« Le contexte dans lequel nous vivons est trop exigeant pour les parents et les enfants »
TDAH, TDA, dyslexie, autisme… Vous froncez parfois les sourcils à toutes les étiquettes qu’on colle à nos enfants? L’actrice et coach de la jeunesse Ann Ceurvels explique pourquoi ces étiquettes sont parfois une bonne chose.
Ann Ceurvels voit de plus en plus des parents d’un enfant atteint d’ADD, d’autisme, ou d’un autre besoin qui cherchent de l’aide pour leur jeune en perte de repères. « Beaucoup d’enfants restent sur la touche, et il y a beaucoup d’ignorance chez les parents. »
Maman d’un enfant autiste, Ceurvels vient de publier un livre intitulé « Etiketjes » (Petites étiquettes) destiné à soutenir les gens qui sont dans la même situation qu’elle et attirer l’attention des responsables politiques sur les besoins en matière d’aide à la jeunesse. Elle souhaite surtout montrer aux « fronceurs de sourcils » qui adoptent un ton condescendant ou même désapprobateur à l’égard de toutes les étiquettes qu’on colle aux enfants, ce que cela signifie de vivre avec un certain diagnostic et le rôle que les parents peuvent jouer.
Dans votre livre, vous plaidez en faveur d’une communication ouverte et honnête autour du diagnostic, quelles que soient les difficultés. Pourquoi est-ce si important ?
Ceurvels : Beaucoup de gens se sentent intimidés par la façon dont le monde réagit à un enfant à problèmes. Ils sont souvent traités d’enfants gâtés et on reproche aux parents de mal les éduquer. L’entourage a toujours une explication bien intentionnée pour le comportement de l’enfant mais du coup les gens n’osent pas en parler et demander de l’aide. C’est pour cela que je trouve qu’il faut exprimer son inquiétude, et quand il y a un diagnostic, en parler ouvertement. Laissez le monde extérieur vraiment découvrir la problématique. On ne se rend pas compte de ce que c’est de vivre avec un enfant comme ça. De l’extérieur, il a l’air parfaitement normal, mais si ces enfants semblent fonctionner normalement, c’est justement grâce à l’éducation des parents.
Vous insistez aussi sur l’importance d’un diagnostic précoce. Le plus tôt possible ?
C’est surtout dans l’intérêt de l’enfant que le diagnostic soit posé le plus tôt possible. Ainsi, il y a beaucoup de temps pour instaurer des aménagements. Généralement, le passage de l’école maternelle à l’école primaire est un premier moment où l’on lance l’alerte. Ensuite, c’est souvent le passage de l’école primaire au secondaire qui se passe mal. À ce moment-là, le danger existe que les enfants développent des stratégies de survie, une dépression ou des angoisses parce qu’ils doivent fonctionner pendant six ans à un niveau très difficile pour eux. Alors, il faut s’en prendre à ces symptômes accessoires avant de commencer le véritable travail.
Certains thérapeutes préfèrent ne pas coller d’étiquettes sur un enfant, car celui-ci pourrait le réduire à son diagnostic. Pourquoi plaidez-vous pour des étiquettes ?
Je comprends très bien ces positions, car il s’agit souvent de troubles de spectre et évidemment toutes les gradations ne nécessitent pas d’importantes d’adaptations. Ce que je veux montrer c’est que les parents doivent savoir dans quel cadre leur enfant fonctionne le mieux. Il est scientifiquement prouvé que les enfants atteints d’un trouble qui ont suivi un enseignement spécialisé et qui ont bénéficié d’un trajet adapté, accèdent beaucoup plus à l’enseignement régulier. Un label n’indique pas les défaillances d’un enfant, mais le contraire. Ce sont les conditions pour que l’enfant développe ses forces. »
Ces étiquettes ne risquent-elles pas de mener à des symptômes épidémiques ? Les gens s’identifient avec ces étiquettes et pensent « Oui, c’est ce que mon enfant a aussi ! ». Aujourd’hui, tous les enfants sont hypersensibles par exemple.
Ne faut-il pas inverser les choses? Sommes-nous vraiment en train de créer une épidémie imaginaire ou l’apparition de plus en plus régulière de ces troubles indique-t-elle que nous sommes en train de créer une société et un mode de vie où beaucoup de gens et d’enfants ne peuvent pas suivre ? Ne me comprenez pas mal, je ne veux pas retourner à une époque où les enfants devaient travailler dans les champs à treize ans, mais aujourd’hui le contexte dans lequel nous vivons a tellement changé et demande tellement de la part des enfants et des parents que ces signaux d’alerte remontent. Eh oui, on entend parfois dire « aujourd’hui, ils ont tous quelque chose », mais c’est parce que nous disposons de meilleurs outils pour reconnaître ces diagnostics et leur donner une place dans les soins de santé mentaux. Autrefois, une personne atteinte de dyslexie avait simplement du mal à lire. À côté de cela, ces enfants développaient de nombreuses stratégies pour ne pas devoir lire. Sinon, ils ne pouvaient pas suivre.
L’été dernier, vous avez écrit une lettre ouverte à la ministre de la Santé publique Maggie De Block pour protester contre les économies réalisées en psychiatrie pour enfants. Où en est aujourd’hui l’aide mentale à la jeunesse ?
L’aide à la jeunesse est très éclatée. En outre, elle dépend très fort des parents. Dans ma pratique, je vois parfois des parents qui ne savent presque rien du trouble de leur enfant. On les a pour ainsi dire renvoyés chez eux avec un papier reprenant le diagnostic, et c’est tout. Ou l’inverse, les parents soupçonnent que quelque chose ne va pas mais ne savent pas du tout où aller. Ou ils se retrouvent chez un psychiatre qui leur conseille d’envoyer leurs enfants chez les scouts. Quand j’entends ça, je tombe de la chaise. Il faudrait un point central accessible à tous où on explique les étapes à suivre aux enfants. Aujourd’hui, les listes d’attente sont de minimum trois ans. Dans certains hôpitaux psychiatriques on n’accepte même plus de nouveaux patients. Ainsi, les problèmes persistent, des troubles supplémentaires s’installent et les jeunes finissent par se retrouver en accueil de crise.
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