Souffrance psychique: pourquoi avoir peur de guérir ?
La souffrance psychique peut être douloureuse, mais elle n’a pas que des inconvénients. Elle donne des avantages matériels et affectifs, éveille l’attention de l’autre et offre un statut. C’est pourquoi la psychanalyse fait peur. A tort, selon le freudien français Patrick Delaroche.
Freud a toujours prétendu que la psychanalyse était « la meilleure des thérapies ». L’avis est partagé par Patrick Delaroche, psychanalyste français, pédopsychiatre et freudien convaincu. Dans son ouvrage La peur de guérir – Les résistances à la psychanalyse (Albin Michel), il démontre pourquoi et comment elle guérit.
Le Vif/L’Express : Tout le monde aspire à la bonne santé, physique et mentale. Alors pourquoi cette peur et ce refus de guérir ?
Patrick Delaroche : La guérison est ambiguë. Il ne s’agit pas de la même chose sur le plan physique et sur le plan psychique. Prenons l’exemple d’une personne à qui on a greffé une main. Elle a refusé ensuite le traitement immunosuppresseur et a fini par se faire enlever sa greffe. La maladie peut entraîner des bénéfices secondaires. La guérison les supprime. On n’est plus aidé. Lorsqu’un enfant malade guérit, l’attention de l’entourage s’arrête.
Sur le plan psychique, c’est encore pire. On a l’impression que l’être humain ne veut pas que tout aille bien. Pourquoi ? La vie, c’est le désir, on a besoin de manque. Les symptômes psychiques peuvent prendre la fonction du manque. Les différentes thérapies courtes et les médecines parallèles sont agréables, elles font partie du bien-être. Leur but est moins de s’attaquer aux racines du mal. Elles sont là pour améliorer la situation, elles encouragent à poursuivre, mais on n’a pas envie de supprimer les causes de la maladie. La peur de guérir, c’est la peur de manquer du manque. Le manque est nécessaire au désir.
La peur de guérir serait synonyme de la peur de vivre. Comment l’expliquez-vous ?
Freud a inventé la pulsion de mort. Les gens qui ont peur de mourir ne vivent pas. Les gens qui vivent prennent des risques. La vie et le risque sont liés. Quelqu’un qui a envie de vivre prend nécessairement des risques.
Vous dites : « Guérir oblige à faire le deuil de sa mégalomanie. » Mais encore ?
C’est très subtil. La mégalomanie est une chose qui est ancrée en nous. Elle est invisible, souvent inconsciente. Elle se manifeste par le fait qu’on a le pouvoir sur tout y compris sur son corps. Il y a des malades qui refusent la médecine car ils croient qu’ils vont y arriver tout seuls. Guérir, c’est accepter le fait qu’on n’est pas tout-puissant et qu’on a besoin de quelqu’un pour guérir.
Peut-on affirmer que certaines personnes refusent de guérir pour mieux manipuler leur entourage ?
Oui. Le meilleur exemple est l’hypocondriaque, ce malade imaginaire. Tout tourne autour de ses maladies. On le voit surtout chez les personnes âgées. On retrouve toujours l’enfance dans ces comportements. Il ne faut pas en faire un jeu, ne pas dire « oui » à tout. Il faut être ferme.
Quel est le sens de la guérison ? Que signifie être en bonne santé mentale ?
La bonne santé mentale est un sentiment subjectif. On ne peut pas légiférer sur les sentiments. En psychanalyse, quelqu’un qui est bien dans sa peau et dans sa tête, c’est quelqu’un qui assume ses contradictions, qui reconnaît la réalité et qui reste modérément optimiste.
Vous donnez quelques coups de griffe à vos confrères, en disant que la guérison n’est pas à la mode…
Chez les psychanalystes, la guérison est très mal vue. Ce n’est pas le but ! Le but est de comprendre. En comprenant, les symptômes disparaissent, n’ont plus de raison d’être. La guérison vient « par surcroît », selon la thèse de Lacan. Selon Freud, la guérison vient comme bénéfice annexe. Le problème est que quand on vise trop la guérison, on risque de passer à côté. Si le psychanalyste veut guérir à tout prix, il rate son acte. Freud fustige la rage de guérir. Le psychanalyste laisse le patient se soigner et l’aide à guérir lui-même. Du coup, quand certains ne font pas bien leur métier, les patients ne les quittent pas. Les résistances du traitement sont les résistances inconscientes du psychanalyste. Le psychanalyste ne peut pas entendre certaines choses car il ne les a pas travaillées suffisamment dans sa propre analyse. Ce phénomène est de plus en plus fréquent.
