Pia et Novartis sont tous les deux très heureux
La campagne de SMS pour la petite Pia a permis de récolter 1,9 million d’euros. Formidable. Les parents peuvent maintenant payer le très cher traitement. C’est également la joie du côté de la caisse enregistreuse de la société pharmaceutique Novartis. Il est grand temps de mettre en question le prix exubérant des médicaments destinés aux maladies orphelines, dit la rédactrice en chef de Bodytalk Marleen Finoulst.
Les entreprises pharmaceutiques brodent régulièrement des histoires émouvantes autour de patients. Souvenez-vous du patient Viktor qui avait besoin du très coûteux Soliris® pour sa maladie orpheline, le syndrome hémolytique et urémique atypique. Sous la pression de l’opinion publique et d’une féroce, campagne médiatique, ils avaient accepté de faire une petite concession.
Au Portugal, il s’est récemment produit exactement la même chose avec le Zolgensma®, le « médicament le plus cher au monde ». Là aussi, les citoyens ont financé en masse le traitement pour un patient atteint d’amyotrophie spinale (AMS), la maladie musculaire génétique dont souffre Pia. Le gouvernement portugais avait, lui, mis la main au portefeuille. Ce qui a eu pour résultat que, comme par magie, trois autres patients atteints d’amyotrophie spinale qui avaient besoin du médicament se sont fait connaître par le biais de la compagnie pharmaceutique.
C’est pour cette raison qu’il était sage que la ministre Maggie De Block (Open VLD) garde ses distances par rapport à l’action de Team Pia. Les appels émotionnels dans les médias ne peuvent devenir un deuxième circuit de remboursement pour les médicaments très coûteux. C’est un problème qui doit être abordé au niveau européen.
Thérapie génique
Zolgensma® est un médicament destiner à soigner une maladie orpheline : une thérapie génique qui peut corriger les défauts génétiques du matériel héréditaire. Ce médicament a été développé par la société américaine AveXis. Cette compagnie a été achetée en 2018 pour 8,7 milliards de dollars par le géant pharmaceutique Novartis.
Depuis mai de cette année, le médicament est homologué aux États-Unis, mais pas encore en Europe. Actuellement, la procédure d’enregistrement se fait via l’EMA (Agence européenne des médicaments) et les autorités nationales n’y jouent aucun rôle. Le prix du médicament ne sera en effet fixé qu’après l’enregistrement européen. Le montant de 1,9 million d’euros – le médicament le plus cher au monde – qui circule actuellement est donc le prix que Novartis demande pour ce médicament aux États-Unis.
Dès que le Zolgensma® sera enregistré en Europe, on conviendra d’un prix maximum par pays. Ce n’est qu’à ce moment-là que le dossier sera transmis au comité des médicaments, qui conseille un éventuel remboursement. En cas d’avis positif, le ministre des Affaires sociales (Maggie De Block) et l’entreprise conviennent d’un prix de remboursement, dans les limites indiquées par le SPF Economie. C’est donc le ministre de l’Économie (en l’occurrence Wouter Beke, CD&V) qui fixe le prix maximum de ce médicament en Belgique. Si celui-ci est inférieur à 1,9 million d’euros, l’entreprise peut choisir : soit de ne pas entrer sur le marché belge, soit de demander un remboursement pour un prix inférieur.
Qu’est-ce qui est trop cher ?
Du coup que vaut le prix d’une vie et surtout qu’est-ce qui est trop cher ? Le coût des nouvelles thérapies contre le cancer peut facilement atteindre jusqu’à 100 000 euros par an et par patient. Or généralement c’est pour des personnes âgées qui, grâce à ces médicaments, vivent au mieux plusieurs années de plus. Et il se trouve que bon nombre des nouveaux médicaments contre le cancer sont maintenant remboursés.
Ce dont Pia, huit mois, a, elle, besoin, c’est d’une injection unique, ce qui augmente considérablement ses chances d’avoir une durée de vie normale. Soit un gain, si tout va bien, de 50 à 60 années. Ou pour le dire plus cyniquement : exprimé en termes de bénéfice par année de vie gagnée, le Zolgensma® semble être moins cher que de nombreux autres médicaments contre le cancer.
Pia et Novartis, tous deux très heureux
Néanmoins, faute de moyens, il est impossible de maintenir un tel raisonnement. C’est pourquoi il est urgent de réfléchir à des accords de prix, à un montant maximum par année de vie gagnée, ou – pourquoi pas – de faire dépendre le prix de revient de l’effet d’un médicament. Il est en effet toujours possible que Pia ne réponde pas à Zolgensma®, qui n’a été testé que sur quelques dizaines de patients (c’est une maladie rare). Dans une étude portant sur 15 patients atteints de la forme la plus sévère de SMA (dont souffre également Pia), seuls 11 ont très bien réagi au traitement. Et pour les autres ? Est-ce que Novartis remboursera l’argent recueilli si le médicament ne produit pas d’effet ?
Pourquoi les médicaments orphelins sont-ils si chers ?
Le fait que le développement de médicaments pour les maladies orphelines est si coûteux est dû à de nombreux facteurs. Le marché est extrêmement restreint et il n’y a pratiquement aucune recherche sur ces maladies. Grâce à la loi européenne sur les médicaments orphelins, en vigueur depuis 2000, les entreprises sont encouragées à se concentrer sur les maladies orphelines puisqu’elles bénéficient d’avantages supplémentaires. Et cela a porté ses fruits. Aujourd’hui, il y a environ 140 médicaments orphelins sur le marché européen et l’Agence européenne des médicaments espère porter ce nombre à 200 d’ici 2020. Les médicaments orphelins ne peuvent pas être mis au point seuls, car il s’agit souvent de thérapies très complexes. Une collaboration croisée entre les entreprises de biotechnologie, les centres universitaires et les grandes entreprises pharmaceutiques est nécessaire.
