Rencontres en ligne: « Il faut arrêter de chatter aux toilettes »
Désireux de ne pas passer Saint-Valentin seuls, nombreux sont ceux qui tentent de trouver leur moitié sur les applis de rencontre, que ce soit pour une nuit, ou pour la vie. Malheureusement, les utilisateurs deviennent de plus en plus grossiers. Pour Marc Schachtel, CEO du site de rencontre Parship, il est grand temps d’intervenir.
Vous avez lancé une campagne appelant les utilisateurs à mieux se comporter. Les utilisateurs de sites de rencontre sont-ils si grossiers ?
Marc Schachtel: Il s’agit d’un phénomène social général, qui ne concerne pas uniquement nos clients. Dans le passé, les rencontres en ligne étaient un marché de niche. Aujourd’hui, presque tout le monde connaît au moins un couple qui s’est rencontré en ligne. Mais depuis un certain temps maintenant, les côtés sombres de notre business montent à la surface. Et la pandémie de coronavirus les a encore renforcés. Nous y avons beaucoup réfléchi au cours de l’année écoulée et nous sommes arrivés la conclusion qu’il fallait que cela s’arrête.
Que voulez-vous dire?
Sur tous les canaux, il semble que les gens reçoivent des messages plus grossiers qu’auparavant. Mais sur les sites de rencontres, c’est encore plus choquant. C’est pourquoi nous avons réalisé une étude de marché à grande échelle, avec des enquêtes, des entretiens et des forums de discussion. Les résultats m’ont choqué. Ainsi, un quart des célibataires ont déjà été victimes de ghosting.
Pourriez-vous expliquer ce qu’est le ghosting?
Le ghosting est l’un des inconvénients des rencontres en ligne : je commence à parler à quelqu’un, puis je n’en ai plus envie et je ne le contacte plus. Je disparais comme un fantôme. Cette absence de réponse blesse les sentiments de quelqu’un qui avait espéré davantage. Cela n’arrivera pas dans un café. Personne ne disparaîtra par la fenêtre des toilettes sans plus jamais donner signe de vie.
Y a-t-il d’autres problèmes ?
Le benching a également considérablement augmenté. Environ un célibataire sur cinq a déjà été victime. Les rendez-vous potentiels sont gardés au chaud, ils sont parqués dans un endroit sûr, pendant qu’en attendant, vous continuez à chercher de Madame ou Monsieur Parfait. L’autre est parqué sur un banc. Pour ceux qui sont tenus en laisse de la sorte, cela peut être très frustrant. Mais ce n’est pas tout. Près de la moitié des jeunes femmes ont déjà reçu des dick pic.
Des photos non sollicitées d’organes génitaux masculins ? Sur Parship aussi?
Non, chez nous, de telles photos sont automatiquement interdites. Mais sur n’importe quelle plateforme, les gens passent de plus en plus rapidement à WhatsApp ou aux SMS. Et ils ont de moins en moins de patience. Ils envoient un SMS et veulent se rencontrer rapidement. Si l’autre personne ne répond pas immédiatement, elle reçoit un message : « Pourquoi tu ne réponds pas ? ». Et dans la minute qui suit : « Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? ». Et là, les insultes commencent.
L’opposé du ghosting, alors ?
En effet. Mais la personne peut avoir été victime de ghosting dix fois déjà et se sentir tellement frustrée qu’une sorte d’agressivité transparaît dès les premiers messages. C’est ainsi que la tendance continue.
Est-ce suite à la pandémie que beaucoup de célibataires sont devenus plus irritables ?
On dirait bien.
Comment l’expliquez-vous?
Les femmes surtout sont clairement devenues beaucoup plus prudentes en matière de rendez-vous durant la pandémie. Certaines étaient tout simplement submergées. Elles recevaient des dizaines de demandes d’hommes chaque jour. Elles ne pouvaient même pas répondre à tous les messages, ce qui crée des frustrations des deux côtés. 68 % des célibataires disent être fatigués des rencontres et souhaiter une pause. C’est effrayant. C’est ce qu’on appelle la swipe fatigue : les gens en ont assez de balayer (vers la gauche s’ils leur plaisent, vers la droite, s’ils ne leur plaisent pas) les profils d’autres célibataires.
Qu’est-ce qu’il faut changer ?
Nous voulons rendre les rencontres en ligne à nouveau plus agréables et respectueuses. C’est pourquoi nous introduisons de nouvelles règles. Pour éviter que les utilisateurs n’envoient des dizaines de demandes en un temps très court, nous avons introduit une limite de 60 nouveaux contacts par jour.
N’est-ce pas encore beaucoup ?
Si nous intervenons de manière trop radicale, les gens abandonneront et notre service se détériorera pour tout le monde. Alors que nous souhaitons justement de nombreuses personnes. C’est notre objectif central.
La communication agressive est très répandue sur l’Internet. Y a-t-il quelque chose que l’on puisse faire à ce sujet ?
Personne n’a de véritable solution. Mais nous pouvons développer un produit qui aborde et atténue le problème. Si je rends le ghosting ou d’autres comportements grossiers moins probables, les utilisateurs seront plus détendus les uns envers les autres. Nous voulons que les rencontres en ligne redeviennent un lieu de connexion et de confiance. Où les gens ne passent pas tout leur temps à regarder autour d’eux pour voir s’ils peuvent trouver mieux ailleurs. Et qu’ils ne chattent plus aux toilettes, comme nous l’avons souvent entendu dans notre enquête. C’est une image absurde, non?
Se pourrait-il que les célibataires soient plus malheureux aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant l’arrivée de Parship et des autres sites de rencontre sur le marché ?
Je suis convaincu que notre secteur a fourni un rendement net supérieur en termes de bonheur : sur une période de 20 ans, plus d’un million de personnes sont tombées amoureuses grâce au seul Parship. Mais je pense aussi que les évolutions négatives contribuent probablement à ce que les personnes en mal de partenaire soient malheureuses longtemps. C’est là que les rencontres en ligne entrent en jeu. Des millions de célibataires utilisent désormais des plateformes en ligne. Cette omniprésence donne le sentiment que l’on peut facilement trouver un partenaire, comme sur un buffet. Cela a conduit à une certaine superficialité et à l’interchangeabilité, qui n’est pas propice pour apprécier quelqu’un à sa juste valeur. Nous avons oublié comment établir un lien avec quelqu’un. Nous ne pouvons pas régler ce problème à nous seuls, mais nous espérons que les autres plateformes suivront notre exemple. Notre industrie a beaucoup de retard à rattraper.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici