux et d’ajuster leurs politiques en conséquence. Mais nous ne sommes pas entendus, les politiques de tous bords aiment trop l’alcool », estime Nutt.
C’est pourquoi il suggère une autre mesure pour encourager des politiques raisonnables en matière d’alcool. On pourrait réduire la consommation d’alcool chez les politiciens pour qu’ils soient plus objectifs lorsqu’on aborde le sujet. Et on ne les laisserait voter qu’après un alcootest réussi ».
Qu’en est-il du Plan national sur l’alcool en Belgique ?
En 2008, une déclaration commune des ministres de la Santé publique a été approuvée sur la politique en matière d’alcool en Belgique. Cette déclaration a constitué la base d’un Plan national sur l’alcool (nap). Une version préliminaire a été élaborée en 2013, mais a été rejetée par la suite. En octobre 2016 et en mars 2017, de nouvelles tentatives ont été faites pour parvenir à un plan national sur l’alcool, mais elles n’ont jamais trouvé de soutien politique et ont été rejetées à chaque fois.
On peut se saouler sans boire
Dans une étude néo-zélandaise, les gens ont été placés dans une pièce qui ressemblait à un bar. La moitié d’entre eux se sont fait dire qu’ils buvaient de la vodka tonic, l’autre moitié s’est fait dire qu’ils prenaient juste du tonic. Cependant, ils avaient tous reçu du tonique sans le savoir. Sur les faux verres se trouvait une tranche de citron vert qui avait été trempée dans la vodka et qui sentait l’alcool, mais la teneur en alcool de la boisson elle-même était négligeable. Les gens – complètement sobres – ont commencé à agir en état d’ébriété en flirtant et en ricanant. Même lorsqu’on leur a explicitement dit qu’ils n’avaient pas bu, ils n’étaient pas convaincus.
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