Nous sommes trop propres : l’excès d’hygiène nuit à la santé
À force de tuer les mauvaises bactéries, nos modes de vie aseptisés éradiquent aussi les bonnes, les indispensables, qui nous protègent. L’asthme, les allergies, les intolérances alimentaires voire l’obésité en seraient les conséquences. La solution ? Se « resalir », quitte à se soigner à coups… d’excréments. Une nouvelle médecine se dessine.
Léchez-vous la main. Vous ne goûterez (probablement) rien. Vous ne percevrez rien. Vous ne vous sentirez même pas rassasié. Pourtant, vous aurez enfourné des micro-organismes par milliers. Levures, champignons, arthropodes, virus et même l’un ou l’autre staphylocoque. Miam ! Les parties les plus colonisées de notre peau comportent jusqu’à un million de bactéries. Par centimètre carré. Les paumes sont particulièrement exposées et heureusement qu’il soit physiquement compliqué de promener sa langue sur son crâne, son front, ses aisselles, ses plantes des pieds ou son… Bref. Plus la zone est humide, plus elle grouille.
Et que dire de la flore intestinale ! Là aussi, ça fourmille. Tellement que les scientifiques n’ont pas encore réussi à identifier tous ces microscopiques êtres qui nous peuplent. » Nous sommes les hôtes de nos bactéries « , glisse le professeur André Van Gossum, chef de la clinique des maladies intestinales à l’hôpital Erasme, à Bruxelles. Notre corps en abrite entre 15 000 et 30 000 espèces différentes. Sur notre peau ou dans notre système digestif (nos deux organes non stériles), elles sont dix fois plus nombreuses que nos cellules. De quoi ne plus jamais se sentir seul.
Leur compagnie est toutefois peu recherchée. Douches quotidiennes dégoulinant de savon, ménage à grands coups de désinfectant. Les conservateurs permettent de manger du jambon sous vide même en l’ayant laissé poireauter deux semaines au frigo. Dans les supermarchés, les patates sont tellement dépourvues de terre qu’on les croirait tombées du ciel et les salades en sachet sont rincées à l’eau javellisée. Dans certaines boucheries et boulangeries, les clients sont priés d’insérer leurs billets dans des machines automatiques qui leur rendront la monnaie sans que le vendeur ait à y toucher. L’argent est sale, il paraît. L’Afsca (l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire) a une dent contre le fromage de Herve et la tarte au riz. Dettol se met à faire du bain-douche, Iso-Betadine des bains de bouche. Les publicités invitent à (se) » laver en profondeur « , des brosses vibrantes hyperdémaquillantes se vendent près de 200 euros – un pore pur n’a pas de prix.
Les scientifiques ne crient pas leur désamour pour l’hygiénisme sur tous les toits. Sujet sensible
Toujours plus propres. Grossière erreur. Les scientifiques en sont de plus en plus persuadés : l’excès d’hygiène nuit à la santé. » Je suis bactériologiste depuis trente-deux ans et je suis désormais convaincu que ce que j’ai pu enseigner à mes étudiants n’est pas tout à fait vrai « , confesse Georges Daube, doyen de la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège et spécialiste en microbiologie des aliments.
Asthme, allergies, intolérances alimentaires, diabète de type 1, infections du côlon… Toutes ces pathologies qui s’immiscent dans un nombre croissant de vies depuis quelques décennies auraient une explication commune : la chasse aux bactéries. » On est au début d’une nouvelle science, avec de nouvelles approches qui ne seraient plus hyperhygiénistes, poursuit le professeur liégeois. Toutes les semaines, de nouvelles révélations sont publiées. C’est l’une des disciplines de la médecine qui est le plus en croissance depuis ces cinq à dix dernières années. »
« Pas de retour au Moyen Age »
Les scientifiques ne crient pas leur désamour pour l’hygiénisme sur tous les toits. Sujet sensible. Les nez les plus affûtés n’ignorent pas que la propreté est une notion toute relative. Et il ne faudrait pas que les anti-vaccins, les anti-shampoing, les anti-tout-le-tintouin apportent de l’eau à leur moulin. Car non, » il ne s’agit pas d’en revenir aux normes du Moyen Age « , rassure Georges Daube.
Reviens, Pasteur, c’était pour rire ! Eugène-René Poubelle, on t’aime toujours. Ignace Philippe Semmelweis, on le sait, nous, que t’étais pas fou, toi le médecin obstétricien qui a compris le premier que des étudiants qui passaient de la morgue à la salle d’accouchement sans se laver les mains, c’était pas terrible pour la survie des mères. Dire qu’aucun de tes confrères ne te croyait et que tu as fini dans un asile psychiatrique. Joseph Lister, Robert Koch : sans vous, les instruments chirurgicaux ne seraient peut-être toujours pas désinfectés avant une opération et la tuberculose ferait encore plus de ravages. Mais bon, les gars, vos découvertes majeures semblent avoir conduit à quelques excès. A force de vouloir faire la peau à ces saloperies de mauvaises bactéries, on a fini par toutes les flinguer. Alors que la majorité d’entre elles nous veulent du bien.
Finalement, cette course à la propreté est assez récente. » L’histoire de l’hygiène n’est pas linéaire, souligne Annick Le Guérer, historienne et anthropologue française, auteure de Le Parfum : des origines à nos jours (éd. Odile Jacob). Les Egyptiens, par exemple, y accordaient beaucoup d’importance car c’était le symbole de la pureté morale. Les Romains, eux, avaient développé tout un réseau de bains et thermes. » Mais ensuite, l’eau fut longtemps fuie. A cause de la peste de 1348, surnommée la » mort noire « , qui avait décimé plus d’un quart de la population européenne. » Les médecins avaient alors déconseillé de se laver avec de l’eau, estimant qu’à cause d’elle, les miasmes pénétraient dans le corps et pourrissaient les organes. » Fin des bains publics, début d’une régression de l’hygiène qui durera jusqu’à la fin du xviiie siècle.
» Le xixe sera vraiment celui de l’hygiène, prolonge Isabelle Godin, professeure à l’Ecole de santé publique de l’ULB et spécialiste des liens entre sociologie et épidémiologie. L’Etat prend la main sur le religieux sur les questions de santé, les espaces publics et privés sont aménagés. » L’eau courante apparaît, puis les systèmes d’évacuation. Fini de jeter le contenu de son pot de chambre par la fenêtre ! Les maisons s’aèrent, les déchets se collectent, les salles de bains émergent… Et Louis Pasteur révolutionne la science en identifiant ces dangers invisibles, suspendus dans l’atmosphère.
Le pouvoir de la pub
La fin de la Seconde Guerre mondiale accélère la tendance. » Les modes de vie deviennent plus sains durant cette période de grande prospérité « , résume Isabelle Godin. Les salles de bains se privatisent, le carrelage recouvre les sols, les frigos débarquent dans les cuisines… La publicité se charge du reste. » L’injonction à se doucher tous les jours est apparue dans les années 1960-1970, alors que l’industrie de la parfumerie développait les savons, les déodorants, les produits pour le bain, resitue Annick Le Guérer. Tant et si bien qu’aujourd’hui, on est tombé dans l’excès contraire. » Pour l’anthropologue, cette peur du sale, des odeurs, du putride serait un moyen de s’éloigner de notre destin mortel.
