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« La pharmacopée de demain se trouve en grande partie dans les champignons »

On les savait capables de lutter contre certaines de nos maladies infectieuses, mais les champignons ont bien plus à offrir. Alliés dans la lutte contre le cancer ou le traitement de la dépression… les promesses s’accumulent et l’exploration ne fait que commencer.

« La pharmacopée de demain se trouve dans les forêts tropicales, en grande partie dans les champignons », affirme Stephan Declerck, responsable de la mycothèque de l’UCLouvain, l’une des plus anciennes collections de champignons au monde. Chaque année, les scientifiques du laboratoire explorent des forêts primaires pour récolter de nouvelles espèces, les identifier, les étudier et les conserver afin de les mettre ensuite à la disposition de chercheurs et d’entreprises. L’ équipe met au jour en moyenne une vingtaine de nouvelles espèces par an. Un chiffre impressionnant qui fait pourtant figure de goutte d’eau par rapport au potentiel de découverte. « On estime qu’il y a entre deux et trois millions d’espèces de champignons et que l’on en connaît 150 à 200 000. Il faudrait que tous les laboratoires au monde qui s’intéressent à la mycologie travaillent durant 700 années pour tout décrire », jauge Stephan Declerck.

Il y a entre deux et trois millions d’espèces et l’on en connaît 150 à 200 000.

Des chiffres qui ont effectivement de quoi rendre optimiste sur le futur de notre armoire à pharmacie, quand on se penche sur les avancées médicales que les champignons ont rendues possibles au cours des dernières décennies. En tête: les antibiotiques. C’est en analysant des cultures bactériennes contaminées par accident par un champignon, le Penicillium notatum, qu’ Alexander Fleming découvrit la pénicilline en 1928. Le premier antibiotique de synthèse naîtra quelques années plus tard. Suivit la Ciclosporine, un agent immunosuppresseur qui permit aux techniques de greffes d’organes de faire un bond en avant sans précédent, en limitant la problématique des rejets. Ou encore les statines qui sont administrées pour certaines formes d’hypercholestérolémie.

Le cordyceps, champignon santé:
Le cordyceps, champignon santé: « Il booste l’immunité et augmente l’oxygénation du sang. »© GETTY IMAGES

Quels nouveaux traitements pourraient bientôt figurer sur nos ordonnances? Plusieurs axes de recherche sont explorés et deux d’entre eux attirent particulièrement l’attention du monde médical. Depuis quelques années, la psilocybine est dans le viseur des chercheurs. Substance présente dans un champignon hallucinogène (le psilocybe), elle pourrait être utilisée dans le cadre de dépressions. Fin 2020, des chercheurs de l’université américaine John Hopkins ont publié les résultats d’une nouvelle étude menée sur un petit échantillon de personnes présentant une dépression sévère. Ils mettent en avant une diminution importante des symptômes pour la majorité des patients, mais aussi des signes de rémission pour la moitié de l’échantillon.

Potentiel anticancéreux

Des espoirs sont également permis en oncologie. Eléonore Blandeau, docteure en pharmacie de l’université d’Angers, dont la thèse portait sur le potentiel anticancéreux des champignons, détaille: « L’utilisation des champignons chez des patients souffrant de tumeurs malignes s’avère prometteuse, autant pour réduire leur apparition que leur croissance et le développement de métastases. » Ces champignons sont aussi utilisés comme adjuvants, pour renforcer l’efficacité de traitements anticancéreux. Leur action antitumorale ciblée permettrait de maximiser les effets du traitement sur les cellules malades tout en protégeant les cellules saines en réduisant les effets secondaires. Le Japon investit beaucoup dans cette piste de recherche et utilise déjà des extraits de champignons comme le Lentinane (issu du Lentinus edodes ou shiitake) en accompagnement de chimiothérapies.

Le projet citoyen Mycobees vise à protéger les abeilles grâce à des extraits de mycéliums et de champignons des forêts.
Le projet citoyen Mycobees vise à protéger les abeilles grâce à des extraits de mycéliums et de champignons des forêts.© GETTY IMAGES

Et tout pourrait s’accélérer grâce au progrès des technologies. « On a amélioré nos capacités de détection, explique Pierre Becker, responsable de la recherche sur les sources fongiques d’intérêt médical chez Sciensano. Il y a énormément de composés dans chaque champignon. Le but est d’aller chercher celui qui va nous être utile. Avant, il fallait faire ça de manière manuelle. Maintenant, on a des processus automatisés qui permettent en une seule fois de tester des centaines voire des milliers de composés. Nos capacités de screening sont beaucoup plus importantes. Mais pour une molécule qui deviendra un médicament, on en a peut-être testé des milliers ou des dizaines de milliers en amont. On en élimine à chaque étape. »

Ötzi, l’homme des glaces qui vécut il y a plus de 3 000 ans, portait un champignon en amulette.

