respirianisme
Le respirianisme, un mouvement alimentaire extrême, apparenté à une secte, qui inquiète et qui a déjà causé plusieurs décès.

Le « respirianisme », ou quand se nourrir d’air et de lumière mène à la mort

Caroline Lallemand Journaliste

Ils proclament se nourrir d’air et de lumière et de très peu, voire, ne pas du tout manger. Certains adeptes du courant « respirianiste » ne se seraient plus alimentés depuis près de 20 ans. Un mouvement alimentaire extrême, apparenté à une secte, qui inquiète et qui a déjà causé plusieurs décès.

Ils ont 30, 40, 50 ou plus de 70 ans, les adeptes du courant respirianiste. Les « respiriens » (« breatharians » en anglais) jurent vivre sans boire ni manger, ou à peine. Selon leurs témoignages, ils se « nourriraient » exclusivement de « l’alimentation cosmique » que leur apporte le « prana », terme sanskrit qui peut être traduit par « le souffle vital respirant« .

En 2017, un couple californien déclarant ne presque rien manger depuis 9 ans a fait reparler de cette pratique new age vieille de plus de 20 ans, relançant la polémique. Leur récit étant rapidement qualifié de « fake news » sur la Toile.

Pourtant, les adeptes du « respirianisme » (aussi appellé pranisme ou inédie) existent. Les plus orthodoxes d’entre eux jurent ne plus ressentir de sensation de faim et n’avoir plus mangé depuis près de 10, voire 20 ans tout en étant en parfaite santé mentale et physique. Un de leurs modèles, le yogi indien Prahlad Jani, assure même jeûner depuis 70 ans (!) sans aucune répercussion sur son état de santé général.

En Europe, l’Allemand Michael Werner, docteur en chimie et directeur d’un institut de recherche sur le cancer, s’est intéressé à la pratique du respirianisme. Il raconte son expérience dans son livre Se nourrir de lumière, l’expérience d’un scientifique. Il y interroge les modes de pensées présents dans la société puisqu’il ne se nourrit plus d’aliments solides depuis 2001.

Le respirianisme: se nourrir de lumière
Le « respirianisme », ou quand se nourrir de lumière mène à la mort © belga

Un rituel précis

Un adepte francophone raconte sur YouTube : « Ça fait treize ans que je n’ai pas mangé et je suis toujours vivant. Le blocage principal [concernant la nourriture] est de croire que ‘si on ne mange pas, on va mourir' », assure l’homme, pas famélique pour un sou.

« Tous les matins, je prends du café. Mais dans la journée après c’est fini », explique encore un des 40 000 disciples (présumés) de ce mouvement porté par l’Australienne Ellen Greve alias Jasmuheen. Cette dernière, auteure de l’ouvrage Vivre de lumière : cinq ans sans nourriture matérielle, développe depuis une vingtaine d’années cette théorie new age au fondement simpliste: pour atteindre le bonheur, l’homme pourrait cesser de manger et se nourrir exclusivement de lumière, tout en suivant un protocole strict de méditation et de jeûne. Jasmuheen, elle-même, déclare n’avoir rien avalé depuis dix-neuf ans, hormis une tasse de thé par-ci par-là.

Le rituel de 21 jours pratiqué consiste à « jeûner à sec pendant la première semaine » puis à consommer uniquement de l’eau parfumée ou des jus de fruits les jours suivants. Ce qui n’a rien à voir avec un jeûne ponctuel médicalement encadré, ni avec une grève de la faim. Sur le plan scientifique, ce régime semble d’ailleurs parfaitement incongru. On estime en général qu’un homme peut se passer d’eau pendant quelques jours, une dizaine au grand maximum. Quant aux grévistes de la faim, il est bien rare qu’ils dépassent 40 jours de jeûne même si quelques cas exceptionnels auraient dépassé les 70 jours.

Se nourrir d’air et de lumière: un rituel précis
Se nourrir d’air et de lumière: un rituel précis

Le respirianisme, une dérive sectaire

Bien que considérée comme une escroc dans son pays d’origine, Jasmuheen continue d’organiser des conférences à travers le monde qui ont leur petit succès de foule, souvent une audience fragile psychologiquement. En 2012, la prêtresse était de passage à Bruxelles, L’Obs avait assisté à cette conférence.