De fait, l’hygiène a repoussé une certaine mort. Dans nos pays industrialisés, on ne succombe quasi plus de pathologies infectieuses. Grâce aux vaccins, aux antibiotiques, aux précautions quotidiennes. D’autres maladies – cardiovasculaires, cancers… – ont pris le funeste relais. La saleté n’est plus à blâmer, contrairement à nos sales habitudes (tabac, alcool, manque d’exercice physique, pollution…). Elle continue pourtant à être plus exterminée que jamais. » Les gens et les médecins se trompent parfois de bataille « , avance Isabelle Godin, pour qui les règles d’hygiène restent évidemment cruciales. De là à ce qu’elles deviennent drastiques…
» Il ne faut pas trop aseptiser notre environnement, plaide Fabrice Bureau, professeur à l’ULiège, actif au sein du laboratoire d’immunologie cellulaire et moléculaire. Pendant des dizaines de milliers d’années, l’homme a vécu en équilibre avec ses bactéries, puis a commencé à toutes les tuer dans les années 1960-1970 ! » Le chercheur fait partie de cette nouvelle génération scientifique convaincue qu’il ne faut pas exterminer indistinctement, mais comprendre et utiliser de manière équilibrée. » Sinon, il risque de se passer dans nos maisons ce qui se produit déjà dans les hôpitaux. On y a tellement tout éradiqué que seules subsistent les bactéries ultrarésistantes et pathogènes. »
Le fondateur de cette » théorie de l’hygiène » fut David Strachan, aujourd’hui professeur à la St George’s University of London, qui publia en 1989 un article dans le British Medical Journal dans lequel il suggéra pour la première fois que moins on était confronté à des virus et à des bactéries pathogènes, plus on avait de chances de souffrir d’une allergie. Ce qui n’a pas tout de suite fait de lui une superstar. Et la pollution, alors ? Et le tabac ? Et toutes ces foutues crasses que l’industrie nous pousse dans le gosier ? Malgré les doutes, de multiples études ont fini par accréditer son hypothèse. Certaines ont, par exemple, comparé les milieux rural et urbain. Les enfants qui vivent à la ferme sont moins allergiques et la qualité de l’air n’y est pour rien. Les champs ont les particules de pesticides en suspension dans l’air, les villes ont celles des carburants. Chacun sa pollution. Par contre, les petits citadins ont moins de contacts avec les animaux, la terre, la nature… Donc, avec des bactéries.
L’exemple Amish
» En 2016, une étude importante a été publiée dans le New England Journal of Medicine, relate Teofila Caplanusi, dermatologue à l’hôpital Erasme. Elle comparait les enfants des communautés Amish (Indiana) et Huttérites (Dakota). » Toutes deux partagent le rejet de la vie moderne, sauf en matière d’agriculture. Les seconds utilisent des outils modernes, pas les premiers. Les Huttérites sont deux fois plus allergiques que les Amish. » Toujours en 2016, dans la même revue, une autre publication s’est penchée sur l’allergie à la cacahuète. Des bébés y ont été progressivement exposés à petites doses, afin de voir si ça permettait de faire diminuer les allergies. Et effectivement, le risque a été diminué de 81 %. »
Patrice Cani, professeur à l’UCL et maître de recherches FNRS-Welbio, spécialiste du microbiote (le terme scientifique qui désigne la flore intestinale) ose un » parallèle imagé : plus on est exposé tôt à la diversité, plus on devient tolérant à l’égard des autres communautés, religions… » A force de ne plus avoir de réels ennemis à combattre, le corps se rabattrait sur des passants inoffensifs. Le pollen, les acariens, certains aliments… Les scientifiques estiment que les trois premières années de vie se révèlent cruciales. » Dès la naissance, l’enfant doit subir une colonisation de son intestin par le plus de bactéries différentes possible, pose Patrice Cani. Dans le but d’éduquer son système immunitaire, afin que celui-ci réponde de manière adéquate et non pas exagérée. »
Cette peur du sale, des odeurs, du putride serait un moyen de s’éloigner de notre destin mortel
» A la naissance, il n’y a pas de microbe dans le tube digestif du bébé, rappelle André Van Gossum. Il sera progressivement colonisé. » D’abord grâce à la mère. D’où le retour en grâce de l’allaitement maternel et la disgrâce de la césarienne, qui prive le nouveau-né de tout contact – apparemment primordial – avec la flore vaginale. Dans un article publié en 2013 dans le New York Times Magazine ( » Some of my best friends are germs « ), le biologiste Rob Knight, pionnier dans l’étude du microbiote, raconte que sa fille est née en urgence par césarienne, mais que sa femme et lui ont pris soin d’inoculer sa peau de sécrétion vaginale à l’aide de cotons stériles.