La souffrance psychique la plus pénible à supporter peut disparaître si survient une maladie organique. De quoi la blessure physique protège-t-elle ?
Elle protège de la dépersonnalisation. Il vaut mieux être malade que fou. On peut voir cela autant dans la névrose que dans la psychose. Les névroses peuvent totalement disparaître dans certaines situations exceptionnelles comme la guerre, par exemple. Quant aux psychoses, on connaît des cas de mélancolie véritable guéris par l’apparition d’une maladie. Les maladies protègent de l’angoisse. On pense à la maladie et on évite ainsi de se poser des questions existentielles.
Selon Freud, la psychanalyse « est la meilleure des thérapies » et vous partagez cet avis…
La psychanalyse est la meilleure des thérapies car elle va au fond des choses, elle s’attèle au traitement étiologique. La médecine se préoccupe des symptômes. La psychanalyse recherche les causes premières, tout ce qui s’est passé dans la petite enfance et que tout le monde cherche à refouler. Ce sont les patients qui nous le disent et font l’éloge de la psychanalyse. Même s’ils trouvent les autres thérapies utiles, de manière complémentaire.
Pourtant, vous précisez que l’analyse n’est pas toute-puissante et qu’il est des domaines dans lesquels elle n’est pas recommandée ?
Tout dépend de ce qu’on appelle la guérison. Il y a vingt ans, l’homosexualité était considérée comme une maladie. Beaucoup de jeunes homosexuels se sont lancés dans la psychanalyse, mais ne guérissaient pas du tout, au contraire. L’ambiguïté majeure est la suivante : est-ce une maladie ? L’homosexualité est une fixation infantile à la mère, indépassable par la psychanalyse. Cela dit, il faut nuancer. Il y a aussi certaines homosexualités à l’adolescence qui sont parfaitement transitoires. Dans tous les cas, une psychanalyse est bénéfique et efficace car elle règle beaucoup de choses. Un autre domaine récalcitrant à la psychanalyse est la psychose. On ne peut pas changer la structure d’une personne. Dans le meilleur des cas, on pourra juste lui éviter l’hôpital psychiatrique. Elle s’adaptera au monde environnemental en adoptant le comportement des névrosés.
Peut-on définir le profil des personnes qui ont envie de guérir et de s’en sortir coûte que coûte ?
Elles ne sont pas plus « intelligentes ». Ce sont des personnes qui souffrent et qui sont coincées. Elles ne voient pas d’autre solution et veulent comprendre. Les gens viennent car ils sont au bout du rouleau et la psychanalyse est le seul moyen de les aider à s’en sortir.
Sont-ils, aujourd’hui, plus nombreux à consulter ?
Non. Les gens sont dans le divertissement, dans le plaisir et la jouissance. Ils sont moins conscients des difficultés. Ils les colmatent avec des choses superficielles, comme la télé ou les voyages. Nous vivons à l’époque de « l’homo festivus ».
Comment la psychanalyse opère-t-elle pour guérir ?
A l’aide de deux moyens. D’une part, par l’association libre d’idées. Cette liberté immense ouvre des horizons inouïs. D’autre part, par le transfert. Dans le transfert, on rencontre l’autre qui a toujours manqué dans la vie et s’est dérobé aux questions. C’est parfaitement inconscient. Les psychothérapies n’analysent pas le transfert et ne peuvent pas guérir la cause.
On a reproché à la psychanalyse de ne pas être une science. Pensez-vous que les neurosciences viendront un jour à bout de nos désordres de l’esprit ?
La psychanalyse ne sera jamais une science, Dieu merci, mais elle s’en approche. Les neurosciences pourront nous apprendre plein de choses, mais elles ne régleront jamais la question du sujet. Elles ont fait beaucoup de progrès, mais n’ont rien changé.
Un mot de conclusion ?
La psychanalyse est une chose extraordinaire. Elle peut guérir, peut-être. En tout cas, elle permet de se comprendre, de s’accepter, d’accepter les autres et de travailler.
Entretien : Barbara Witkowska
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