Nathan Clumeck : « Nous avons un moyen d’évaluer l’amplitude de l’épidémie en Belgique »
« Monsieur Sida » dévoile un moyen actuellement négligé pour jauger le réel impact de l’épidémie dans la population. Le test sérologique d’anticorps pourrait nous aider à prendre des décisions sur la fin de confinement et la reprise des activités normales. Mais il faut le mettre en production sans tarder …
« Toute infection induit une réponse immunologique, l’évaluation de la qualité et l’ampleur de cette réponse immunologique est essentiel. C’est d’ailleurs la base du principe de vaccination. Je ne comprends pas que l’on n’ait pas encore activé des ressources pour mettre au point un test pour déterminer la réponse en anticorps anti SARS-Cov-2 dans le sang. Car c’est une des clés pour savoir quand l’épidémie sera en déclin, quand on pourra rouvrir les écoles, quand on pourra sortir en rue de manière sereine ».
L’homme qui parle est le professeur Nathan Clumeck (ULB). Une pointure internationale en matière de virus. L’homme qui a le premier identifié le sida en Afrique. L’homme qui a vu les premiers malades ne plus mourir du sida dans les chambres de l’hôpital St-Pierre à Bruxelles, grâce aux premières trithérapies. Aujourd’hui émérite, il a rempilé discrètement au centre d’appel Covid-19 de l’institution référence pour les maladies infectieuses. Trop âgé pour soigner des malades Covid-19 sans courir un risque élevé. Mais pas pour réfléchir aux moyens de nous en sortir.
« Aujourd’hui, on pilote dans le noir. Nous avons des chiffres de gens infectés, qui sont sans commune mesure avec le nombre de gens qui ont été réellement en contact avec le virus et qui ont guéri. Nous avons des chiffres de gens hospitalisés et des chiffres de décès. Effrayants, mais qui font oublier que plus de 85 % des infectés guérissent. Mais nous n’avons aucune idée du « taux de pénétration » du virus dans la population générale ».
Tester les anticorps
Ce niveau sera un des paramètres utiles pour gérer la suite des événements. « Actuellement on est dans l’urgence. On ne teste que la présence du virus et pas chez tout le monde. Il faut se projeter au moment où, dans quelques semaines, avoir une idée du niveau d’immunisation de la population (le fameux iceberg que l’on voit partout pour symboliser la pandémie) permettra d’ajuster ou de libérer les mesures de confinement.
Mais comment faire pour ne plus « piloter dans le noir » ? « En faisant ce qu’on appelle un test sérologique d’anticorps, un test IgM/IgG, appelé aussi test d’immunoglobuline ». Les anticorps sont des protéines produites par le système immunitaire dans les jours qui suivent l’infection, lorsque ce dernier entre en contact avec des agents pathogènes (bactéries, virus, champignons, parasites). On appelle ce test IgM/IgG parce que les anticorps IgM sont formés déjà très tôt lors d’une infection aiguë, tandis que les IgG ne sont formés que plus tard. Un tel test ne nécessite qu’une simple prise de sang à partir d’une veine du bras, voire une goutte de sang au bout du doigt. Ce test est différent du test PCR qui est pratiqué actuellement sur les patients et qui mesure la présence du virus au niveau des voies respiratoires. « Les antigènes sont la preuve d’une infection active avec le virus ». Ici, il s’agit plutôt d’un test OUI/NON basé sur la présence ou l’absence d’anticorps spécifiques.
« Des milliers de Belges ont probablement contracté le coronavirus sans s’en rendre compte, l’ont confondu avec une virose banale, ils ont guéri spontanément en ayant une bonne réponse immunologique ; ils ne sont donc plus contagieux et ne risquent plus d’être infectés, mais ils restent confinés ou sont dans l’inquiétude d’être infectés dans le cadre de leurs activités professionnelles. Un tel test pourrait permettre d’abord de rassurer et ensuite de « libérer » sans risques des milliers de personnes dont le travail ou l’action sont essentiels pour le fonctionnement de la société. Et cela conforterait ceux qui n’ont pas encore été touchés et qui sont « séronégatifs » de rester strictement confinés et de bien se protéger ».
« Cela pourrait « libérer » des milliers de gens »
Mais le coût d’un tel « testing sérologique » géant ne serait-il pas prohibitif ? « Je ne pense pas. On parle de 2,5 euros par test. Peut-être un peu plus… C’est un test Elisa qui est une technologie bien connue, qui est automatisée et implique des technologues. Je pense que des labos belges pourraient assez rapidement les mettre au point et valider la technique », rétorque le professeur Nathan Clumeck. « On m’opposera peut-être que ce n’est pas une priorité et que tous les moyens doivent être mobilisés pour tester les malades pour la présence du virus, mais je ne suis pas sûr que les labos soient tous saturés. Des labos, il y en a beaucoup dans notre pays. Je n’ai pas vu, dans le cahier des charges de la mission ministérielle lancée vendredi pour un accroissement des tests PCR, que l’on incluait aussi des tests sérologiques. A mon sens, c’est une erreur ».
Les professionnels de la santé en priorité
Quelles seraient les premières cohortes à tester pour obtenir la vraie image de l’iceberg de l’infection ?
« Je pense que l’on devrait commencer par tester les professionnels de santé de la première ligne ; voir combien ont développé une réponse immune après avoir été infecté par contact patient ou sans s’en douter par un contact avec un ou des ‘porteurs asymptomatiques’. Ces ‘SARS-Cov-2 séropositifs ‘ auraient moins peur de le contracter. Et ceux qui seraient séronégatifs continueraient à se protéger mais en connaissance de cause. Les policiers, les ambulanciers, le personnel des services sanitaires d’appoint exposés en première ligne également. Puis pour avoir une idée au niveau de la population générale on pourrait commencer par les récents donneurs de sang. Par ces études pilotes on aurait une idée plus précise du niveau de pénétration du virus dans la population (la profondeur de l’iceberg). Une information importante pour la suite des mesures à prendre en termes de confinement ».
Aux sceptiques, le professeur oppose que l’on ne peut pas se permettre de négliger la réponse immunologique qui est la voie majeure de réponse à l’épidémie. « Vous savez, quand on trouvait des anticorps dans le sang des patients atteints du sida, au début de l’épidémie, cela voulait dire qu’ils étaient infectés mais cette réponse immunologique était inefficace et in fine ils étaient condamnés à mourir. Ici, trouver des anticorps Covid-19 ou plus précisément SARS-Cov-2 dans le sang, ça veut dire qu’on a été capable de vaincre le virus, qu’on est guéri et que l’on n’est pas un danger pour son entourage ! ».
Frédéric Soumois
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