Les bienfaits d’une balade en forêt
Les Japonais l’ont théorisée sous le nom de Shinrin-Yoku ou bain de forêt. Pourquoi avons-nous tant besoin des bois ? Alors qu’un doux parfum d’été indien est annoncé, ce week-end sera l’occasion rêvée de tester la mise au vert comme antidote au stress contemporain.
Shinrin-Yoku, green detox, Therapie im Wald, sylvothérapie : la forêt est un remède éprouvé, une planche de salut dans un monde déboussolé. Apaisante, bienfaisante, elle redonne de la force aux exténués, du silence aux hyperconnectés, du rêve aux aventuriers. En 1951, l’écrivain allemand Ernst Jünger nommait le résistant un Waldgänger, » celui qui va dans la forêt « , rappelle David Engels dans une chronique du Vif/L’Express (du 21 avril dernier). Cet individu » n’a pas besoin de théories ou de lois inventées par des juristes partisans pour savoir ce qui est juste… » Dans Walden ou la Vie dans les bois (1854), livre culte de la littérature américaine et bible de l’écologie moderne, Henry David Thoreau raconte ses » deux ans, deux jours et deux heures » passés dans une cabane bâtie de ses mains au bord de l’étang Walden dans le Massachusetts. Il y fera moisson de réflexions poétiques et éthiques promouvant la » simplicité volontaire « . Dernièrement, la philosophe française Cynthia Fleury a coordonné un ouvrage, Le Souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner (éd. du CNRS), qui évoque le caractère » essentiellement philosophique » de la nature. Celle-ci a le pouvoir de renverser les perspectives. A la célèbre question zen : » L’arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l’entend ? » vient immanquablement la réponse du peintre français André Marchand : » J’ai senti certains jours que c’était les arbres qui me regardaient. »
Mais les effets des grands arbres se font aussi très concrets. Dans le récit de sa randonnée Sur les chemins noirs (éd. Gallimard), l’écrivain voyageur Sylvain Tesson, convalescent d’une chute de huit mètres et victime en cours de route d’une crise d’épilepsie, s’encourt de l’hôpital. Il revient dormir à la belle étoile dans les monts du Cantal. » Une seule nuit sèche et tiède sous des arbres assez vieux avait opéré son miracle, se remémore-t-il. Je me réveillai au pied d’un pin, gonflé d’une excitation nouvelle. L’arbre fait-il percoler un peu de sa force dans l’organisme de celui qui dort à son pied ? »
Pour les scientifiques japonais qui ont inventé le concept de Shinrin-Yoku, cela ne fait aucun doute : la forêt guérit. Selon le site en ligne Quartz, les autorités japonaises ont dépensé quatre millions de dollars entre 2004 et 2012 pour analyser l’impact bénéfique de la forêt. A la suite de quoi, elles ont créé une cinquantaine de parcours thérapeutiques dans les bois : marcher lentement, s’arrêter, humer l’air, toucher les arbres, s’abîmer dans la contemplation d’un ruisseau… devenir le ruisseau… Pour ceux qui ont expérimenté le Shinrin-Yoku, cela ressemble très fort à un » exercice » de pleine conscience. Les phytoncides en plus.
On a connu les ions négatifs, voici les phytoncides. Ces huiles essentielles sont excrétées par les feuilles et les aiguilles. Leur rôle est défensif : elles tuent les parasites de l’arbre. Dans son best-seller La vie secrète des arbre), le garde-forestier allemand Peter Wohlleben rappelle qu’en 1956 déjà, le biologiste russe Boris Tokin avait constaté que les protozoaires contenus dans une goutte d’eau étaient tués en moins d’une seconde par l’ajout d’une pincée d’aiguilles d’épicéa ou de pin broyées. L’air d’une jeune forêt de pins était rendu presque stérile par l’action des phytoncides.