Ce n’est pas non plus pour rien, si tant les autorités que les médecins répètent que » les antibiotiques, c’est pas automatique « . Car ils reviennent à tuer une mouche au bazooka. Efficace mais destructeur. L’agent pathogène est éliminé, mais beaucoup d’autres aussi. Un antibiotique n’est efficace que contre les infections bactériennes, pas virales. Rien ne sert de s’en gaver en cas de rhume. Mieux vaut en limiter l’utilisation autant que possible, en particulier durant l’enfance.
Là, chacun essaie de passer en revue ses trois premières années de vie. Ouf : je suis né par voie naturelle. Mince, je n’ai pas été allaité. Maman, j’ai pris beaucoup d’antibiotiques, petit ? A quel âge ai-je mangé ma première cacahuète ? Et pourquoi tu as toujours refusé de m’offrir un chien ? ! Allez, franchement, on aurait pu vivre à la campagne ! Heureusement que les scientifiques s’appliquent à mettre au point des traitements pour requinquer les flores intestinales adultes !
Ceux-ci fonctionnent même assez bien. Du moins chez les souris. Patrice Cani a découvert que la bactérie Akkermansia muciniphila, hébergée dans nos intestins, aurait le superpouvoir de lutter contre l’obésité. En tout cas, les rongeurs grassement nourris grossissent deux fois moins vite que ceux qui en sont dépourvus. Peut-être n’en sera-t-il rien chez l’humain ; des études sont en cours. Le chercheur aime prudemment répéter qu’il n’inventera pas le remède miracle. » Mais parvenir à faire baisser le taux de sucre dans le sang, diminuer le taux de cholestérol ou faire perdre deux tours de taille, ce serait déjà beaucoup. »
Guérir de l’asthme ?
Fabrice Bureau tente, pour sa part, de mettre au point un remède contre l’asthme, une affection qui touche plus de 300 millions de personnes dans le monde et 6 % des adultes belges. Il a été prouvé que vivre dans un environnement » non hygiénique » (à ne pas confondre avec sale) protège de l’asthme. Les scientifiques ont longtemps pensé que c’était grâce aux fragments de bactéries. Le chercheur liégeois a démontré, lui, que c’était en fait l’ADN de ces bactéries qu’il fallait remercier. Car non seulement celles-ci vivent avec nous, mais elles meurent et se dégradent aussi sur nous, ce qui nous fait entrer en contact avec leur matériel génétique. » Nous sommes déjà capables de produire in vitro ces cellules inhibitrices, détaille-t-il. Après, il faut voir si elles pourraient avoir un effet néfaste ou pas, donc il y a encore du travail. » Reste également à savoir si cet ADN bactérien est efficace uniquement lorsqu’il est inséré directement dans le poumon ou même lorsqu’il est administré par injection sous-cutanée. Dans le premier cas de figure, il faudrait alors procéder par fibroscopie, et l’insertion d’un tube par le nez ou la bouche n’étant pas une partie de plaisir, elle serait alors réservée aux asthmes potentiellement mortels. Sinon, le traitement pourrait être plus large. Des études cliniques humaines ont débuté, le résultat final devrait être connu d’ici à trois ans.