L’industrie pharmaceutique est également capable d’isoler une propriété. « Certaines molécules produites par les champignons sont des armes pour nous, d’autres sont des toxines, rappelle le spécialiste. Le but est d’isoler la molécule utile pour nous ou de la modifier pour la rendre plus efficace. C’est le cas par exemple avec les échinocandines naturelles. Ce sont des antifongiques, mais elles ne sont pas données telles quelles, car elles détruisent les globules rouges. L’industrie a créé des échinocandines artificielles pour perdre l’activité d’hémolyse, mais garder l’activité antifongique. Ce traitement est réservé au milieu hospitalier, mais c’est une arme importante dans la lutte des infections fongiques. »

Compléments alimentaires

Même le volet agronomique de la mycologie (lire l’encadré) participe à la recherche médicale puisqu’il se penche notamment sur le rendement de plantes médicinales. En leur associant certains champignons, des études ont montré qu’il était possible de les pousser à produire plus de métabolites d’intérêt.

En parallèle de la recherche pharmaceutique, une approche alternative à base de compléments alimentaires se développe et l’on voit apparaître des injonctions à ajouter des champignons à nos assiettes, tandis que de nouvelles marques « trendy » proposent des cures de gélules. Corentin Mullender se considère comme un « geek de champignons » et multiplie les expériences au sein du Fungal lab de Bruxelles. Impliqué dans le projet citoyen Mycobees qui entend protéger les abeilles grâce à des extraits de mycéliums et de champignons des forêts, il développe également des kits pour faire pousser des cordyceps chez soi. « C’est le champignon santé par excellence, assure-t-il. Il booste l’immunité, il est aussi utilisé par les sportifs, car il augmente l’oxygénation du sang. » Actif sur des forums de passionnés, il consomme des extraits de divers champignons en se basant entre autres sur des recommandations de médecines traditionnelles asiatiques. « Les champignons, c’est la pharmacie de demain, mais c’est aussi celle d’hier, rappelle-t-il. Ötzi, l’homme des glaces qui vécut il y a plus de 3 000 ans et a été retrouvé en Italie, portait un champignon en amulette. C’était du polypore du bouleau, qu’il utilisait probablement pour cicatriser les plaies et combattre certaines maladies et parasites. »

Sorte de mémoire de la vie sur terre, les champignons se sont développés avant les végétaux et ont mis en place de nombreux mécanismes de défense au fil des millénaires. Un espoir, à l’heure où l’on craint la résurgence de bactéries disparues liée notamment à la fonte du permafrost.

Alliés de l’environnement

Capables de dépolluer des sols ou recycler certains types de déchets, les champignons pourraient offrir de nombreuses solutions aux enjeux environnementaux. Utilisés en agronomie, certains microchampignons, invisibles à l’oeil nu, permettent aux plantes de résister au stress causé par des maladies ou la sécheresse. A la clé: une bonne alternative aux pesticides et des pistes pour adapter l’agriculture au contexte du réchauffement climatique. Des agriculteurs belges mettent déjà en place des protocoles en semant des « microbilles » chargées de ces microchampignons (les mycorhiziens à arbuscules) pour protéger leurs cultures. La communication associée aux champignons sera probablement au coeur des grandes avancées de demain. Les experts n’hésitent pas à comparer le mycélium, partie végétative du champignon qui prend la forme d’un réseau filamenteux sous-terrain, à un véritable Internet de la terre. Grâce à lui, les végétaux communiquent. Ils se préviennent par exemple en cas d’infection pour que les autres puissent mettre en place un mécanisme de défense. La recherche actuelle ne fait qu’ entrapercevoir les ressorts de cette communication (chimique, électrique…) mais les enjeux semblent déjà colossaux.

Pour aller plus loin: Le Monde caché. Comment les champignons façonnent le monde et influencent nos vies, par Merlin Sheldrake, First, 278 p.

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