En 2009, le professeur Qing Li, de la Nippon Medical School (Tokyo), a démontré que ces molécules renforçaient l’activité des cellules NK (Natural Killer, cellules tueuses naturelles) qui forment la base de notre système immunitaire. Sur l’homme, leur effet se prolonge jusqu’à un mois après la mise au vert. Une équipe du centre pour l’environnement, la santé et les sciences de la Terre de l’université de Chiba (Japon) a comparé la biométrie de 280 sujets âgés d’une vingtaine d’années après une journée en ville et une autre comprenant une balade en forêt d’une demi-heure. Les » cobayes » affichaient de bien meilleurs paramètres après celle-ci : concentrations plus faibles de cortisol salivaire (qui augmente avec le stress), pouls et pression artérielle plus faibles…
Toutefois, il y a forêt et forêt. Une promenade sous des conifères plantés par l’homme ne donne pas les mêmes sensations qu’une forêt de feuillus, tout le monde a déjà pu l’expérimenter. » Sans doute cela tient-il au fait que dans une forêt de hêtres, les arbres échangent plus de signaux de bien-être que d' »appels à l’aide », ose Peter Wohlleben. Ce sont ces messages positifs que nous respirons et qui parviennent à notre cerveau. » Il est persuadé que la science démontrera un jour la qualité d’êtres sensibles de nos amis les arbres.
Dans une émission allemande, Therapie unter Tannen, diffusée le 27 avril dernier sur 3 Sat, le professeur Li (Tokyo) annonçait la » prescription de forêt » comme une évidence en médecine. Il prêchait un public de convaincus. La forêt allemande gagne 10 000 hectares par an depuis 1966, notamment par la reconversion de terres agricoles d’Allemagne de l’Est. Elle stocke 2,6 milliards de tonnes de carbone par an. Le pays affiche aussi la plus grande concentration européenne de forêts (32 % du territoire) et un nombre record de randonneurs actifs, entre 5 et 6 millions, qui font le poids face aux chasseurs ou à l’industrie du bois.
En Autriche, aussi, la forêt fait l’objet de multiples recherches en lien avec le bien-être humain. Le centre de santé publique de l’université médicale de Vienne affirme, preuves à l’appui, que les espaces verts boostent l’activité mentale. Le psychologue Thomas Legl, membre du réseau européen des centres de soins pour toxicomanes, organise dans les Alpes viennoises des Therapiesalons im Wald pour personnes souffrant de troubles psychosomatiques (épuisement professionnel, anxiété, panique, dépendance). Dans la veine du Shinrin-Yoku japonais, des forest bathing sont prescrits aux Etats-Unis pour des patients surmenés ou dépendants de leur smartphone.
Pour le professeur Alfred Bernard, toxicologue à l’UCL, une promenade au calme en forêt est le meilleur des exercices, un sport idéal. » L’environnement est agréable, la forêt purifie l’air, elle capture les polluants et incite à la découverte de la nature et d’une avifaune qui, en Belgique, est assez exceptionnelle. L’air des bois contient, en outre, des terpènes, une vaste famille d’hydrocarbures produits par les végétaux, en particulier, les conifères. De nombreuses études expérimentales ont démontré que les terpènes ont des propriétés anti-inflammatoires, antitumorales et qu’ils peuvent exercer une influence positive sur le système nerveux. » Quant aux phytoncides, Alfred Bernard confirme leurs propriétés bactéricides, fongicides et insecticides : » Elles pourraient renforcer le système immunitaire comme le suggèrent les expériences in vitro et chez l’homme menées par le professeur Li. »
Certes, reconnaît-il aussi, » les terpènes émis par les forêts sont d’importants précurseurs de l’ozone mais ce polluant ne se forme qu’au niveau de l’étage supérieur de la forêt exposée au rayonnement solaire. Dans le sous-bois, le promeneur est protégé de l’ozone ainsi que des particules fines. »
La Trêve,Zone blanche,Ennemi public: la forêt est un personnage clé des séries franco-belges qui sont tournées ces temps-ci en Wallonie, merci letax shelter. La dernière en date, diffusée par la RTBF, était nommée simplementLaForêt (photo). Un canevas éprouvé : une jeune fille (ou un enfant) disparaît, les enquêteurs retournent les pierres où se cachent les secrets d’une collectivité rurale. Le rythme est lent, en osmose avec les arbres. Fantastique et réalité se confondent parfois (Zone blanche). Ces vertes ténèbres ont une souche commune : le proliférantTwin Peaks de David Lynch. En 1991, ce dernier avait planté sa ville imaginaire et le destin brisé de Laura Palmer dans un massif forestier de l’ouest de l’Etat de Washington jouxtant le Canada. Vingt-cinq ans plus tard, pour le plus grand bonheur de ses fans, le réalisateur américain a repris l’exploration de sa forêt intérieure.
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