» La révolution est en cours, espère Georges Daube. Actuellement, on décrit beaucoup, mais on ne parvient pas encore à tout expliquer. Il faudra peut-être encore dix ou quinze ans avant d’arriver à une approche thérapeutique. » Sauf déception scientifique immense, le futur appartiendra sans doute aux probiotiques (les bactéries) et aux prébiotiques (la » nourriture » nécessaire à leur développement). De nouveaux types de médicaments qui mettront fin à notre » dysbiose « , » le terme à la mode qui désigne le manque de diversité bactérienne « , précise André Van Gossum.
Telle était déjà l’ambition des yaourts au » bifidus actif » et autres produits laitiers aux lactobacilles. Mais le marketing bactérien a été mis en sourdine, ces derniers temps. Surtout depuis que l’Efsa (l’Autorité européenne de sécurité des aliments) a refusé à des dizaines de produits leur allégation de santé, soit la possibilité de mentionner sur l’emballage que tel composant entraînait tel bénéfice pour le corps. » L’Europe a estimé que les preuves étaient insuffisantes, explique Georges Daube. Comme il s’agit d’un nouveau champ, les scientifiques ont peur, ils ne veulent pas donner leur garantie. » En attendant, les grandes firmes qui avaient investi gros l’ont dans l’os. » Les études se font donc plutôt dans les PME. L’industrie est en attente des développements, pour pouvoir ensuite les racheter. »
Quatorze ans sans douche
L’innovation aura peut-être un accent wallon. Plusieurs recherches sont en cours, notamment au sein du pôle de compétitivité Wagralim, associant entreprises et scientifiques. Florpro, Walnut, Adipostop… Difficile d’en connaître les détails, secret des affaires oblige, mais ces projets misent tous sur une bactérie pour améliorer notre santé. Aux Etats-Unis, une start-up commercialise un spray baptisé » Mother Dirt » (mère saleté). Son concepteur, le chimiste David Whitlock, ne s’est plus approché d’une douche depuis… quatorze ans. Ses odeurs corporelles se porteraient normalement, merci pour elles. A condition qu’il porte des vêtements propres. Il ne recommande toutefois pas de suivre son exemple, mais bien d’utiliser le spray après chaque douche, pour que la peau retrouve son équilibre bactérien mis à mal par l’eau et les savons trop agressifs (lire l’encadré « Peau : plutôt bactéries ou champignons » plus bas).
Son produit, il en eut l’idée après que sa petite amie lui ait un jour demandé : » Pourquoi mon cheval se roule-t-il dans la merde toute la journée ? » La réponse a donc changé sa vie : parce que certaines bactéries qui s’y trouvent le protègent. Peut-être même plus que ça. Les scientifiques étudient très sérieusement les bienfaits de la transplantation fécale. Cela a été prouvé, concernant le closteriumdifficile, surnommé fort à propos C.difficile. » C’est une bactérie que nous avons tous et qui prolifère après la prise d’antibiotiques, décrit André Van Gossum. Elle peut devenir pathologique. Colites, diarrhées importantes… Deux antibiotiques peuvent la tuer mais, dans certains cas, elle devient réfractaire à tout. » Sauf aux excréments d’un donneur sain, insérés via une sonde par la bouche ou par l’anus (chaque pays a sa tradition). Taux de réussite : plus de 90 %.
Les chercheurs pensent que la transplantation fécale pourrait se révéler efficace pour d’autres pathologies. Les universités flamandes sont en train de collecter des échantillons de selles de » superdonneurs « , afin de déterminer si celles-ci pourraient agir contre la colite intestinale (inflammation du côlon). D’autres études sont menées à travers le monde, concernant la maladie de Crohn, l’obésité, le diabète, la maladie de Parkinson… Les scientifiques avancent prudemment. Il ne faudrait pas que l’opération induise, par la suite, d’autres pathologies. Des firmes privées se tracassent moins, vendant déjà des gélules fécales censées soigner différents maux. » Il y a déjà des abus, soupire André Van Gossum. Des patients nous demandent déjà à être transplantés. » Sur YouTube, des tutoriels fleurissent. Eh, non, ce n’est pas du milkshake au chocolat qu’on voit dans le mixer.