Les nouvelles thérapies apparaissent souvent dans les entreprises de biotechnologie ou les petites entreprises pharmaceutiques qui démarrent. Elles y consacrent souvent une décennie de recherche au développement d’un seul produit. Beaucoup de produits échouent en cours de route, ce qui explique que ces entreprises font régulièrement faillite. Et même lorsqu’une molécule prometteuse est découverte, le chemin vers un médicament reste complexe, coûteux et long pour les patients. Avant qu’il ne soit disponible, il faut, par exemple, réaliser des essais cliniques qui répondent à des critères stricts que le dossier d’enregistrement soit accepté, qu’il existe un accord de remboursement, etc. Autant de choses pour lesquelles les petites entreprises n’ont rarement que le savoir-faire nécessaire. Elles ne sont que trop heureuses quand elles sont achetées par de grandes entreprises pharmaceutiques qui sont capables de leur apporter un soutien logistique. Mais ce long et difficile chemin pour introduire un médicament sur le marché ne suffit pas à expliquer le trop peu de transparence autour du prix facturé. En réalité, personne n’a une idée précise du coût réel d’un tel médicament. Bien sûr, une entreprise qui développe des médicaments orphelins a le droit d’engranger des profits, mais elle se doit de rester raisonnable. Or ce n’est pas le cas pour le moment.
Les gens ne font pas confiance à l’assurance maladie
Ces derniers jours, les parents de la petite Pia ont donc réussi à récolter pas moins de 1,9 million d’euros pour un médicament qui peut lui sauver la vie. Ce type de crowdfunding n’a rien d’exceptionnel. De plus en plus de gens tentent de recueillir des fonds pour payer le traitement, les médicaments ou la prothèse d’un ami ou d’un voisin malade. Très noble, bien sûr, mais n’est-ce pas au gouvernement de le faire ? Et quand les patients et leurs proches utilisent-ils le crowdfunding, qu’est-ce que cela signifie pour notre assurance maladie ?
Dans le passé, la plupart des gens pouvaient se permettre presque tous les médicaments, mais aujourd’hui le prix peut atteindre des centaines de milliers d’euros. L’économiste de la santé Erik Schokkaert (KU Leuven) y voit un lien direct avec le secteur pharmaceutique : » Le gouvernement pourrait économiser beaucoup en concluant des accords de prix plus réalistes avec ce secteur, mais ce ne sera évidemment jamais le cas. Du coup la seule solution serait d’augmenter encore plus le budget de l’assurance maladie. Le gouvernement pourrait du coup être encore plus généreux. Ce postulat n’est pas complètement utopiste puisque, si on explique mieux les choses aux gens, ils mettraient plus facilement la main au portefeuille. En effet, dans les actions d’appels aux dons, on est souvent plus généreux quand on connaît les gens ou qu’on est touché par une situation.
Toujours selon Erik Schokkaert, « notre gouvernement peut tirer des leçons de cette dernière campagne. Les gens ont peu confiance en l’assurance maladie. Comment ça marche exactement ? Qu’obtiennent-ils en échange de leurs contributions ? D’habitude, ils ne le savent pas. Si le gouvernement expliquait mieux les choses, les citoyens seraient également prêts à faire preuve de beaucoup plus de solidarité au sein de ce système abstrait. »
Mais même dans ce cas, nous ne serons jamais en mesure de rembourser tous les médicaments pour tout le monde. Sans oublier les traitements et les opérations à l’étranger. Chaque année, environ un millier de patients s’adressent à leur caisse d’assurance maladie pour des traitements et des interventions qui ne sont proposés qu’à l’étranger. S’ils remplissent des conditions strictes, ils peuvent éventuellement être remboursés. Dans de nombreux cas, le dossier est cependant refusé.
Et qu’en est-il des médicaments très coûteux qui ne sont pas remboursés ou qui ne le sont que dans des conditions particulières ? C’était par exemple le cas de l’adolescent Elias il y a quatre ans. Bien qu’il souffre de la maladie rénale mortelle HSUS, il n’a pas été remboursé pour le médicament Soliris, qui coûte 18 000 euros par mois. Le comité qui décide des remboursements avait en effet identifié le groupe de patients atteints de HSUS pour qui il avait un effet maximal « , et Elias n’en faisait pas partie. Devant le tollé Maggie De Block (Open VLD) va néanmoins décider que tous les patients atteints d’HSUS se verront désormais rembourser le Soliris. Mais ce genre de largesse n’est pas possible pour chaque cas.
Du coup, seuls les riches et les personnes disposant d’un vaste réseau pourront se payer certains traitements ou prothèses à la pointe. C’est pourquoi, au début du processus de réhabilitation, on regarde souvent la situation financière d’un patient. Il serait en effet plutôt cruel de voir un patient essayer une prothèse qui lui serait inabordable, d’autant plus qu’après 6 à 8 ans, elle doit également être remplacée.
S’il est parfois scandaleux que quelqu’un doive payer de sa poche une thérapie dont il a tant besoin, il y a aussi une réalité parfois dure à accepter pour les patients : c’est que la médecine ne peut tout simplement plus rien pour eux. Une chose que ces personnes refusent d’accepter et qui les pousse à parfois s’accrocher à la moindre brindille d’espoir. C’est ainsi que certaines ont demandé de l’aide pour un traitement qui coute plus d’une centaine de milliers d’euros et qui ne fait que prolonger la vie que de quelques mois. Une réaction humaine et très compréhensible, mais qui ne peut être soutenue financièrement par la communauté. De façon très cynique, on doit tracer des limites si on ne veut pas que le système s’effondre.
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