Une expérience l’impliquant a pourtant démontré les limites de la pratique. Il y a quelques années, elle avait acceptée d’être filmée à son domicile, puis surveillée dans une retraite en pleine nature afin de pouvoir respirer l’air frais d’où proviendraient « 70 % de ses nutriments ». Cependant, au bout du quatrième jour de jeûne sans eau, le médecin supervisant l’expérience lui a fortement recommandé d’arrêter l’expérience, craignant pour sa santé.

Selon le médecin, « les pupilles d’Ellen Greve étaient dilatées, son discours ralenti et elle était déshydratée« . Vers la fin du test, le spécialiste déclarait : « Son pouls est le double de celui qu’elle avait au départ. Elle risque une insuffisance rénale. L’émission de télévision 60 minutes serait responsable si on l’encourageait à continuer. Elle devrait arrêter maintenant. »

Dans notre pays, d’autres gourous diffusent les grands principes du mouvement. Ce fut le cas notamment à Namur, en 2016, où une conférence sur les vertus assez aberrantes de se nourrir uniquement de « prana » était organisée.

L’engouement pour ce courant alimentaire extrême inquiète les spécialistes de la santé. En Belgique, le « respirianisme » est étroitement surveillé par le Centre d’informations et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) s’inquiète aussi depuis des années des dangers sanitaires de ce courant et affirme avoir constaté au moins une dizaine de décès liés à une sous-nutrition. La Miviludes l’assimile à une forme de charlatanisme.

L’une des victimes fut Jeannette, une Néerlandaise d’une soixantaine d’année appartenant à la secte Contact&Muziek qui avait réduit drastiquement ses apports en nourriture depuis 2014. « En buvant uniquement du jus de fruit et de plantes, le chant semble plus beau (…) Cela laisse plus de place à la respiration, aux sentiments et aux émotions », témoignait-t-elle sur son blog.

Jasmuheen, de son côté, se défend de toute responsabilité, rejetant la faute sur les « cadavres », qui n’auraient pas bien suivi ses préceptes.

se nourrir de lumière et d'air
Le respirianisme, une dérive sectaire © belga

Les gourous du respirianisme mangent en cachette

Interrogé par L’Obs, le président et médecin de formation du Miviludes, Serge Blisko, dénonce « un mouvement sectaire dangereux » sur lequel il alerte depuis des années. Il met en garde contre des « escrocs » qui gagnent « énormément d’argent en prêchant des bobards ». « Il est scientifiquement impossible de vivre sept ou même treize ans sans avaler le moindre aliment, et encore moins sans s’hydrater », rappelle le spécialiste de la santé.

Il ajoute que si les gourous appliquaient la méthode qu’ils prônent, ils seraient faméliques et n’auraient pas l’apparence physique saine des photos qu’ils postent sur les réseaux sociaux. A l’image de Camilla, cette mère de famille adepte du yoga à l’origine de la polémique. Elle raconte son expérience : « Avec mon premier enfant, j’ai pratiqué une ‘grossesse respiratoire’. La faim était devenue une sensation inconnue pour moi, je ne me nourrissais que de lumière ». Ajoutant: « Mes tests sanguins au cours des trois trimestres étaient impeccables et j’ai donné naissance à un bébé en très bonne santé. » (NDLR: quelques jours plus tard, au vu des nombreuses réactions négatives à leur témoignage, le couple a fait un rectificatif avouant quand même manger de la nourriture solide mais moins que d’autres personnes.) Car « il suffit de voir des hommes et des femmes souffrant d’anorexie ou sortant d’une grève de la faim pour conclure de l’absurdité scientifique du ‘respirianisme« , assène Serge Blisko.

« Les fers de lance de ce mouvement, finalement, ne se sont jamais prêtés à des expériences scientifiques rigoureuses et je dirais même qu’il y en a quand même une qui s’est prêtée à ce genre d’expériences, mais, après trois jours, elle a dû arrêter son régime. On a dû lui injecter justement du liquide parce que finalement, elle était en train de mourir«  rapporte, de son côté, sur le site de la RTBF Serge Pieters, président de l’UPDLF (Union Professionnelle des Diplômés en Diététique de Langue Française).

Cet article a été publié une première fois en juin 2017 et a été actualisé en août 2022.

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