Pas la peine, pour autant, de cesser de se laver les mains après avoir passé un moment aux toilettes. Mais pas la peine, non plus, de vider le pot de lotion désinfectante sur ses mains après avoir agrippé une barre dans le métro. Ou après avoir caressé le chien. Les médecins prônent finalement le juste équilibre. Pas d’excès, ni de saleté ni d’hygiène. Se » resalir » un peu, mais intelligemment.
Il n’y a pas pires mains que celles d’un chirurgien. Sèches, desquamées… Les désinfections à répétition n’ont pas que du bon. Sur la peau, comme dans les intestins, trop éradiquer ses bactéries engendre des effets néfastes. » Les gens trop propres peuvent avoir des problèmes cutanés. Ils enlèvent le sébum dans lequel vivent les bactéries, pointe Dominique Tennstedt (photo), dermatologue aux cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. Si on supprime ces bonnes bactéries, les muqueuses deviennent plus ouvertes aux champignons. » Les trop grandes consommatrices de nettoyants intimes ne l’ignorent pas longtemps…
L’excès d’hygiène peut aussi entraîner des rougeurs, irritations, démangeaisons, sécheresse, voire allergies cutanées. Mais une douche quotidienne reste toute indiquée. » Deux ou trois, ça devient trop « , nuance Teofila Caplanusi, dermatologue à l’hôpital Erasme, à Bruxelles. Surtout agrémentées de gels douche, qui nettoient trop. Les savons sans savon, les huiles, c’est mieux. » Les antiseptiques et les antibactériens ne sont à utiliser qu’en cas d’infection localisée « , recommande-t-elle. Ajoutant, par contre, que l’efficacité de la toilette à l’eau claire n’est qu’un mythe, car elle n’enlève que la poussière, pas la saleté.
Près d’une personne sur trois dans le monde souffre d’allergie. En particulier dans les pays les plus industrialisés. Cette prévalence aurait doublé, voire triplé ces trente dernières années, tandis que les formes graves et potentiellement mortelles auraient été multipliées par quatre ou cinq. En Belgique, selon la dernière enquête de santé, 14,2 % de la population était concernée en 2013, contre 12,7 % en 1997. Il s’agit de la seule maladie chronique davantage présente chez les personnes avec un niveau d’éducation supérieur. Soit celles qui, en théorie, ont le plus accès à l’hygiène. Et à ses excès.
Si la médecine s’intéresse de plus en plus aux bactéries, c’est parce qu’elle a désormais les moyens technologiques de le faire. Merci qui ? Merci le séquençage à haut débit ! Cette technique était utilisée dans un premier temps pour le génome humain. Elle peut désormais s’appliquer à tous les micro-organismes. » Désormais, à partir de n’importe quel échantillon biologique, on parvient à obtenir une photographie complète de ce qui s’y trouve, se réjouit Georges Daube, doyen de la faculté de médecine vétérinaire à l’université de Liège. Bactéries, levures, champignons… On s’est aperçu que, parfois, des germes potentiellement très dangereux vivaient avec nous sans que cela ne pose problème. » Par exemple, les tant redoutés staphylocoques ont élu domicile sur nos peaux. Il se pourrait même qu’ils aient un effet protecteur, en secrétant de petites substances qui inhiberaient la croissance des mauvaises bactéries.
Le laboratoire de Georges Daube fut l’un des premiers à acquérir un appareil de séquençage, en 2009. » Ça avait coûté 100 000 euros, mais ça s’est fort démocratisé. Avant, il fallait plutôt compter un million ! » Analyser un échantillon revient aujourd’hui à une centaine d’euros. Deux à trois jours suffisent pour identifier 50 000 à 100 000 noms de micro-organismes. Reste à déterminer d’où ils viennent et quelles sont leurs fonctions. De quoi occuper les scientifiques pendant encore de nombreuses années.
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